Au Mali, les critiques montent contre la junte et sa « transition indéfinie »

Outre l’imam Dicko, des voix s’élèvent au sein des organisations politiques, des syndicats et même de l’armée face au manque d’avancées des autorités.

Le Monde  – Jusqu’à présent, la junte au pouvoir au Mali avait réussi à faire taire les opinions dissidentes. Mais l’omerta a été rompue par la seule personnalité capable de contester publiquement le régime de transition sans craindre l’arrestation. A la fois respecté pour son autorité morale et redouté pour sa capacité de mobilisation, l’imam Mahmoud Dicko est sorti de sa mosquée pour fustiger « l’arrogance » des dirigeants et « l’orgueil de la communauté internationale ». « Le peuple malien est pris en otage », a-t-il déploré lors d’un forum sur la sécurité organisé à Bamako le 26 mai.

L’imam Dicko avait été une figure majeure de la contestation populaire organisée contre le régime jugé corrompu d’Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », jusqu’au coup d’Etat d’août 2020 qui a conduit les militaires au pouvoir. Depuis la chute de l’ancien président, il était resté discret. Sa sortie n’est donc guère passée inaperçue. « Le peuple est trimballé entre des gens qui veulent une transition indéfinie et des gens qui ont des principes », a-t-il déclaré en référence aux négociations qui patinent depuis des mois sur la date d’organisation des élections, initialement prévues en février 2022.

 

En janvier, la junte avait proposé à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) de rester au pouvoir encore cinq ans et demi, suscitant la colère de ses partenaires régionaux, qui avaient répliqué par l’instauration d’un embargo économique. A la veille d’un nouveau sommet extraordinaire de la Cedeao, samedi 4 juin à Accra, les autorités maliennes se retrouvent sous pression dans leur propre pays. Aucune manifestation n’a pour l’heure été décidée, mais la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS) a demandé à ses membres, dans un communiqué publié le 28 mai, de rester « mobilisés en attendant son mot d’ordre ».

Le même jour, une partie du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), le regroupement d’organisations politiques et civiles qui avait mené la révolte populaire contre IBK aux côtés de Mahmoud Dicko, a réclamé la démission du premier ministre Choguel Maïga lors d’une conférence de presse. Egalement président du comité stratégique du M5-RFP, Choguel Maïga est accusé par les siens de gouverner sans consulter et de vouloir transformer le conglomérat « en un mouvement à sa solde ». « Pour la suite, les consultations se poursuivent pour un grand rassemblement de tous les Maliens », a averti le mouvement dans un communiqué.

« Les sanctions ne sont plus tenables »

Après sa nomination en juin 2021, le premier ministre avait été encensé par une grande partie de la population pour avoir osé lancer la confrontation avec l’ancienne puissance coloniale française. Mais les critiques montent depuis quelques semaines. Fin avril, certains membres du Conseil national de la transition (CNT), l’organe législatif du régime, lui avaient reproché le manque d’avancées de son programme d’action gouvernemental, censé jeter les bases de la refondation de l’Etat. « Vous n’avez réalisé que 30 %. Soit 3 sur 10. Une note de renvoi, si nous étions à l’école », l’avait tancé l’un d’entre eux, Nouhoum Sarr.

A Bamako, les rumeurs courent autour d’une potentielle éviction du premier ministre, une option qui diviserait la junte. « Son départ ne résoudra pas tout. Ce que souhaitent de plus en plus de Maliens, c’est que les militaires s’entendent avec la Cedeao pour mettre fin à l’embargo économique qui commence à les asphyxier », estime un relais d’opinion malien qui préfère garder l’anonymat : « Les sanctions ne sont plus tenables pour le peuple. Des secteurs entiers, comme celui du BTP, un des plus gros pourvoyeurs d’emplois, sont à l’arrêt et tous les prix ont augmenté. »

 

L’inflation devrait atteindre 7 % en 2022, contre 0,5 % en 2020, selon la Banque mondiale. « Les sanctions imposées par la Cedeao ont considérablement assombri les perspectives économiques », souligne l’organisation dans une note sur la situation économique publiée le 24 mai, mettant en garde contre le risque d’une nouvelle récession. La flambée des prix risque-t-elle de fissurer l’union populaire sur laquelle les putschistes ont misé pour se maintenir au pouvoir ?

L’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) commence elle aussi à critiquer la gestion de l’Etat. La plus grosse centrale syndicale du pays avait suspendu ses revendications sociales pour permettre aux autorités de faire front face aux sanctions imposées par la Cedeao. Mais dans une lettre envoyée au ministre du travail le 9 mai, elle a souligné ne plus pouvoir « soutenir des mesures politiques et administratives qui ont semé la désolation alors que le train de vie général des pouvoirs publics se renforce ». Trois jours plus tôt, l’UNTM avait adressé par courrier aux autorités un premier avertissement explicite, afin d’obtenir la concrétisation des promesses faites par le premier ministre sur le statut et les retraites des travailleurs : « Le syndicalisme peut entrer dans le jeu politique national. Donc faites attention. »

Des tentatives de « déstabilisation »

A Koulouba, le palais présidentiel occupé par le colonel Assimi Goïta, la menace d’un réveil populaire agité par une nouvelle alliance politique et sociale est prise très au sérieux. D’autant qu’au sein de l’armée, les cinq colonels ne semblent plus faire l’unanimité, comme en témoigne l’annonce du gouvernement, le 16 mai, d’une tentative de « coup d’Etat » déjouée cinq jours plus tôt et fomentée par des militaires « soutenus par un Etat occidental ».

La liste de sept suspects qui auraient été arrêtés dans la foulée a circulé sur les réseaux sociaux, sans que les autorités ne l’aient officiellement confirmée ni livré de preuves sur ce coup de force qui en laisse plus d’un sceptique. « Il n’y a pas eu de tentative, pas même un mouvement de troupes, avance une source diplomatique française. C’est une manœuvre de plus pour accuser Paris et signaler aux militaires qui commencent à râler qu’il n’y aura pas de place pour la contestation. »

 

Selon nos informations, plusieurs officiers déployés dans le centre du pays auraient été rappelés dans la capitale, ces derniers mois, après avoir exprimé leur mécontentement concernant le rôle croissant des mercenaires du groupe de sécurité privé russe Wagner au sein de la chaîne de commandement des opérations antiterroristes. A Bamako, d’autres militaires auraient commencé à critiquer les promotions attribuées à des proches des putschistes.

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Morgane Le Cam  

 

 

 

 

 

Source : Le Monde  (Le 31 mai 2022)

 

 

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