En Côte d’Ivoire, un projet de légalisation de la polygamie suscite la controverse

Les féministes du pays s’opposent vivement à la proposition de loi d’un député de la majorité selon lequel le régime matrimonial actuel est une « hypocrisie ».

Le Monde « Il n’y a pas de polygamie en Côte d’Ivoire, il y a des hommes qui ont plusieurs maîtresses. Dites les choses avec leurs mots, il s’agit de personnes qui se sentent contrariées par la fidélité dans le ménage ! » Constance Yaï, ancienne ministre ivoirienne de la solidarité et de la promotion de la femme, n’a pas caché sa colère lundi 11 juillet, lors d’une conférence de presse organisée par la Ligue ivoirienne des droits des femmes.

Cette pionnière du féminisme ivoirien s’insurgeait contre la proposition de loi sur la légalisation optionnelle de la polygamie, déposée le 30 juin à l’Assemblée nationale par Yacouba Sangaré, député de la majorité présidentielle (RHDP).

 

Le parlementaire, élu dans la commune abidjanaise de Koumassi, souhaite remettre en cause le mariage monogamique institué dans le pays en 1964. Il veut donner la possibilité d’avoir plusieurs conjointes ou conjoints en accord avec le ou la future marié(e). Une modification de la loi sur le mariage censée, selon lui, être davantage en phase avec la réalité du pays.

« La polygamie est un sujet tabou dans notre société alors qu’elle est vécue quotidiennement », assure le député RHDP qui dit mener des enquêtes sociologiques et travailler sur le sujet depuis 2014. Il estime qu’elle est pratiquée par droit coutumier « dans toutes les régions de la Côte d’Ivoire, toutes les couches sociales, toutes les religions ». Selon lui, si la loi qui impose la monogamie n’est pas appliquée sans pour autant entraîner des sanctions, « cela signifie que la société la tolère ».

 

« Des conséquences malsaines »

 

Le député, qui a présenté sa proposition à la presse le 7 juillet en compagnie de plusieurs collègues masculins, assure d’ailleurs avoir de nombreux soutiens dont des femmes au sein du Parlement et ne compte pas reculer face aux oppositions. Car, assure-t-il, il s’agit aussi de protéger les épouses. « Parfois, la situation est sue et vue de tout le monde, la coépouse fait partie de la famille, mais elle est dans une précarité absolue parce qu’elle n’est pas mariée », justifie-t-il, affirmant que le régime matrimonial actuel est une « hypocrisie ».

« Peut-être, mais lever cet interdit, ce n’est pas la bonne solution, rétorque Bintou Mariam Traoré, militante féministe membre de la Ligue, célèbre pour son hashtag #vraiefemmeafricaine qui a inondé les réseaux sociaux en mars 2020 afin de dénoncer et tourner en dérision les injonctions faites aux femmes du continent. Il faut plutôt mettre l’accent sur le contrôle et la pénalisation de ces hommes qui marient plusieurs femmes. »

 

Selon la loi, les polygames sont passibles de 6 mois à 3 ans d’emprisonnement et les personnes coupables d’adultère de 2 mois à 1 an de prison. Pourtant, « il n’y a pas encore eu de condamnation jusqu’ici, à ma connaissance », reconnaît Sylvia Apata, juriste et consultante en droits des femmes. Une impasse qui s’explique par les pesanteurs socioculturelles, selon cette spécialiste : « Les femmes n’osent pas saisir la justice contre leur mari infidèle, car on leur a fait comprendre qu’il était normal qu’un époux se comporte ainsi. »

Or, « la polygamie a des conséquences malsaines, poursuit-elle. On dit qu’on leur laisse le choix mais, pour une très grande majorité, les femmes sont forcées. Elles voient leur intégrité morale piétinée. Elles sont, de fait, plus exposées aux maladies sexuellement transmissibles. Et si elles ne font pas partie des préférées, elles devront éduquer leur enfant seule ».

 

Une loi inconstitutionnelle ?

 

Les droits des femmes connaissent pourtant quelques avancées en Côte d’Ivoire depuis les années 1990. Le pays a signé en 1995 le protocole de Maputo, une charte de l’Union africaine garantissant l’égalité de genre dans tous les domaines. Dans cette charte, l’article 6 assure que « les droits de la femme dans le mariage et au sein de la famille y compris dans des relations conjugales polygamiques sont défendus et préservés ».

En 2012, les députés ivoiriens ont voté une nouvelle loi sur le mariage qui stipule que l’« homme n’est plus le chef de famille » et que « la famille est gérée conjointement par les époux dans l’intérêt du ménage et des enfants ». Les militantes féministes affirment que la proposition de Yacouba Sangaré est également contraire à l’article 4 de la dernière Constitution ivoirienne, votée en 2016, qui garantit l’égalité entre les hommes et les femmes, et qu’elle ne pourra donc pas passer l’étape du Conseil constitutionnel.

Le député se défend, lui, en insistant sur le mot « polygamie », soit la possibilité pour une personne peu importe son sexe de se marier plusieurs fois. « Il n’y a pas de discrimination, ça peut aller dans les deux sens », assure-t-il, bien que les « réalités africaines » qu’il évoque acceptent largement la polygynie – un homme marié à plusieurs femmes – mais bien plus rarement la polyandrie – une femme mariée à plusieurs hommes.

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Source : Le Monde 

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