Deux ou trois petites questions sur la loi d’orientation sur l’éducation

Malgré des aspects déplaisants, les polémiques sur la loi d’orientation sur l’éducation nationale projettent la lumière sur ses incertitudes rédactionnelles. Délibérées ou non. Le désormais fameux article 65 en est significatif.

 

A sa lecture, il ressort que « l’élève négro-africain», catégorie émergente de par la loi, sera tenu d’«apprendre, en plus de sa langue maternelle la langue arabe» quand «chaque enfant arabe doit apprendre au moins une langue négro-africaine». Le «au moins» n’est pas anodin puisqu’il introduit une option. Sachant qu’il s’agit par définition de jeunes enfants, à qui incombera le choix et pour quels motifs ? Choisir c’est exclure.

Dans quelle mesure le choix sera-t-il ou non tributaire de considérations extra-scolaires? Promouvoir une langue, en déconsidérer une autre voire la boycotter par exemple ? A ce stade, un constat d’asymétrie s’impose et il ne relève pas du jugement de valeur. De fait, il apparaît qu’une catégorie d’élèves aura le choix, pas une autre. La conséquence directe en est la consécration et la sanctuarisation institutionnelles de la langue arabe. Un second constat, plus «théorique», émerge.

A son corps défendant peut-être, le texte accouche, 62 ans après l’indépendance, d’un nouvel être: l’élève ethnique. De sorte qu’en principe levier d’intégration par excellence, l’école assigne et définit d’emblée les élèves par leur extraction ethnique. Ce qui, outre les principes, questionne également les dimensions gestionnaire et opérationnelle qui pèseront sur les personnels. Les cartes d’élève porteront-elles par exemple l’ethnicité ou celle-ci sera-t-elle implicite et présumée?

A partir du patronyme par exemple. Quid des noms mixtes? Quid des élèves «métis» culturels et/ou biologiques? Toutes les «combinaisons» en la matière sont imaginables. Le texte semble faire une large part à la notion de la «langue maternelle». Celle-ci sera-t-elle entendue au sens littéral ? Aussi curieuse que pourrait paraître la question, quelle sera la langue maternelle d’un enfant de mère arabe et de père soninké?

Dans notre société, passablement patriarcale, c’est à une vraie révolution anthropologique (avec risques schizophréniques) que pourrait conduire le texte. Un élève «métis» sera défini par son patronyme donc par rattachement à son père alors qu’une large part de son statut et de son destin scolaires renverra à sa mère. Une «judéisation» sociale en quelque sorte puisqu’qu’on est, paraît-il, juif par sa mère.

Dans cette configuration, où situer un enfant de père arabe et de mère haalpulaar? Toutes ces interrogations et bien d’autres, peut-être sans intérêt, en recouvrent une, essentielle celle-là: jusqu’où peut s’aventurer une république dans la définition civile et juridique de ses citoyens?

Des statistiques ethniques au fichier ethnique voire au fichage ethnique, jusqu’où aller trop loin ? «Dernière» observation et «dernière» asymétrie : le vocable « arabe » définit une identité spécifique quand celui de « négro-africain » renvoie à un groupe à définir de manière plus affinée.

 

 

Tijane Bal

Facebook – Le 21 juillet 2022

 

 

Les opinions exprimées dans cette rubrique n’engagent que leurs auteurs. Elles ne reflètent en aucune manière la position de www.kassataya.com

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page