
Côte d’Ivoire, se raser entièrement la tête. « On nous expliquait qu’une fille à chevelure risquait de séduire les garçons… et les professeurs », dit-elle en levant les yeux au ciel.
Laetitia Ky n’a aucun souvenir d’elle, enfant, les cheveux au naturel. Sur les photos de famille, elle est toujours défrisée ou tressée. Elle se rappelle en revanche, au détail près, sa « première humiliation ». En arrivant au collège public, elle a dû, comme toutes les filles enC’est à l’âge de 16 ans, juste après le baccalauréat, que débute « l’histoire particulière » de ses cheveux. Après les avoir traités avec des « produits ultra-chimiques », ses tresses se détachent les unes après les autres de sa tête. Abîmés, ses cheveux peinent à repousser. Dévastée, la jeune femme cherche sur Internet, « de manière obsessionnelle », des réponses et des solutions à ses problèmes capillaires. Elle tombe sur des images de « la communauté afro-naturelle » et notamment de femmes noires des époques précoloniale, coloniale et contemporaine qui arborent leur chevelure authentique.
Une découverte épiphanique qui agit comme un « déclic ». Dans sa chambre, l’étudiante en licence de commerce à Yamoussoukro trompe son ennui en reproduisant ce qu’elle voit, ces « sculptures de formes abstraites ou géométriques, décorées avec de l’or, des perles et des cauris » que ces femmes arborent fièrement sur la tête. Elle est encore une anonyme sur les réseaux sociaux, mais ses premières sculptures capillaires sont déjà largement partagées et suscitent de très nombreux commentaires d’internautes ivoiriens. En 2017, elle réalise avec ses tresses son « premier montage complexe » en reproduisant une paire de mains figée. La photo devient virale et propulse Laetitia Ky dans une autre dimension.
« Mon art aide les gens »
Aujourd’hui, la jeune femme de 26 ans est considérée comme une icône du cheveu. Avec 6 millions d’abonnés sur Tiktok, 500 000 sur Instagram et 100 000 sur Facebook, elle est l’artiste ivoirienne la plus suivie sur les réseaux sociaux. « Au début, je faisais ça pour la beauté visuelle, mais je me suis rendu compte, sans le vouloir, que mon art aidait les gens », explique-t-elle. Elle évoque ces mères de famille, pour la plupart afro-américaines, qui lui ont raconté avoir su convaincre leur fille de ne pas se défriser les cheveux grâce à ses photos. Des témoignages qui servent alors de carburant à cette grande angoissée.
L’influenceuse décide de « donner du sens » à ses réalisations en allant puiser dans ses convictions politiques personnelles. « Ma première création féministe, je l’ai faite pour soutenir le mouvement #MeToo. » Son militantisme féministe n’a rien d’opportuniste. Il est directement inspiré de son « histoire et des expériences vécues ici », précise-t-elle. Harcèlement, agression sexuelle, violence… Laetitia Ky réalise que ses cheveux sont aussi une arme politique efficace pour dénoncer « ces maux de la société que subissent les femmes » et dont elle aussi été victime à l’adolescence.
Elle se greffe régulièrement à différents combats et revendications de l’époque sur les réseaux sociaux. C’est le cas à l’automne 2020, quand elle affiche son soutien au mouvement de révolte contre les violences policières au Nigeria. Ou quand, régulièrement, elle témoigne de sa solidarité à l’égard des victimes d’armes à feu, notamment aux Etats-Unis. A tel point qu’elle est aujourd’hui beaucoup plus suivie au Nigeria et aux Etats-Unis qu’en Côte d’Ivoire ou en France, ce qui a d’ailleurs poussé cette francophone résidant aujourd’hui à Abidjan à apprendre l’anglais.
Si sa messagerie est remplie de témoignages et de remerciements de femmes des quatre coins du monde, elle déborde aussi de messages haineux et de menaces de mort. « Avortement, menstruation, pilosité, patriarcat… Tout ce que je poste devient polémique », constate-t-elle. Un rapide tour sur ses réseaux sociaux permet de cerner le champ de bataille. Chaque publication draine son lot de commentaires d’hommes mécontents de voir cette jeune Ivoirienne montrer les poils de son corps ou raconter par le menu ses règles douloureuses.
Mannequinat et cinéma
Sa fibre artistique et sa très forte exposition sur le Web ont naturellement attiré les grandes marques en quête de créateurs de contenus et d’ambassadeurs. En contrat depuis 2019 avec Elite, la célèbre agence de mannequins, Laetitia Ky gère aujourd’hui à merveille son capital capillaire. Elle a tour à tour collaboré avec Burberry, Apple, Pinterest, Facebook et Marc Jacobs. Autant de partenariats qui lui ont rapporté de très gros cachets : « Je ne suis pas encore milliardaire mais je gagne très bien ma vie », plaisante-t-elle. Pour autant, elle n’accepterait pas tout, comme faire de la publicité pour des groupes de spiritueux.
En avril, elle a publié son premier ouvrage, dans lequel elle raconte son parcours, illustré de 100 nouvelles photos d’elle. De nombreuses maisons d’édition américaines l’ont courtisée, désireuses de profiter de son influence grandissante auprès de certains publics.
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