Avec le procès Johnny Depp contre Amber Heard, la « tabloïdisation » de TikTok

 

Depuis le 11 avril, le tribunal de Fairfax (Virginie), aux Etats-Unis, est l’épicentre d’une guerre 2.0 où tous les coups sont permis, même les plus misogynes. Le procès opposant les acteurs Johnny Depp et Amber Heard déchaîne les réseaux sociaux, et en particulier TikTok, où deux clans se livrent une lutte aussi inégale que sans merci : les pro-Amber contre les pro-Johnny.

En 2018, l’actrice Amber Heard signait une tribune dans le Washington Post. Sans citer le nom de son ex-époux Johnny Depp, avec qui elle a été mariée entre 2015 et 2016, elle y affirmait être devenue « une figure publique des violences conjugales ». C’est sur cette déclaration que s’appuie aujourd’hui la plainte pour diffamation portée par l’acteur, qui réclame 50 millions de dollars (47 millions d’euros).

Au fil des jours d’audience, les accusations des deux ex-conjoints se font de plus en plus glaçantes, esquissant le tableau d’une relation plus que toxique. Les témoignages évoquent les addictions, les coups subis par les anciens amants et les violences sexistes et sexuelles dont Amber Heard se dit victime. Le 4 mai, la voix hachée par des sanglots, elle racontait à la barre un viol conjugal.

Retransmise en direct sur YouTube par la chaîne Court TV, la bataille judiciaire Depp v. Heard se regarde pour beaucoup d’internautes entre l’écran d’ordinateur et celui du téléphone, comme une série ou un match de Super Bowl. A tel point que Jenna Drenten, professeure de marketing à l’université Loyola de Chicago, estime qu’il existe à présent deux procès Heard-Depp bien distincts : l’un est retransmis à la télévision, l’autre diffusé sur le réseau social TikTok. « Les utilisateurs y sensationnalisent les audiences. Ils mettent en scène les témoignages, utilisent des extraits sonores pour faire du playback… Ils deviennent les producteurs du procès », analyse-t-elle. Une forme de «tabloïdisation de TikTok», selon l’universitaire.

L’affaire Depp-Heard provoque tellement d’engagement sur le réseau chinois qu’elle est devenue « une opportunité sur laquelle capitaliser », si bien que « les internautes fabriquent et dramatisent collectivement des histoires et transforment les potins en enquête. (…) Il y a un désir d’être le seul à découvrir quelque chose dans l’affaire, une envie de jouer les enquêteurs, de publier un extrait, quitte à éluder les faits de violence ». Amanda Brennan, ancienne directrice éditoriale de Tumblr, spécialiste des mèmes et des réseaux sociaux, abonde :

« Avec la popularité des documentaires “True Crime” et des émissions spécialisées en justice, nous sommes tous devenus des avocats du dimanche et nous voulons tous ajouter notre opinion au combat en cours. »

 

Soutien massif à Johnny Depp

 

Mais, au-delà du suivi massif de cette joute hollywoodienne, les internautes semblent surtout faire bloc derrière Johnny Depp, devenu pour beaucoup martyr de l’ère post-#metoo, victime d’une Amber Heard menteuse et vénale.

Sur TikTok, le hashtag #JusticeForJohnnyDepp regroupe 12,4 milliards de vues. #AmberTurd (« AmberMerde ») : 1,9 milliard de vues. Sur ce réseau social, l’actrice est dépeinte comme « planant sous cocaïne » en plein procès. Un montage agrémenté d’une musique pop et d’une référence à Bob l’éponge la montre se mouchant à la barre. Les extraits qui suivent dissèquent son comportement, sa mâchoire qui se serre. Le but ? Prouver qu’elle consomme de la drogue. Bilan : 5,6 millions de « J’aime », 34,6 millions de vues.

La déferlante pro-Depp est telle que ses avocats, Ben Chew et Camille Vasquez, ont leurs fans et leur propre mot-dièse, qui ont engendré respectivement 67 millions et 114,5 millions de vues. Des chiffres colossaux qui écrasent le malheureux #IstandwithAmberHeard (#JedéfendsAmberHeard) et ses 5,8 millions de vues. Quant à la pétition Change.org pour « enlever Amber Heard d’Aquaman 2 », film prévu en salle en 2023, elle a réuni 4,5 millions de signatures, en faisant l’une des pétitions les plus signées du site

Les pro-Depp ont par ailleurs fait de ce procès un réservoir à mèmes, comme en témoigne le succès du hashtag #Megapint (« mégapinte ») : le 22 avril, les avocats d’Amber Heard demandaient au comédien s’il s’était bien servi une « mégapinte de vin rouge » avant des faits de violence dénoncés par son ex-femme. « Une mégapinte ? », rétorquait alors Depp, sourire en coin. La phrase enregistrée est devenue un son TikTok viral et un hashtag aux 151,9 millions de vues, exemple parmi d’autres de la façon dont les utilisateurs du réseau tendent à rendre l’acteur sympathique : ses traits d’humour pendant l’audience sont salués, les regards qu’il lance à son avocate, Camille Vasquez, scrutés, allant jusqu’à leur prêter une relation amoureuse, chaque rapprochement entre le duo, même le plus anodin, étant passé au crible.

« La génération Z [les personnes nées après 1997] perçoit Depp comme un symbole nostalgique de son enfance. Contrairement à d’autres personnalités masculines qui ont été impliquées dans le mouvement #metoo, comme Harvey Weinstein, elle se souvient vraiment de Depp et elle ne veut pas laisser tomber ces bons souvenirs », avance la journaliste Fran Hoepfner, qui suit le procès pour le média américain Gawker. « Mais Depp est aussi le symbole d’une culture pop décalée. Ses personnages sont souvent étranges. Il est un outsider qui a des antécédents de maladie mentale, comme le trouble du déficit de l’attention (TDAH), et souffre d’anxiété. Il est pour eux un homme malade injustement accusé et victimisé. » De fait, certains fans ne distinguent pas les personnages joués par Johnny Depp de l’acteur : la justice s’attaque ainsi à Jack Sparrow, figure culte pour toute une génération de la série de films Pirates des Caraïbes.

Capture d’écran de la page correspondant au hashtag #justiceforjohnnydepp sur TikTok, le 18 mai 2022.

« Stan culture » et masculinisme

 

Cette défense quoi qu’il en coûte de Johnny Depp est donc aussi un cas d’école de la « stan culture » – concept dont l’origine proviendrait d’une chanson d’Eminem : des ultras fans prêts à tout pour prouver leur dévouement, quitte à plonger dans le harcèlement de masse sur les réseaux sociaux quand leur star y est dénigrée. Les menaces de mort pullulent autour du procès, à l’instar de cet internaute qui légende son TikTok anti-Heard d’un terrifiant « il aurait pu te tuer, il avait tous les droits ». Sur Twitter, Amber Heard est devenue « une putain de sorcière qui devrait brûler », ou qu’il faudrait « attacher à un pieu ».

 

 

 

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Source : Le Monde

 

 

 

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