
Président en exercice de l’Union africaine (UA), Macky Sall doit s’entretenir, vendredi 10 juin, avec Emmanuel Macron. Une visite qui intervient une semaine après la rencontre entre le chef de l’Etat sénégalais et son homologue russe à Sotchi, sur les bords de la mer Noire.
Lors de cet échange, Macky Sall a demandé le déblocage des céréales et des engrais d’Ukraine et de Russie qui ne parviennent plus sur le continent depuis le début de la guerre en février et menacent la sécurité alimentaire de millions d’Africains.
Vous vous êtes dit rassuré par votre rencontre avec Vladimir Poutine. Quelles assurances avez-vous reçues de sa part ?
Ce qui me rassure tout d’abord, c’est que l’on a pu expliquer longuement les attentes du continent africain. Celles qui relèvent de la Russie et celles qui relèvent des autres parties telles que l’Union européenne (UE) ou les Etats-Unis, qui ont imposé des sanctions ayant entraîné des difficultés d’approvisionnement. Ce que m’a dit Vladimir Poutine, c’est qu’en fonction des disponibilités dans le port d’Odessa et à condition que l’Ukraine enlève les mines qu’elle a posées, la Russie est disposée à ne pas intervenir dans cette région pendant ces opérations [de transport de céréales] qui se feraient avec le concours des Nations unies ou d’autres partenaires.
Pour vous, ce sont les sanctions occidentales qui sont responsables de ce blocage ou, comme le dit le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, le Kremlin qui entretient volontairement l’insécurité alimentaire ?
Nous subissons les deux maux. Il y a d’abord les conséquences de la guerre en Ukraine. Mais les sanctions qui ont frappé la Russie, avec notamment le blocage du système de paiement Swift, ont handicapé des pays comme les nôtres pour accéder aux produits russes. Pour le paiement du gaz, un mécanisme a pu être trouvé.
Nous demandons donc qu’il en aille de même pour les difficultés logistiques dans les ports et permettre le paiement des céréales et des engrais avec lesquels nous cultivons. Nous produisons en moyenne avec 17 kg d’engrais par hectare quand en Europe, 100 kg par hectare sont utilisés. Notre agriculture est déjà peu productive. Mais s’il n’y a plus d’engrais ou que le prix est multiplié par trois, il y aura véritablement un risque de famine dans les prochains mois.
Vous dites que vous allez bientôt avoir une réunion par visioconférence avec Volodymyr Zelensky. Quelles solutions de sortie de crise peut apporter l’Union africaine ?
L’Union africaine n’est pas belligérante. Elle peut déjà plaider pour l’arrêt de cette guerre. Il faut un cessez-le-feu et ensuite que les discussions puissent s’engager afin de trouver une solution. L’Afrique souhaite ne pas être la principale victime. L’Asie arrive à commercer avec la Russie. L’Europe a pu trouver un mécanisme pour le gaz. Les Etats-Unis achètent des engrais mais nous, les plus faibles, qu’est-ce qu’on fait ? Nous ne sommes pas vraiment dans le débat de qui a tort, qui a raison. Nous voulons simplement avoir accès aux céréales et aux fertilisants. Nous sommes aujourd’hui coincés entre le marteau de la guerre et l’enclume des sanctions.
Vous avez dit avoir été soumis à de fortes pressions avant le vote en mars de la résolution condamnant l’agression russe contre l’Ukraine par l’Assemblée générale des Nations unies, pour lequel le Sénégal s’est abstenu. Pourriez-vous en dire plus ?
Le Sénégal n’a pas reçu de pressions à proprement parler, mais des demandes de partenaires amis de l’UE, des Etats-Unis. Beaucoup d’autres pays ont reçu les mêmes pressions amicales pour leur dire de voter dans tel ou tel sens. Les Etats africains ont, en fait, voté dans la diversité, il n’y a pas eu une position commune. Il faut dire simplement que ceux qui n’ont pas voté la résolution ne sont pas contre les pays qui l’ont initiée ou ne sont pas pro-Russes.
L’Afrique souhaite attirer l’attention sur le fait que nous avons aussi nos problèmes et que ceux-ci sont encore plus sérieux depuis la crise du Covid-19. Nous avons travaillé avec l’UE, des partenaires bilatéraux aussi, comme la France, avec laquelle nous nous sommes mobilisés sur le financement de l’économie africaine, sur la nécessité d’une réallocation de droits de tirage spéciaux des pays riches vers les pays en développement. Sur le tirage de 650 milliards de dollars [611 milliards d’euros] qui a été fait, l’Afrique n’en a reçu que 33 milliards, soit 5 %, et ce débat n’avance pas depuis un an. Malgré les engagements de tous les partenaires, cela n’est pas encore mis en œuvre. La guerre est arrivée dans ce contexte et l’on a voulu que les Africains se prononcent absolument.
Votre abstention a-t-elle été un sujet de friction avec Emmanuel Macron ?
On ne peut pas avoir de frictions pour cette raison, ce ne serait pas démocratique. Nous sommes souverains et libres de nos choix. On peut se comprendre ou pas, mais cela ne doit pas remettre en cause la solidité de nos relations. Il ne faut pas que ce conflit ou ce vote soit une pomme de discorde avec la France, l’Europe, les Etats-Unis. Mais il faut que les pays du Nord essaient de comprendre les motivations des votes en Afrique. Nous défendons nos intérêts, comme tout le monde.
La junte au pouvoir au Mali a annoncé prolonger de deux ans la transition, jusqu’à fin mars 2024. Est-ce acceptable pour vous, sachant que la plupart des Etats de la région attendent une levée de l’embargo sur ce pays qui affecte aussi leur économie ?
Depuis janvier, nous avons imposé des sanctions contre le Mali. Ce n’était pas de gaieté de cœur que nous l’avons fait, parce que nous savons bien que les sanctions impactent les populations et l’économie malienne, qui étaient déjà en souffrance. Mais c’était un moyen de pousser les autorités militaires à négocier un calendrier électoral de transition acceptable. Au départ, ils parlaient de six ans.
Finalement, ils sont arrivés à vingt-quatre mois quand la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) avait estimé que seize mois suffisaient. Lors de notre dernier sommet, le médiateur avait proposé une feuille de route qui nous projetait sur la tenue d’élections ne dépassant pas mars 2024.
Le calendrier malien est donc acceptable ?
Nous leur avons dit que nous en prenions acte mais qu’ils devaient se donner les moyens, d’ici au mois prochain, de mettre en œuvre les différentes étapes de la feuille de route et que tout le monde s’engage dessus. Nous serons alors objectivement dans les conditions de pouvoir lever les sanctions qui font très mal au Mali, à la sous-région et au Sénégal.
La capacité de résolution des crises de la Cédéao n’a-t-elle pas été entamée par la décision de plusieurs chefs d’Etat de la région de modifier leur Constitution pour briguer un troisième mandat et limiter ainsi les possibilités d’alternance ?
Je ne le pense pas, pour la simple et bonne raison que le troisième mandat a créé des problèmes dans certains pays et pas dans d’autres. La faiblesse, si on peut parler ainsi, de notre organisation régionale, découle plutôt du fait que les solutions que nous pouvons mettre en œuvre, y compris l’intervention armée, deviennent de moins en moins évidentes. Il fut un temps où la Cédéao intervenait directement militairement. Nous l’avons fait au Liberia, en Sierra Leone, en Gambie récemment. Si nous continuions à le faire, nous pourrions trouver des solutions plus rapidement.
L’introduction de puissances étrangères en Afrique rend cependant la tâche difficile. Aujourd’hui, si vous voulez sanctionner un pays et que vous avez besoin d’une résolution au Conseil de sécurité, il y a de fortes chances que des pays qui disposent du droit de veto s’y opposent. Ça rend la solution plus compliquée pour les organisations africaines, ce qui est un peu à l’image des Nations unies, où il y a des sujets sur lesquels on ne peut pas avancer.
Que pensez-vous de l’arrivée dans un certain nombre de pays d’Afrique du groupe de sécurité privée Wagner ?
Je condamne les mercenaires, quelle que soit leur origine. Mais les Maliens nous ont dit officiellement que ce ne sont pas des mercenaires, que c’est une coopération avec la Russie, ce qui change la donne. Cela signifie que la Russie est bien présente en Afrique et qu’elle essaie, comme toutes les autres puissances, d’étendre son influence. Maintenant il y a des accusations d’exactions. La lumière doit être faite rapidement.
S’agissant du Mali, après avoir salué l’intervention française en 2013, nous nous sommes battus pour obtenir un mandat robuste de la Minusma et que ses 14 000 hommes travaillent efficacement aux côtés des forces françaises. Nous n’y sommes pas parvenus, or je suis convaincu que, si cela avait pu être fait, on ne parlerait pas de Wagner. La lutte contre le terrorisme doit être globale. Il n’est pas normal que, lorsqu’il s’agit de combattre le terrorisme en Syrie ou en Afghanistan, on puisse avoir des coalitions mondiales et les moyens qu’il faut, et qu’il n’y ait qu’un pays ou deux mobilisés quand il s’agit de lutter contre le terrorisme au Sahel.
Au Sénégal, après décision du Conseil constitutionnel, les législatives du 31 juillet se feront sans les leaders d’une des principales coalitions de l’opposition, dont Ousmane Sonko. La justice n’est-elle pas devenue la meilleure arme de l’exécutif pour éliminer vos concurrents ?
C’est la parole des opposants. Il y a un peu moins de vingt jours, le Conseil constitutionnel a validé la liste de l’opposition à Dakar qui avait été rejetée par la Direction générale des élections, parce qu’elle ne respectait pas le principe de la parité hommes-femmes. On ne nous a pas entendus critiquer le Conseil. Nous avons accepté la décision.
Mais dès que l’opposition n’a pas gain de cause, elle insulte le Conseil constitutionnel, accuse le régime. Ce n’est pas une manière correcte de traiter les choses dans une République et nous ne laisserons pas ce pays être déstabilisé sur des bases antirépublicaines et antidémocratiques.
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