Les Français se disent moins racistes, mais les « vieux clichés » ont la vie dure

Les discriminations perdurent, selon le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, publié lundi 18 juillet, notamment vis-à-vis des juifs et des Roms.

Le Monde – Les Français se disent de moins en moins racistes, l’indice de tolérance à l’autre ne cesse de progresser. Et pourtant, le bilan est « alarmant », selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Dans son rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, publié lundi 18 juillet, l’institution pointe la « persistance de phénomènes discriminatoires » en raison de l’origine réelle ou supposée, la religion ou la couleur de peau. « Certains préjugés racistes, antisémites et xénophobes » restent « vivaces et, surtout, leur expression se renouvelle, se diversifie, voire s’intensifie en fonction du contexte », soulignent les auteurs, qui formulent cinquante-cinq recommandations.

Alors que la France célèbre cette année les 50 ans de la loi du 1er juillet 1972, dite « loi Pleven », qui a créé les délits spécifiques d’« injure et [de] diffamation à caractère raciste » ainsi que la « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale », et les 51 ans de la ratification de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la CNCDH constate que « les discours stigmatisants aux relents racistes et xénophobes n’ont pas disparu ». En cause, notamment, la crise sanitaire, qui a permis aux « théories complotistes antisémites » de se déployer, et la campagne présidentielle, « marquée par le retour obsessionnel des thématiques migratoire et sécuritaire ».

 

Malgré ce contexte, l’indice longitudinal d’acceptation des minorités, variant de 0 (intolérance absolue) à 100 (tolérance absolue), instrument-phare du rapport, n’indique pas de poussée d’intolérance. C’est même tout le contraire, il n’a jamais atteint un niveau aussi haut : il est désormais de 68, soit une progression de 2 points par rapport à 2019 et de 3 points par rapport aux pics de 2017 et de 2009.

« Record d’ouverture »

Les auteurs évoquent « un record d’ouverture ». « A partir de décembre [2021], la cinquième vague de l’épidémie de Covid-19, suivie, en février, de l’invasion russe de l’Ukraine, et plus généralement le contexte d’inquiétudes massives sur la question du pouvoir d’achat ont mis au second plan ces enjeux identitaires (…). Ces éléments peuvent expliquer les évolutions positives relevées dans la vague 2022 du baromètre de la CNCDH », avancent les auteurs.

En parallèle, la part des Français qui se considèrent eux-mêmes comme racistes continue de diminuer depuis vingt ans pour atteindre cette année un niveau historiquement bas : 15 % des répondants se disent plutôt racistes (3 %) ou un peu racistes (12 %). Des pourcentages en baisse de 3 points par rapport à 2019. En 2000, 43 % des Français interrogés se disaient plutôt ou un peu racistes.

 

Les personnes les plus âgées sont les plus nombreuses à se déclarer racistes (20 % des personnes âgées de 60 ans et plus contre seulement 6 % des jeunes de 18 à 24 ans) ainsi que les sympathisants du Rassemblement national (43 %, dont 12 % qui se disent plutôt racistes). La conception biologique du racisme continue elle aussi d’être de plus en plus marginale : seuls 6 % des Français considèrent qu’il y a des races supérieures à d’autres, un chiffre stable par rapport à 2019, mais qui a baissé de 8 points en vingt ans.

Le rapport s’appuie sur plusieurs instruments afin de mesurer les niveaux d’acceptation de l’autre des Français. Le « Baromètre racisme » d’abord, un sondage réalisé chaque année depuis 1990. Financé par le service d’information du gouvernement, il est conduit en face-à-face auprès d’un échantillon de 1 352 personnes représentatives de la population adulte résidant en France métropolitaine, reflet de sa diversité − un peu plus d’un tiers des sondés en mars-avril a au moins un parent ou un grand-parent étranger. Ce volet permet d’évaluer les préjugés envers l’autre et de construire l’indice longitudinal de tolérance.

« Préjugés tenaces »

A ce baromètre s’ajoutent plusieurs instruments statistiques provenant notamment de la Plate-forme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, spécialisée dans la lutte contre la cybercriminalité, et des ministères concernés, tels que le ministère de la justice pour les affaires de contentieux racistes, le ministère de l’éducation nationale pour les violences à caractère raciste en milieu scolaire ou encore le ministère de l’intérieur pour les procédures enregistrées par les services de police et de gendarmerie relatives aux infractions commises en raison de la race, de l’origine, de l’ethnie ou de la religion, selon les chiffres du service statistique ministériel de la sécurité intérieure.

 

Si les opinions discriminantes sont le plus souvent en baisse et les attitudes discriminatoires majoritairement condamnées (par 57 % des personnes interrogées), certaines communautés continuent malgré tout d’être particulièrement stigmatisées, malgré une progression de l’indice longitudinal de tolérance. Ainsi des populations rom, soumises « aux préjugés les plus tenaces et les plus assumés » (55 % des répondants continuent de penser qu’ils exploitent très souvent les enfants), et des citoyens de confession juive (37 % considèrent que les juifs ont un rapport particulier à l’argent), « boucs émissaires commodes et récurrents », victimes une fois encore des « vieux clichés » convoqués et instrumentalisés pour expliquer les maux de l’époque.

L’islam est, quant à lui, la religion la moins bien perçue des grandes religions présentes en France – 31 % des Français en ont une perception positive, 28 % le perçoivent négativement – et reste considéré par 38 % des Français comme une menace pour l’identité française, le plus souvent au nom de la laïcité. De plus, 29 % des Français ont le sentiment que les musulmans constituent un groupe à part dans la société française – à noter que la pandémie de Covid-19 et les controverses sur l’origine chinoise du virus ont renforcé les préjugés envers les Chinois pour en faire cette année le groupe le plus souvent perçu comme « à part » après les musulmans.

 

Pour autant, autre paradoxe, 83 % des personnes interrogées estiment que les Français musulmans sont des Français comme les autres. Conséquence, ils sont 81 % à considérer qu’il faut permettre aux musulmans d’exercer leur religion dans de bonnes conditions. Ainsi, seuls 18 % estiment que le jeûne du ramadan pose problème. Mais il n’en va pas de même pour toutes les pratiques. Ainsi, le port du voile est un problème pour 50 % des répondants, le port du voile intégral pour 75 % d’entre eux et l’interdiction de montrer l’image du prophète Mahomet pour 48 %.

Actes de haine en hausse

Ces éléments mettent en lumière un autre paradoxe : si les enquêtes reflètent un bon niveau d’acceptation de l’autre, les actes de haine, eux, sont en constante augmentation, tandis que les discriminations perdurent. Des faits qui restent très peu déclarés, est-il déploré, les victimes ne portant pas plainte. Selon les données du ministère de l’intérieur, l’année 2021 est marquée par un retour à un niveau élevé de faits à caractère antisémite : s’ils ont diminué de 14 % par rapport à 2019 (589 faits contre 687), ils ont en revanche augmenté de 73 % par rapport à 2020 (589 faits contre 339). En outre, les atteintes aux lieux de culte et cimetières juifs ont augmenté de 87 % entre 2020 et 2021 (+ 31 % par rapport à 2019).

 

Les faits antimusulmans ont, quant à eux, diminué de 9 % entre 2020 et 2021 (213 faits en 2021 contre 234 en 2020). Toutefois, 154 faits avaient été recensés en 2019, soit une augmentation de 38 % entre 2019 et 2021. Par ailleurs, 107 atteintes contre les mosquées et les centres culturels musulmans ont également été recensées sur le territoire national ainsi que contre deux cimetières musulmans (contre 80 en 2020 et 58 en 2019). Les « autres faits racistes », catégorie incluant les atteintes aux personnes noires, arabes, asiatiques, rom, etc., ont augmenté de 8 % par rapport à 2019 (1 326 contre 1 142), atteignant un pic absolu.

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Louise Couvelaire

 

 

 

Source : Le Monde (Le 18 juillet 2022)

 

 

 

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