« Ce n’est pas digne de la France » : au Maroc, le parcours du combattant pour obtenir un visa

Même l’obtention d’un rendez-vous pour déposer son dossier est devenue très compliquée depuis les restrictions annoncées par Paris en septembre 2021.

Le Monde – C’est comme si on avait érigé un mur entre deux pays. Un mur qui sépare même des familles. Au Maroc, cette impression amère ne quitte plus Hamid Elmir, 49 ans, depuis que la France lui a refusé son visa.

Hamid n’est pas un candidat à l’immigration clandestine, juste un père de famille qui voudrait rendre visite à sa fille étudiante. Il a beau tourner le problème dans tous les sens, il ne comprend pas. « J’ai déjà eu des visas Schengen par le passé, j’ai une situation stable, le même métier depuis vingt-huit ans, des moyens sur mon compte bancaire… », souligne ce technicien de laboratoire à Casablanca qui a « frappé à toutes les portes » pour trouver une solutionmais « rien à faire ».

Sa demande de visa Schengen auprès des autorités consulaires françaises remonte à septembre 2021, au moment où Paris annonçait réduire de 50 % le nombre de visas accordés aux ressortissants algériens et marocains et de 30 % aux Tunisiens en raison du « refus » de ces trois pays du Maghreb de rapatrier leurs ressortissants en situation irrégulière. Une décision jugée « injustifiée » à l’époque par Rabat. Toujours en vigueur huit mois plus tard, ce durcissement est vécu comme une punition collective par bon nombre de Marocains qui se rendent régulièrement en France pour des visites familiales, des voyages d’affaires ou des séjours touristiques. Et qui se retrouvent les victimes collatérales d’une mesure de rétorsion qui n’a rien à voir avec eux.

 

C’est le cas de Nadia (qui a souhaité garder l’anonymat), cadre dans une multinationale à Rabat, qui ne pourra pas suivre sa formation en France prévue en juin après avoir essuyé deux refus de visa. « J’avais pourtant un dossier solide : ordre de mission avec prise en charge totale par ma société, invitation détaillant le programme du voyage d’affaires… », rapporte la trentenaire, qui ne cache pas sa frustration : « C’est à se demander si l’obtention d’un visa n’est pas devenue un jeu de hasard, à pile ou face ! »

Cette expérience, Youssef, 32 ans, l’a vécue comme une « humiliation ». « J’ai eu l’impression de devoir supplier la France de me laisser faire du business avec ses entreprises et d’y dépenser mon argent », s’indigne cet ingénieur à Casablanca qui, ce mois-ci, n’a pas pu honorer un rendez-vous avec un fournisseur français de sa société d’import. « Je ne vous cache pas que cela provoque un certain dégoût pour la France », confie-t-il. Youssef a finalement obtenu son visa Schengen par l’Espagne, pays vers lequel semblent se tourner un nombre croissant de Marocains pour pouvoir voyager en Europe.

« Au moindre justificatif manquant, c’est le refus »

Interrogé par Le Monde sur cette politique de quotas, le consulat général de France à Rabat a indiqué qu’un « dialogue constant » se poursuivait avec le Maroc « en matière migratoire ». Mais il n’a pas souhaité détailler la façon dont il procède pour rejeter une demande sur deux. En 2019, avant la pandémie de Covid-19, le Maroc – qui partage des liens historiques, culturels et économiques étroits avec la France – était le troisième pays de délivrance de visas : 346 000 avaient été accordés sur 420 000 demandes, ainsi que l’avait révélé Europe 1 en septembre. Soit un taux de refus de 18 % seulement.

« Les arbitrages se font de manière assez opaque, observe un conseiller des Français de l’étranger de la zone. Ce qui est certain, c’est qu’une fois les visas accordés aux catégories préservées, comme les étudiants et les chauffeurs routiers, qui ont besoin de visas de circulation, la portion restante est très réduite. » Selon une autre source, les autorités consulaires, qui doivent motiver leurs refus, n’auraient d’autre choix que de « mettre en attente les “bons” dossiers jusqu’à ce qu’ils en trouvent à refuser ».

 

« Pour faire le chiffre, il n’y a plus de tolérance dans l’examen des demandes : au moindre justificatif manquant, c’est le refus », rapporte de son côté M’jid El Guerrab, député de la neuvième circonscription des Français de l’étranger : « Par exemple, il est désormais exigé une facture acquittée de l’hôtel, quand auparavant une simple confirmation de réservation suffisait. » Toute cette procédure engendre des frais importants (frais de dossier, assurance voyage, etc.), que le demandeur doit débourser sans garantie d’obtenir le visa.

Depuis le début de l’année, un obstacle supplémentaire est venu se greffer en amont de la procédure : non seulement les chances d’obtenir un visa sont réduites, mais il est même devenu difficile – sinon impossible – de prendre un rendez-vous pour déposer une demande. La plate-forme TLScontact (du nom du prestataire à qui le consulat sous-traite le dépôt des dossiers) est saturée. En cause : un afflux de demandes depuis la réouverture des frontières du Maroc en février (des visas arrivés à échéance pendant la pandémie et qu’il faut renouveler) et à l’approche de l’été, mais aussi en raison du foisonnement d’intermédiaires qui préemptent les créneaux de rendez-vous sur le site et les revendent ensuite à des prix pouvant dépasser les 150 euros. Un véritable marché noir du rendez-vous.

 

« Une image désastreuse des services français »

 

Perle Guichenducq, une Française résidant à Casablanca, n’a eu d’autre choix que d’y recourir lorsqu’il a fallu renouveler le visa de son conjoint, marocain. « On a commencé à chercher un rendez-vous sur TLS en décembre. On se connectait plusieurs fois par jour, à des heures improbables, mais il n’y avait aucun créneau disponible. En mars, on s’est résolu à acheter un rendez-vous à l’un de ces intermédiaires. C’était la seule solution pour déposer notre demande et que mon mari puisse venir en France voir notre famille », déplore cette enseignante à l’origine d’une pétition, en avril, pour dénoncer un système « inadmissible, à l’encontre des valeurs d’égalité et de transparence ».

Derrière ce business parallèle, des personnes qui se présentent sur les réseaux sociaux comme des « agences de voyage » ou des « prestataires de services » à la recherche d’un complément de revenu. Parmi ceux que Le Monde a contactés, certains disent opérer « manuellement » : ils restent connectés du matin au soir et s’emparent des premiers rendez-vous qui se libèrent pour le compte de leurs « clients ». D’autres disposent de logiciels qui les alertent automatiquement quand le site TLS se met à jour.

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Source : Le Monde (Le 23 mai 2022)

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