Entre l’Iran et le Maroc, une concurrence accrue en Afrique de l’Ouest

Rabat a renforcé, ces dix dernières années, sa diplomatie religieuse pour faire barrage aux velléités expansionnistes de Téhéran dans la région.

Courrier international – L’empire chérifien était historiquement considéré comme une “grande référence” pour les pays d’Afrique de l’Ouest. Avec l’arrivée au pouvoir du roi Mohammed VI [en juillet 1999], le Maroc a adopté une politique qui s’appuie sur la diplomatie religieuse, visant à affronter les ambitions du chiisme iranien sur le continent africain.

Le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération africaine du Maroc, Nasser Bourita, a déclaré mi-janvier, à la Chambre des représentants [première chambre du Parlement], que “l’Iran tente d’entrer en Afrique de l’Ouest pour répandre la doctrine chiite”, soulignant que “la sécurité spirituelle des Marocains et du continent africain constitue une priorité face aux ambitions iraniennes sur le continent”.

Les propos de Bourita révèlent que la tension persistant depuis des années entre Rabat et Téhéran ne se limite plus au Maroc, mais qu’elle s’étend au voisinage africain du royaume et dissimule un conflit autour du paradigme religieux.

L’expansionnisme chiite

“Le rôle joué par l’importante communauté libanaise affiliée au Hezbollah sur le continent africain à travers la propagande et la diffusion du chiisme duodécimain” aide l’Iran à s’infiltrer au cœur du continent africain et à répandre le chiisme, explique Fatima Al-Zahra Herat, chercheuse sur les questions religieuses.

Cette poussée s’est également appuyée sur d’autres méthodes, “dont l’octroi de bourses d’études en sciences religieuses aux étudiants africains, que ce soit en Iran ou dans d’autres pays du croissant chiite, comme le Liban et la Syrie, en plus des actions caritatives, fondées principalement sur l’aide humanitaire”, raconte Herat à Raseef22.

Des États-Unis à l’Inde en passant par la Russie, partout dans le monde le religieux gagne du terrain et se mêle de plus en plus de politique. Un jeu d’influence et d’intérêts que nous décryptons jusqu’à la fin juin sur notre site et dans l’hebdomadaire.

Herat estime que “les informations qui circulent sur l’étendue de l’expansion chiite dans les sociétés africaines varient entre ceux qui s’alarment de cette menace pour l’harmonie sociale et religieuse et ceux qui la sous-estiment, pensant qu’il ne s’agit que d’un phénomène sans conséquence”.

Il est en revanche certain que “l’Iran et les forces chiites qui lui sont associées ont pu nouer des liens avec des institutions et des courants islamiques locaux, notamment certains groupes soufis”, ajoute Fatima Al-Zahra Herat.

La spécialiste affirme que “le régime iranien tient à sa présence diplomatique dans plus de trente pays africains au moins, sans oublier la participation de quarante pays du continent au sommet afro-iranien à Téhéran en avril 2010, dont le Nigeria et la Guinée, pays à forte composante chiite”.

Le chercheur iranien en histoire et études du Moyen-Orient à l’université de New York Arash Azizi estime, pour sa part, que le régime iranien a une vision globale en vertu de laquelle il vise à étendre son influence partout, notamment dans le monde islamique.

“En Afrique du Nord, ils [les Iraniens] souhaitent répandre leur idéologie chiite, mais ils sont conscients des limites de cette démarche dans la plupart des pays de la région. Par conséquent, ils œuvrent pour former des alliances et se concentrer sur des causes comme le conflit israélo-arabe, en plus de nouer des relations diplomatiques pragmatiques, comme c’est le cas avec la Tunisie et l’Algérie.”

Soutien aux séparatistes du Front Polisario

 

Selon lui, le régime de Téhéran a échoué dans l’établissement de relations solides avec le Maroc, des diplomates [iraniens] ayant déjà tenté d’organiser des événements religieux sur le territoire du royaume, mais Rabat a toujours manifesté de la méfiance à l’égard des initiatives iraniennes, pour des raisons évidentes, dont le soutien de l’Iran au Front Polisario.

Selon le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, Téhéran apporte une aide “financière et logistique” au Front séparatiste Polisario par l’intermédiaire du “Hezbollah” libanais, qui fournit également une formation militaire aux séparatistes.

“La prise de conscience du Maroc vis-à-vis de la menace chiite ne date pas d’aujourd’hui, en effet, elle remonte aux années 1980. Dans un discours qu’il a prononcé devant le Conseil suprême des oulémas en 1984, le roi Hassan II [père et prédécesseur de Mohammed VI] avait explicitement mis en garde contre les dangers et les menaces liés à l’expansion du chiisme en Afrique de l’Ouest pesant sur la sécurité et la stabilité des pays du Maghreb”, explique Salim Hmimnat, professeur et chercheur spécialisé dans les affaires africaines à l’université Mohammed V de Rabat.

 

Redynamiser la politique religieuse

 

Les risques dont parlait le roi “s’inscrivent dans le cadre d’un conflit politique et religieux plus large, dans lequel de nombreux pays islamiques sunnites se sont unis pour affronter l’idéologie chiite et l’exportation de la révolution adoptée par l’Iran dans plusieurs régions du monde arabe et islamique”, fait-il part à Raseef22.

Mais dans le contexte actuel, “nous sommes confrontés à une concurrence aux données et aux enjeux géopolitiques complètement différents. Le royaume a ainsi adopté, ces dix dernières années, une stratégie religieuse structurée et plus intense, visant à pérenniser le modèle religieux marocain. En d’autres termes, la religion est devenue un facteur majeur pour mener à bien la politique africaine du Maroc et renforcer son influence selon une vision, une logique et des outils toutefois différents de la logique de conflits ou d’exclusion adoptée par certains pays”, constate Salim Hmimnat.

“Pour redynamiser sa politique religieuse orientée vers l’Afrique, selon la même source, le Maroc compte sur deux principales institutions religieuses : l’Institut Mohammed VI pour la formation des imams, notamment le programme de formation consacré à l’enseignement des imams étrangers d’Afrique subsaharienne, et la Fondation Mohammed VI des oulémas africains, avec ses trente-deux filiales réparties sur tout le continent.”

Source : Courrier international

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