
Le Monde – La tentation du Rassemblement national dans une frange des Français d’Afrique (1).
C’est un paradoxe apparent, presque une énigme. Comment peut-on voter à l’extrême droite dans un scrutin français quand on a fait le choix de résider, souvent pour sa retraite, sur le continent africain ? N’est-il pas contradictoire de bénéficier pour soi-même d’une totale liberté de circulation, voire de résidence, à Djerba (Tunisie), Agadir (Maroc) ou Saly (Sénégal), et d’adhérer, en même temps, à une vision de la France fermée, ou inamicale, aux migrations en sens inverse ? C’est peu dire que le comportement électoral, lors de la récente élection présidentielle des 10 et 24 avril, de certaines communautés de Français installés au sud de la Méditerranée jette le trouble. Il mérite à tout le moins d’être questionné.
Certes, Emmanuel Macron est passé haut la main dans les bureaux de vote de ces pays. Le chef de l’Etat sortant a survolé le scrutin chez les Français de Tunisie (90,31 %), du Maroc (87,44 %), du Sénégal, du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau (83,43 % pour les trois pays). L’hégémonie du président réélu dans ces circonscriptions ne souffre pas de discussion.
Mais ce chiffre consolidé ne dit pas toute l’histoire. Car il intègre une grosse part de binationaux (la moitié des inscrits au registre consulaire au Maroc et au Sénégal et les deux tiers en Tunisie) dont la connexion avec les diasporas maghrébines et subsahariennes de France les porte naturellement à faire barrage à l’extrême droite hexagonale. Le 24 avril, leur poids électoral a ainsi dopé le vote « utile » pro-Macron à l’étranger.
Havres balnéaires
L’autre versant de ces Français de l’étranger, expatriés ou retraités exilés en ces contrées africaines socialement plus clémentes à leur goût, ne partage pas nécessairement les mêmes motivations et donc les mêmes réflexes électoraux. Une lecture détaillée de certains bureaux de vote, où leur enracinement est connu, le confirme. Ainsi voit-on le score de Marine Le Pen doubler, voire tripler, sa moyenne dans ces pays pour grimper à 27,85 % (Agadir), à 33,51 % (Djerba) et même à 38,6 % à Saly. Ces trois localités sont des havres touristiques ou balnéaires où se sont installés de nombreux résidents français.
Certes, ces taux relativement élevés doivent être mis en regard d’un faible nombre de votants dans ces bureaux de vote : 626 à Saly (soit une participation de 32,2 %), 1 412 à Agadir (42,3 %) et 386 à Djerba (43,33 %). Ces Français n’en expriment pas moins une sensibilité, une humeur, voire du ressentiment, que Le Monde Afrique est allé recueillir sur place. A les écouter, leur attitude électorale a plus à voir avec leur terre d’origine et le mal-vivre qu’ils lui attribuent qu’avec leur pays d’accueil sur lequel leur opinion est généralement très positive.
Dans la frange de ces Français de l’étranger ayant accordé leur suffrage à Marine Le Pen, le vote « antisystème » à motivation sociale est apparemment central. Nombre de ces électeurs sont, en effet, des retraités très modestes, jadis à la peine pour boucler les fins de mois et auxquels l’exil africain a soudain offert un standard de vie inespéré. « Ils ne sont pas forcément tous là par choix, explique Martine Vautrin Djedidi, conseillère consulaire en Tunisie. Ils sont un peu des exilés sociaux qui n’ont pas eu les moyens d’aller passer leur retraite sur la Côte d’Azur. »
Ce vote pro-Marine Le Pen, que le jeune chercheur en sciences politique à l’IEP de Bordeaux Etienne Smith propose de baptiser « héliofrontisme », s’est également nourri d’une allergie assumée et sans complexe envers les « incivilités » que ces Français imputent aux immigrés originaires d’Afrique en France, qu’ils prennent bien soin toutefois de distinguer de l’attitude respectueuse qu’ils affirment rencontrer chez les Africains des pays dans lesquels ils se sont installés.
Source : Le Monde
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