Le Ghana, acculé par sa dette, retourne voir le FMI

L’initiative est un revirement pour le pays, qui avait théorisé la fin de la dépendance à l’aide internationale.

Le Monde  – La pilule est amère pour le gouvernement du Ghana. Le président Nana Akufo-Addo a dû annoncer, le 1er juillet, que le pays solliciterait de nouveau l’aide financière du Fonds monétaire international (FMI), quelques jours après de nouvelles manifestations organisées à Accra, la capitale, contre la vie chère. L’institution a aussitôt accepté la requête et dépêché une délégation dans le pays.

« Le FMI est prêt à aider le Ghana à rétablir sa stabilité macroéconomique, à préserver la viabilité de sa dette et à promouvoir une croissance inclusive et durable, a indiqué le FMI dans un communiqué, ainsi qu’à faire face à l’impact de la guerre en Ukraine et de la pandémie persistante. » Et de conclure : « Nous nous réjouissons de notre engagement avec les autorités d’Accra. »

 

A la Jubilee House, le palais présidentiel, l’ambiance n’est pas à la fête. Il faut dire que, depuis six ans, la doctrine « Ghana Beyond Aid » était l’un des piliers de la rhétorique électorale de Nana Akufo-Addo, qui en avait fait l’emblème de la souveraineté nationale. Le programme du même nom, lancé en 2018 et destiné à sevrer le pays, grand exportateur de cacao, d’or et de pétrole, de l’aide internationale, semblait porter ses fruits.

En 2019, le président avait mis fin en grande pompe à l’accord signé avec le FMI par son prédécesseur, John Dramani Mahama – un prêt d’environ 1 milliard de dollars (998 millions d’euros), en contrepartie d’un plan de rigueur budgétaire –, et promis solennellement que le pays avait, enfin, obtenu son indépendance économique. Une émancipation de l’assistance des pays riches qui avait valu au chef de l’Etat ghanéen une certaine aura sur la scène continentale.

Une inflation qui s’envole

C’était compter sans les crises successives du Covid-19 et la guerre en Ukraine, dont les répercussions ont ébranlé toutes les économies ouest-africaines. La dette ne cesse de s’alourdir et atteint désormais 78 % du produit intérieur brut (PIB) contre 62,5 % il y a cinq ans. Dans le même temps, l’inflation s’est envolée, en mai, à plus de 27 %, du jamais-vu depuis dix-huit ans.

Le gouvernement a bien tenté, ces derniers mois, de muscler sa politique fiscale avec la mise en place de la très controversée « taxe e-levy » sur les transactions électroniques, et de baisser les dépenses publiques, en réduisant notamment le nombre de ministres, sans grand succès. Soucieux de retrouver un accès aux marchés financiers internationaux, dont il s’est brutalement trouvé exclu, le pays était acculé, mais le coup est rude. C’est la dix-septième fois de son histoire que le Ghana appelle le FMI à l’aide.

 

« Le Nouveau Parti patriotique [NPP, au pouvoir] se présente, depuis la campagne présidentielle de 2016, comme le meilleur gestionnaire possible de l’économie ghanéenne, explique le politologue ghanéen Emmanuel Gyimah-Boadi, directeur du bureau de recherche panafricain Afrobarometer. Selon eux, l’adhésion au programme du FMI en 2016 était une honte pour le Ghana, le symptôme de l’incompétence et de la gabegie du gouvernement de Mahama. Cette volte-face est extrêmement embarrassante pour eux. »

Les internautes ont ainsi repartagé en masse une interview du député de la majorité Kennedy Agyapong, datant de février, où il déclarait sur la radio locale Asaase : « Tout gouvernement qui s’adresse au FMI est un gouvernement qui a échoué. »

Assainir les finances publiques

Sur le fond, souligne Emmanuel Gyimah-Boadi, l’opinion publique digère mal ce revirement, vécu « comme un affront, une atteinte à la souveraineté du Ghana. Pour beaucoup de Ghanéens, c’est la fierté nationale qui est en jeu ». Mais certains militants de la société civile, très critiques vis-à-vis de la politique économique du NPP, estiment que le recours au FMI pourrait enfin permettre de changer les choses.

« La pandémie et les problèmes d’approvisionnement provoqués par la guerre russo-ukrainienne n’ont fait que révéler une mauvaise gestion des finances publiques, reconnaît le politologue. Et cette discipline, le FMI saura l’imposer, car il dispose de leviers que nous, les défenseurs de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, n’avons pas. »

 

L’adhésion au programme, espère l’analyste, devrait contribuer à assainir les finances publiques, en endiguant la corruption d’abord, mais aussi en mettant un terme aux « éléphants blancs » du gouvernement Akufo-Addo, à l’image du projet très controversé d’une cathédrale nationale confié à l’architecte star David Adjaye, et dont le coût estimé est de 345 millions d’euros.

Le compte Twitter du mouvement #FixTheCountry, aux avant-postes de la lutte contre la vie chère ces derniers mois, en a profité pour lancer le hashtag #MessageIMF et encourager les internautes à adresser directement leurs doléances au FMI. « Faites-leur savoir ce que nos politiciens ne leur disent pas », tweetait le mouvement, le 5 juillet. Dimanche 10 juillet, #FixTheCountry est allé jusqu’à appeler à « mettre le gouvernement ghanéen sous la tutelle de son peuple », en soumettant les décisions prises dans le cadre des négociations avec le FMI à un référendum national.

Lire la suite

Marine Jeannin

Source : Le Monde 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page