Le Soleil – Un prénom raconte une histoire. Il est la première note dans la vie d’un enfant, le définit et le caractérise. Mais, derrière cette dénomination, se cache tout un mythe, selon les ethnies, car elle en dit plus que ce qu’elle veut montrer. Au-delà de permettre de faire la distinction entre un tel et un tel, le nom constitue l’identité de chacun de ses membres, du Peul au Sérère en passant par le Wolof et le Diola. Les religions révélées ont aussi joué leur partition dans le choix de ces dénominations souvent si singulières.
« Quel est ton nom ? » demande le surveillant en le fouettant sans pitié, et l’esclave de répondre : « Mon nom est Kunta Kinte », les pieds et les mains attachés. Le fouet s’abat de nouveau sur lui, jusqu’à ce qu’il dise que son nom est Toby et non Kunta Kinte. Cette scène de l’épisode 1 de la mini série sur l’esclavage, Roots (Racines), sortie dans les années 1970, montre l’attachement de Kunta Kinte à son nom de naissance. Cela reflète son appartenance ethnique et ses origines dont il n’était pas prêt à se départir pour adopter le nom Toby choisi par son maître. C’est ce qu’a aussi voulu montrer feu Abass Diao dans son Mémoire d’études publié à l’École nationale supérieure des bibliothèques en France, dans les années 80, sur l’étude des noms sénégalais. Le prénom est, d’après l’auteur, un signe d’appartenance ethnique. De ce fait, il remplit différentes fonctions. Il y a, selon lui, tout un symbolisme autour de la grossesse de la femme, de la naissance et du nom donné à l’enfant. Cela explique les choix des prénoms que l’on retrouve uniquement dans une ethnie bien donnée et dans un contexte précis.
Talisman contre la faucheuse
Bougouma (je ne t’aime pas), Amul Yakaar (sans espoir), Ken Bugul (personne n’aime), Biti Loxo (l’extérieur de la main), Yadikoon (tu étais venu) ou encore Sagar (tissu sans valeur) sont autant de prénoms qui, à première vue, font sourire et peuvent même susciter des moqueries, car inhabituels, voire rares. Mais, le prénom est un boubou qu’on peut difficilement enlever. Malgré sa singularité, il revêt un sens particulier. Ndèye Codou Fall Diop explique que ces dénominations ont la même source. L’enseignante en écriture wolof au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti) renseigne que ces noms sont donnés à des personnes dont la mère accouche et que son enfant meurt de façon répétée ou perd des enfants à bas-âge. Les prénoms dits « yaradaal » sont toujours présents dans la société wolof et sont des noms conjuratoires attribués à des enfants pour éviter leur mort précoce dans un contexte familial de décès juvéniles à répétition.
Les anthroponymes antinomiques sont présents chez les Halpulaars et sont destinés à « vaincre » la mort. « Nous avons des prénoms tels que Tekkere, assimilé à un morceau de tissu sans valeur, ou encore Ndoondi qui veut dire cendre », affirme Papa Ali Diallo, spécialiste en sciences du langage. Il peut y avoir une motivation à l’antinomie pour décrédibiliser en apparence l’enfant et le dévaloriser. Mais, cela représente, selon le linguiste, une stratégie pour assurer sa survie.
Les Sérères ont aussi des prénoms ayant trait à la mort comme Gaskel, Honan ou encore Nioowi. « On exorcise la mort en l’intégrant dans le nom du nouveau-né pour tromper les forces de la mort », explique Sobel Dione, un adepte de la culture sérère aux textes très lus sur le réseau Facebook.
Felwine Sarr, Mouhamed Mbougar Sarr ou encore Léopold Sédar Senghor sont des noms familiers et les personnes qui les portent ont brillé par leur intelligence. Cependant, derrière ces figures, se cachent des anthroponymes lourds de sens. Felwine désigne celui qui est aimé de tout le monde ; Sédar, celui qui n’aura jamais honte, et Mbougar signifie celui qu’on n’aime pas. Ils tracent, dès la naissance, la trajectoire des bambins et influent sur leur vie. Dans la culture sérère, ces noms sont très répandus, d’après Sobel Dione. Le passionné de la culture sérère soutient que le prénom et le nom sont constitutifs de la personne dans cette ethnie. Il est plus qu’un signe, il est une figuration symbolique de la personne. « Le prénom situe l’individu dans le groupe, il représente le corps, l’âme, le totem », fait savoir ce dernier. Sobel Dione cite comme exemples des noms comme Ngor qui veut dire le vrai homme, Sobel qui signifie celui qui précède tout, Fakhane pour désigner la gentille, la tendre, Mossane, la belle, ou encore Ñokhor, le bagarreur.
L’attribution du prénom intervient entre un et six ans chez les Diolas, d’après les explications de Paul Diédhiou. L’anthropologue de formation renseigne que cette singularité se traduit par le fait que par le prénom, on peut appréhender les notions d’enfer, de paradis et de réincarnation. Ceci renvoie également à la singularité du prénom diola qui « meurt » (kukét) avec la personne qui le porte si toutefois cette dernière décède à la fleur de l’âge. « C’est un sacrilège que de nommer une personne qui meurt jeune. C’est pour cette raison que l’on prend la précaution de prénommer les enfants entre un et six ans », relève-t-il.
Une marque distinctive
Les qualificatifs des prénoms sont aussi retrouvés chez les Peuls avec des anthroponymes honorifiques, tels que Ceerno pour dire savant/enseignant, Elimaan pour dire imam. Selon les explications de Pape Ali Diallo, spécialiste en sciences du langage, il existe, dans ce même registre, des appellations comme Malaado désignant celui qui est béni, Mawɗo signifiant homme mature, Cellu pour celui qui est en bonne santé, entre autres.
Gora pour brave homme, Serigne désignant savant, Gorgui signifiant homme mature, Soxna pour désigner une épouse ou encore Magatte pour femme ou homme mature, sont autant de noms qualificatifs retrouvés chez les Wolofs.
Le prénom se basant sur un des traits de l’enfant est retrouvé également chez les Diolas. À titre d’exemple, Paul Diédhiou, anthropologue de formation, cite des noms tels que Djalissa qui désigne un enfant chétif, Djamissa qui signifie chétive pour une enfant, Akodji pour désigner le vilain ou encore Anatolediakaw pour la vilaine.
« Un des critères pour déterminer le moment à partir duquel on attribue un prénom à un enfant est la marche », explique Paul Diédhiou. L’enseignant-chercheur à l’Université Assane Seck de Ziguinchor relève que lorsqu’un enfant sait réellement marcher ou courir, il peut se voir attribuer un prénom. Ainsi, jusqu’à ce stade, le bambin n’en porte pas.
JOUR ET PÉRIODE DE NAISSANCE
Un temps favorable au choix du prénom
Le jour et la période de naissance sont aussi importants dans le choix des prénoms à travers les ethnies. Sobel Dione, un adepte de sa culture, explique que chez les Sérères, au cours de la cérémonie du « Bat » (baptême), le prénom fait exister socialement le bébé. C’est, en principe, la sœur du père qui donne le prénom à l’enfant. Elle peut choisir un nom dans la famille paternelle, mais les circonstances de la naissance peuvent orienter vers un autre. C’est la raison pour laquelle on retrouve chez cette ethnie des prénoms comme Téning qui équivaut à lundi, Khémesse qui renvoie à jeudi, Dibor à dimanche, Latyr désignant celui qui est né mardi.
« Il y a des noms chez les Halpulaars choisis pour décrire un état physique chez l’enfant ou au moment où il est né », renseigne Pape Ali Diallo, spécialiste en sciences du langage. Juulde pour un enfant né le jour de la Tabaski, Korka pour un enfant né pendant le mois de Ramadan ou encore Saajo pour désigner un enfant né juste après des jumeaux, sont autant d’exemples.
Les prénoms tels qu’Aldiouma (vendredi), Tabaski, Gamou, Touba sont autant d’appellations en rapport avec les circonstances de naissance retrouvées chez les Wolofs.
Le rapport avec les liens familiaux
Le premier arrivé est souvent le premier servi et l’ordre d’arrivée des enfants n’est pas une exception. Dans la culture peule, il y a des prénoms généalogiques, car les prénoms respectent chez eux une certaine typologie. Ceux-ci sont attribués en fonction de l’ordre de naissance du côté de la mère. « Par rapport à la fratrie, l’aîné doit s’appeler traditionnellement Dikko, le suivant Samba, le troisième Demba, etc. Chez les femmes, on a l’aînée qui s’appelle Dikko ou Saara, ensuite Kumba, Demmo, Penda, Daado, ainsi de suite », explique Pape Ali Diallo. Les jumeaux s’appellent Subboo et Gunndoo, qu’ils soient des filles ou des garçons. Celui qui suit la venue au monde des jumeaux s’appelle Saajo sans distinction de sexe.
Les Halpulaars constituent, selon le spécialiste en sciences du langage, une société dans laquelle la filiation se fait par les mâles. Cela, après l’avènement de l’Islam. Donc, le droit de choisir un dénominatif pour le nouveau-né revient au père. Il y a donc une juxtaposition du prénom de l’enfant et celui du père. « Cela caractérise une sorte d’identité nominale. On s’identifie d’abord par rapport à son père », précise le linguiste. Il permet aussi, d’après ses explications, de faire la distinction entre des enfants ayant le même prénom. Cette juxtaposition du prénom intervient dans certains cas où une femme peule se marie avec un homme qui n’est pas de son ethnie. La famille maternelle peut ajouter le nom de la mère lors du baptême de l’enfant pour s’approprier le nouveau-né, explique Papa Ali Diallo.
Les prénoms varient selon le rang au sein de la famille du côté des Sérères. Sobel Dione liste, entre autres, Mame Koor pour le grand-père, Mame Ndew pour la grand-mère, Makane pour l’aînée des jumelles, Ndébane pour la cadette des jumelles, Ngormack pour l’aîné des jumeaux et Ngor Ndéb pour désigner le cadet des jumeaux.
Un enfant peut porter le prénom de son père biologique chez les Diolas, mais à condition d’y associer le terme « ampa » pour les garçons ou « agno » pour les filles. « On dira ainsi Ampasabeuly, le fils de Sabeuly, Agnosidiock, la fille de Sidiock », étaye Paul Diédhiou. L’enfant peut également porter le prénom de son grand-père pour le garçon, Ampasibakouty, et de sa grand-mère pour les filles, Ajowbuyonah.
INFLUENCE DES RELIGIONS ABRAHAMIQUES
Les noms traditionnels en perte de vitesse
« Les prénoms sérères commencent à disparaître à cause des religions abrahamiques », constate Sobel Dione. Cet adepte de la culture sérère, très lu sur Facebook, soutient que cela a eu une influence dans le choix des dénominations. Il prône le maintien des prénoms des « ancêtres ». Le passionné de langues africaines va plus loin en affirmant que ces religions ont la même origine, mais pourtant chacun des peuples a soigneusement maintenu l’essentiel de son identité. « Nous pouvons nous apercevoir qu’un prénom musulman ou chrétien n’existe pas. Ce qui existe, ce sont des prénoms propres à chaque peuple, selon les coutumes, la culture, l’histoire », estime-il comme pour prôner un retour à la source.
L’Islam a joué un rôle important dans le choix des prénoms chez les Halpulaars. « La religion musulmane interdit de donner à l’enfant certains noms dévalorisants, de mécréants, d’animaux ou de Satan ; des objets ou choses immoraux. Certains prénoms ont donc été abandonnés pour d’autres », fait savoir Pape Ali Diallo, spécialiste en sciences du langage. Il explique que malgré cela, les Halpulaars ont essayé de garder certains noms traditionnels. « Ils ont essayé de traduire certains noms comme Yakhya qui est l’équivalant de Wourib », confie-t-il.
Les Wolofs ont aussi subi l’influence des prénoms amenés par les religions révélées. Ndèye Codou Fall Diop, enseignante en écriture wolof au Cesti, explique qu’il y a eu un mix entre les prénoms dits « ceddo » et ceux tirés de la religion. Elle prend l’exemple des personnes qui se convertissent tout en gardant leur nom « ceedo » ou se retrouvent avec deux appellations. « Nous pouvons prendre l’exemple de noms comme Birima qui est l’équivalent d’Ibrahima ou encore Bakary qui est l’équivalent de Babacar, valables dans la religion », fait savoir Mme Diop.
Les religions révélées ont donné naissance à certaines homonymies. Des musulmans peuvent se retrouver avec des prénoms chrétiens et vice-versa. C’est dû, selon Mame Guimar Diop, administratrice du groupe Léppi mbooru Wolof, « Histoire générale des Wolofs », à une longue cohabitation entre chrétiens et musulmans dans les quatre anciennes communes (Saint-Louis, Gorée, Dakar, Rufisque), à des liens de parenté, au brassage et aux relations matrimoniales entre ces Wolofs. Comme quoi, le nom n’est pas propre à une communauté (tuur dëkul fen).
L’influence des religions révélées est réelle chez les Diolas, note Paul Diédhiou. À l’exception du culte de la circoncision, beaucoup de cultes ont disparu et les prénoms traditionnels sont souvent relégués au second plan, constate l’anthropologue de formation.
Tel un boulet
« Chaque année, au début des cours, certains de mes camarades s’étonnaient d’entendre un nom qui sonne si féminin être porté par un garçon ». Telle est la situation vécue par Aby Kane Diallo Sow. Il est même arrivé que des profs, en faisant l’appel, s’esclaffent en découvrant le visage derrière ce prénom. Ce jeune homme de 28 ans a dû, durant toute sa scolarité, revenir sur ce patronyme si singulier. « Il a fallu toujours que je donne des explications sur mes origines peules. C’est très répandu chez nous », rappelle-t-il. Malgré cet état de fait, l’étudiant en journalisme prend cela avec philosophie et y voit une occasion de parler de ses origines. Le spécialiste de la culture peule Pape Ali Diallo, spécialiste en sciences du langage, explique qu’à part des prénoms liés à l’ordre de naissance, il n’y a pas de noms propres spécifiques à un sexe. Les hommes comme les femmes peuvent les porter, mais ils sont circonstanciels et c’est en fonction de facteurs socioculturels.
Madame Ndiaye a toujours eu du mal avec son prénom. Tel un fardeau, cela a longtemps pesé sur ses frêles épaules de petite fille. Devenue épouse et mère de deux enfants, elle se souvient encore des moqueries dont elle a fait l’objet au cours de son enfance. Un jour, elle est même allée parler à son père pour comprendre le choix d’un tel prénom. « Mon père voulait m’appelait Oumy. Mais, il m’a appelé Bougouma pour rendre hommage à sa sœur qui a beaucoup fait pour lui », révèle la jeune femme. Ce nom, qui partait d’une bonne intention, est devenu un fardeau pour Bougouma. Elle décide, après mûre réflexion, de changer son prénom pour Oumy. Mais, elle va essuyer un niet catégorique de son pater. Cependant, cela ne change en rien la volonté de la mère de famille de se départir de ce nom de baptême. Au cours de sa vie, Oumy a été l’appellation qu’elle a longtemps portée au détriment de Bougouma. « Je ne peux certes pas changer mon appellation, mais j’ai opté pour Oumy et c’est ce nom qui est resté au fil du temps », avoue-t-elle.
Le sens de la responsabilité
« Tur dafa diss », le nom est lourd à porter. Cette citation d’un proverbe wolof renseigne sur la tâche qu’attend celui ou celle qui porte un prénom. C’est le cas des prénoms tirés de la religion. Gina Marie Suzanne Batista a hérité des prénoms de deux importantes figures féminines de la religion chrétienne. « Marie est d’abord la mère de Jésus-Christ et Suzanne est l’une des femmes ayant secouru Jésus dans la douleur quand tout le monde le reniait et qu’il portait sa croix », a fait savoir la jeune femme. Ces prénoms lui inspirent à faire le bien, à donner sa vie à Dieu et à aimer son prochain.
Arame NDIAYE
Source : Le Soleil (Sénégal)
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