De New York à Tunis, le rire sans frontières d’Imen Lahmar

Humoristes africains (6/7). L’artiste franco-tunisienne, qui a débuté outre-Atlantique sous le nom de Meniways, a organisé en mai une première résidence de stand-uppers en Tunisie.

 Le Monde – Son mètre quatre-vingt vous intimide ? « Moi je suis Française et comme tous les Français, je n’aime pas trop ce qui est sensationnel. Quand on me demande quelle taille je fais et que je réponds “1 mètre 80”, on me dit “Tu te la racontes”. Depuis, je suis à 1 mètre 79, ça passe beaucoup mieux », plaisante-t-elle face à son public.

Franco-tunisienne de 40 ans, Imen Lahmar s’inspire volontiers de ses supposés complexes et des « indélicatesses du quotidien », comme elle les qualifie, pour faire rire les autres. « Pour ma mère, c’est complètement incompatible d’être grande, artiste, âgée de 40 ans et de pouvoir trouver un mari. Selon elle, je ne suis pas accomplie. Mais c’est justement là-dessus que je vais jouer », explique-t-elle.

Imen Lahmar a su créer différents alter egos autour de son humour, mélange de cynisme et d’autodérision : Meniways sur scène ou Meni Gilliger, une « coach en destruction personnelle » qu’elle a incarnée sur Instagram, notamment pendant la pandémie de Covid-19, pour amuser ses quelque 23 000 abonnés. Ce personnage de conseillère sans morale donne des astuces pour détruire un dîner convivial entre amis ou saper une relation amoureuse.

 

Caméléon, Imen Lahmar dégaine ses vannes en français, en anglais, parfois en dialecte tunisien et revendique même, dans sa bio Instagram, de pouvoir parler en urdu si elle le souhaite. A New York, où elle a débuté sur scène, elle se moque des Parisiens, tellement cyniques comparés à l’amabilité extrême – voire superficielle – des Américains ; à Tunis, des coiffeuses aux jugements un peu trop intrusifs ; et à Paris, de ses potes « blancs » qui lui réclament des gâteaux de l’Aïd parce qu’elle est Tunisienne.

Elle-même dit ne pas avoir de tabou, quelle que soit la culture dans laquelle elle évolue. « Je suis musulmane mais pas d’inquiétude, je prends aussi de l’ecsta, je fais partie des plus cool ! », lance-t-elle ainsi dans l’un de ses spectacles new-yorkais.

 

« J’avais peur de décevoir mes proches »

 

Elevée entre le pavillon familial du Val-de-Marne et les vacances sur la côte tunisienne, elle cultive sa binationalité et son attachement à la Tunisie, mais s’inspire rarement du thème de l’immigration pour ses sketchs. Une façon de se démarquer de certains de ses aînés. « Je me sens complètement française lorsque je suis en France et tunisienne en Tunisie, donc même si c’était une très belle période de l’humour avec Gad Elmaleh ou Jamel Debbouze autour de cette génération issue de l’immigration, aujourd’hui c’est bien aussi d’aller vers autre chose », explique-t-elle.

Et si dans ses spectacles, elle fait parfois référence à ses origines, c’est pour mieux se moquer de croyances farfelues, comme lorsqu’elle prétend que sa mère a voulu lui présenter un « guérisseur », sorte de charlatan supposé la guérir de son incapacité à trouver un mari. Ses blagues tournent autour des maux de la société, l’hypersensibilité, la crise sanitaire, la fatigue du couple ou encore les pressions culturelles. Elle s’inspire des récits de ses amis en couple, « qui viennent toujours se plaindre à moi, dit-elle, alors que je suis célibataire ».

 

Contrairement à d’autres artistes de stand-up qui, au sommet de leur carrière, vont tenter leur chance aux Etats-Unis, elle a fait le chemin inverse en commençant à New York en 2018. « C’était vraiment une initiation, le public est assez empathique avec l’humoriste, il respecte le fait que ce ne soit pas un exercice facile de monter sur scène », explique Imen Lahmar, qui a travaillé plusieurs années comme consultante médias avant d’oser se lancer pour de bon.

Elle passe par Montréal avant de revenir en France en 2019 et d’enchaîner les clubs, en catimini, pour roder sa performance. « C’était assez difficile. Il fallait repartir de zéro, écrire en français, faire face à un autre public. Je ne voulais pas trop que mes proches sachent ce que je faisais, j’avais peur de décevoir. »

 

Mélanger des humoristes francophones

 

En prise au doute et aux remises en question, et alors qu’elle se retrouve privée de scène pendant la pandémie, elle développe l’idée d’une résidence d’humoristes, « un peu à la manière de celles pour l’écriture ou la musique ». Elle veut apprendre à « mieux structurer certains procédés humoristiques, prendre de la hauteur » et ne pas juste se contenter de « l’évaluation du public, même si elle reste la plus importante ». Le projet, nommé « Farahni » (« rends-moi heureux », en dialecte tunisien), s’est matérialisé en mai à Tunis.

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Source : Le Monde (Le 16 juillet 2022)

 

 

 

 

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