Mohamed Bazoum : Mohamed Bazoum : « Les Occidentaux doivent prendre plus de risques dans le Sahel »

La-croix.comDans un entretien exclusif accordé à La Croix et à L’Obs, le président du Niger acte la fin du G5 Sahel, dont le Mali vient d’annoncer son retrait, et appelle à un engagement massif et plus résolu des forces françaises et européennes contre les groupes djihadistes.

Mohamed Bazoum : Le G5 Sahel est mort. Depuis le second coup d’État au Mali(en mai 2021, NDLR), Bamako est dans une fuite en avant qui l’isole en Afrique et nous prive d’une stratégie concertée et coordonnée pour lutter contre le terrorisme. Le départ de la France du Mali nous empêche désormais de coordonner nos actions. L’isolement de Bamako en Afrique de l’Ouest est une mauvaise chose pour toute la sous-région.

En revanche, n’est-ce pas une bonne nouvelle pour l’État islamique, surtout dans la zone dite des trois frontières, entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali ?

M. B. : Notre frontière avec le Mali est aujourd’hui sous la coupe de l’État islamique au Grand Sahara. Bamako n’a pas investi les postes militaires avancés dans cette zone. Si ce pays était dans une situation normale, nous serions en mesure de développer notre coopération en relation avec Barkhane et la force européenne Takuba. Et le rapport de force avec les organisations terroristes serait différent.

Qu’attendez-vous d’Emmanuel Macron ?

M. B. : Qu’il mette des moyens considérables dans la lutte antiterroriste dans le Sahel, tout comme l’Europe. On le voit avec la guerre en Ukraine : les Occidentaux ont beaucoup d’argent, dont ils peuvent mettre une partie significative dans le combat contre le terrorisme, dans la stabilisation de nos pays.

Quels moyens en plus attendez-vous ?

M. B. : Une présence de Barkhane plus conséquente, des règles d’engagements différentes et plus d’équipements pour nos armées. Les Occidentaux en opération prennent trop de précautions, ce qui rend difficile la réussite de leurs actions. Ils sont obnubilés par cette idée qu’il faut zéro perte pour réussir. Ils doivent consentir à un peu plus de sacrifices, prendre plus de risques et ne pas être hantés par les pertes.

L’enquête diligentée par Paris sur les événements de Téra, où trois Nigériens ont été tués par l’armée française, vous satisfait-elle ?

M. B. : Non. L’enquête française a consisté à dire que l’armée française avait procédé à des sommations avec des armes létales. Elle a conclu que ses militaires n’avaient pas tué.

Vous avez conduit une enquête de votre côté. Quelles ont été ses conclusions ?

M. B. : Ce sont probablement les moyens létaux utilisés par l’armée française, à des fins de sommation, qui ont eu pour effet d’atteindre un certain nombre de manifestants et tué trois d’entre eux, des enfants. Mais si la France a une part de responsabilité, le Niger aussi. Nous avions engagé des forces pour maintenir l’ordre et elles n’ont pas été efficaces. Les Français ont dû se dégager eux-mêmes, ils ont dû utiliser des moyens létaux qui ont pu provoquer la mort. Les familles attendent d’être indemnisées. Nous allons le faire, c’est notre responsabilité.

Ne craignez-vous pas que cela nourrisse le sentiment antifrançais dans le Sahel ?

M. B. : Ce sentiment antifrançais ne peut pas s’étendre davantage sur les réseaux sociaux : tout l’espace disponible pour exprimer la haine de la France est déjà occupé en raison du travail remarquable des officines mobilisées derrière ce courant. Mais sur le terrain, les populations du Niger comme du Burkina et du Mali n’ont pas ce problème. Elles ne demandent qu’une chose : que la présence des Occidentaux contribue à lutter efficacement contre les terroristes.

Quelles erreurs les Français ont-ils commises au Mali et qu’ils doivent ne pas renouveler au Niger ?

M. B. : Au Mali, ce n’était pas la mission de Barkhane de réduire totalement le terrorisme, c’était celle de l’armée malienne. Nos partenaires sont là pour nous appuyer dans cette lutte, non pour la faire à notre place. Au Mali, Bamako a considéré que les Blancs devaient tout faire à sa place. Moi, je ne leur demande pas de régler tous mes problèmes !

Quel est l’impact de la guerre en Ukraine sur le Niger ?

M. B. : Il est faible. Nous ne sommes pas de grands consommateurs de blé. Évidemment, nous sommes confrontés à l’inflation sur la farine de blé avec laquelle nous faisons le pain consommé au petit déjeuner par une proportion minime de la population. La mondialisation ne se traduit pas partout de la même façon. Ainsi, le Covid-19 a eu moins d’impact chez nous. Nous ne sommes pas très intégrés dans l’économie internationale. En revanche, nous avons plutôt affaire aux mauvais résultats agricoles, du fait de la mauvaise saison des pluies l’an dernier. Elle a eu pour effet une inflation sur les denrées que nous consommons le plus au Niger : le mil, le maïs et le sorgho.

Que faut-il mettre en place ?

M. B. : Nous avons essayé avec nos propres capacités d’acheter des céréales et de les écouler sur le marché à des prix réduits. Nous procédons aussi à une distribution gratuite de vivres pendant la période de soudure.

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Laurent Larcher

envoyé spécial à Niamey (Niger)

Source : La-croix.com (France)

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