Le Monde, The New York Times, Der Spiegel… Quand la presse publie en langue étrangère

Le site du Monde se lit aussi en anglais désormais. Depuis avril, le journal propose des articles "in English", comme d'autres médias l’ont déjà fait : Der Spiegel et le New York Times publient depuis bien longtemps des contenus en langue étrangère.

France Culture – Informer en langue étrangère n’est pas l’apanage de quelques grandes chaînes de télé ou de radio (RFI ou France 24 pour ne citer que celles-là) : des médias écrits privés s’y mettent aussi. Les grands journaux à la réputation établie y trouvent un moyen d’élargir leur lectorat par-delà les frontières, y compris linguistiques. Le Monde a lancé son édition anglophone en avril dernier mais en Allemagne, Der Spiegel le fait déjà depuis 2004 ! Aux Etats-Unis, le New York Times va encore plus loin : le célèbre quotidien américain propose des pages d’accueil intégralement en espagnol et chinois, sans compter des publications plus ponctuelles dans d’autres langues, dont le français…

Le Monde English : dépasser les frontières linguistiques

C’est une option discrète apparue sur lemonde.fr le 7 avril 2022. En ouvrant la page d’accueil, le lecteur a désormais le choix entre deux langues – “français | anglais” – sous le célèbre logo gothique du quotidien. En un clic, un nouveau “Monde” anglophone apparaît : site miroir de la version française, avec sa propre une et ses propres articles traduits : “L’objectif est d’élargir notre lectorat”, explique Elvire Camus, journaliste au Monde depuis 10 ans et rédactrice en chef de la version anglophone. “Ce projet trottait depuis longtemps dans la tête de la direction. Auparavant, Le Monde publiait quelques articles en anglais mais au coup par coup seulement, pour quelques enquêtes emblématiques”. Le récit de l’attaque à l’arme chimique contre un quartier de Damas en 2013 avait été l’un des premiers récits traduits.

Depuis le 7 avril, Le Monde se lit aussi en anglais.

Depuis le 7 avril, Le Monde se lit aussi en anglais. Crédits : Le Monde

En passant à l’anglais, le journal poursuit une stratégie d’internationalisation de ses lecteurs : “Nous nous sommes d’abord concentrés sur la francophonie en ouvrant Le Monde Afrique il y a quelques années”, précise Elvire Camus, “c’est une rubrique du site internet qui s’appuie sur un réseau renforcé de correspondants à travers le continent”. En 2022, Le Monde Afrique compte près de 600 000 abonnés sur Twitter et plus de 300 000 sur Facebook. Il ne restait plus qu’à passer à l’étape suivante.

“Notre correspondant à Washington, Gilles Paris, a été à la genèse du projet. De retour à Paris en 2021, il a lancé une chronique écrite en anglais dans un format mi-opinion mi-pédagogique sur l’élection présidentielle française à venir ; et de cette petite chronique est née ce gros site mis à jour 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7”. A Paris, Elvire Camus dirige une équipe de 5 journalistes éditeurs dont plusieurs récemment recrutés et qui ont l’anglais comme langue maternelle ; 2 autres salariés sont basés à Los Angeles.

Cependant, Le Monde English n’est pas une deuxième rédaction. Hormis la chronique de Gilles Paris, le site ne propose que des articles issus de l’édition francophone, écrits par les quelque 500 journalistes que compte le quotidien. L’équipe d’Elvire Camus sélectionne ceux qui seront traduits : “Nous ciblons les sujets qui dominent l’actualité, l’élection présidentielle ou la guerre en Ukraine ces derniers temps mais nous traduisons aussi des articles du magazine hebdomadaire, ainsi que nos enquêtes…. L’idée est de montrer le journalisme que nous pratiquons, nos choix éditoriaux, notre regard sur le monde, et de le partager avec nos lecteurs anglophones”.

Les premiers chiffres d’audience montrent que les Américains et les Britanniques sont les lecteurs les plus nombreux, “mais notre premier abonné est japonais et nous souhaitons que l’édition anglophone s’adresse au monde entier”, confie Elvire Camus. Une formule d’abonnement au Monde English a été lancée, avec des prix variables selon les zones géographiques et une partie des articles accessible gratuitement ; les abonnés au quotidien francophone y ont intégralement accès. Le Monde a franchi le cap des 500 000 abonnés pour la première fois de son histoire en décembre 2021 et l’objectif est d’arriver à un million d’ici 2025, avec un quart de l’audience composé de lecteurs internationaux, d’après Louis Dreyfus, président du directoire du groupe Le Monde.

Der Spiegel International : anglophone depuis 2004

Der Spiegel a été l’un des premiers titres de presse à publier des articles en anglais sur son site internet. “Le Miroir” (traduction de Der Spiegel) est le magazine d’actualités allemand à la plus large diffusion (près de 700 000 exemplaires pour la version papier de l’hebdomadaire en 2021). Renommé pour son journalisme d’investigation, Der Spiegel propose des contenus anglophones depuis 2004, notamment pour ses enquêtes qui touchent ainsi une plus large audience.

La version anglophone s’appelle Der Spiegel International : elle a vu le jour grâce à l’avènement d’internet. “C’est beaucoup moins coûteux que de lancer une version imprimée”, explique Daryl Lindsey, qui dirige le site en anglais. Cet Américain installé à Berlin depuis 20 ans a toujours été de cette aventure : d’abord en tant que salarié du journal puis à son compte depuis 2015. Le service a été externalisé pour raisons budgétaires : Daryl Lindsey travaille avec un collègue et publie une moyenne de 6 à 10 articles par semaine pour le Spiegel.

Dans son bureau berlinois, Daryl Lindsey dirige la version anglophone du Spiegel. Objectif : dépasser les frontières du monde germanophone.

Dans son bureau berlinois, Daryl Lindsey dirige la version anglophone du Spiegel. Objectif : dépasser les frontières du monde germanophone. Crédits : Daryl Lindsey

“Ce magazine représente 80% de notre activité mais nous collaborons parfois avec Die Zeit, Die Süddeutsche Zeitung et d’autres titres suisses et autrichiens”, indique Daryl Lindsey. “Lorsque ces journaux travaillent pendant des mois sur une enquête, cela vaut la peine pour eux de payer quelques milliers d’euros pour être traduit en anglais et toucher des lecteurs du monde entier”.

“L’Allemagne joue un rôle important dans le monde et encore plus important dans l’Union européenne”, poursuit Daryl Lindsey, “il est important de présenter les débats et les opinions qui se développent ici au delà des frontières de la langue allemande”. Le Spiegel International est un instrument de soft power pour l’Allemagne mais aussi pour l’hebdomadaire : “J’ai beaucoup d’échanges avec la rédaction du magazine et nous choisissons ensemble les articles que nous traduisons : souvent, les journalistes et les correspondants demandent à être traduits”.

Der Spiegel International ne propose pas de contenu original en anglais mais la traduction permet un enrichissement : ajout de contexte, suppression de passages trop peu parlants pour un public international, infographies, etc. Pour le magazine, la version anglophone permet aussi de décrocher plus facilement des interviews : “Si nous proposons un entretien à des personnalités – je pense par exemple à Henry Kissinger ou Hillary Clinton -, il est beaucoup plus intéressant pour eux d’être publié à la fois en allemand et en anglais. En parlant au Spiegel, ils ne s’adressent pas seulement à l’un des principaux titres de la presse allemande mais aussi à un organe d’information international qui jouit d’une réputation mondiale.”

Le site offre aussi une fenêtre sur l’Allemagne, notamment sur les sujets brûlants du moment : “Nous avons traduit beaucoup d’articles sur la politique énergétique allemande et sa dépendance à la Russie. Le pays est très critiqué à l’étranger pour cela depuis le début de la guerre en Ukraine mais il est important pour nous de montrer que cette dépendance est aussi très critiquée en interne et qu’il existe un grand débat sur les changements qui doivent se produire”, ajoute Daryl Lindsey. “Nous voulons porter un regard sans fioriture sur l’actualité allemande”.

Le New York Times : un journal global et polyglotte

Le célèbre quotidien américain a l’avantage d’écrire dans la langue internationale : l’anglais. Alors pourquoi s’embêter ? Le New York Times est pourtant l’un des médias les plus polyglottes qui soient ! En plus de son site en anglais, le journal propose une page d’accueil en chinois depuis 2012 et une autre en espagnol depuis 2016, mises à jour en permanence : comme pour Le Monde et Der Spiegel, il s’agit de sites miroir de la version anglophone, alimentés par des contenus d’abord écrits en anglais. Pour le reste, des articles sont publiés de façon plus ponctuelle en français, en portugais, en birman, en arabe, en vietnamien et en persan…

“Il est important d’atteindre nos lecteurs dans leur propre langue”, explique Elda Cantú, qui dirige la version hispanophone du New York Times et rédige une newsletter en espagnol : El Times. “C’est un choix payant pour le journal : cela crée une nouvelle communauté de lecteurs et donne un écho plus large au travail de nos collègues qui sont nombreux à demander à être traduits en espagnol”. Basée à Mexico, la journaliste collabore avec le quotidien américain depuis 2018 : née au Mexique, elle a étudié à Toulouse (et lira donc cet article en version originale 😉 ) et travaillé au Pérou avant de revenir dans son pays natal.

“Le New York Times publie plus de 100 articles par jour et mon travail consiste à choisir les histoires qui figureront dans la version espagnole”, explique Elda Cantú. “Le but est de refléter ce que le journal propose à son public anglophone : les sujets à la une de l’actualité, les enquêtes mais aussi les histoires qui comptent dans les pays d’origine de nos lecteurs, au Mexique ou en Amérique latine. Nous voulons que tout ce que nous publions en anglais sur ces pays puisse être également lu en espagnol.”

Avec la newsletter gratuite en espagnol qu’elle envoie deux fois par semaine (bientôt trois fois), Elda Cantú mesure l’impact du New York Times à l’échelle mondiale : “J’ai des retours de toute l’Amérique latine mais aussi des Etats-Unis où les communautés d’immigrés sont très nombreuses, en Californie, à New York, et nous avons également beaucoup de lecteurs en Espagne. Des histoires parfois très locales trouvent une résonance dans des coins du monde que je n’aurais jamais imaginé !”

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Source : France Culture – Le 07 mai 2022

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