Au Soudan, l’ouest du Darfour est le théâtre de nouveaux massacres

Au moins 213 personnes ont été tuées en quatre jours de violences au Darfour, selon les autorités de cette région de l’ouest du Soudan. Des exactions condamnées par l’ONU, qui a réclamé mercredi une enquête « rapide » et « indépendante ».

Le Monde – « Nous sommes encerclés. Y aura-t-il une autre attaque ? Je n’en dors plus la nuit. Jusqu’à présent, aucune organisation humanitaire n’est arrivée jusqu’à nous. » Depuis les camps de déplacés de la ville soudanaise de Kreinik, le sheikh Mohammed Kari, un des représentants des villageois, appelle à l’aide après quatre jours de violences qui ont fait au moins 213 morts.

Dans cette localité située à 80 kilomètres à l’est d’Al-Geneina, la capitale du Darfour-Occidental, la tension est montée d’un cran, le 21 avril, après que deux nomades arabes de la tribu Riziegat ont été assassinés dans leur sommeil. En représailles, le lendemain, une première attaque de milices arabes a visé le village de Kreinik, principalement peuplé de Masalit, faisant neuf morts et seize blessés. Dimanche 24 avril, du lever au coucher du soleil, un millier de miliciens armés ont attaqué le village une seconde fois.

 

« Ils ont tout brûlé et pillé. Certains étaient montés sur des chevaux et des dromadaires, d’autres sur des motos ou à l’arrière de pick-up », poursuit le sheikh. Les assaillants n’ont épargné ni les écoles (six professeurs sont morts), ni les centres de santé. Un hôpital soutenu par Médecins sans frontières (MSF) a été visé, faisant trois morts. Kreinik « a été complètement détruite y compris les institutions gouvernementales », déplore le gouverneur de l’Etat, Khamis Abdullah, qui dénonce des crimes contre l’humanité.

Ces violences sont une nouvelle escalade dans le conflit au Darfour, qui a éclaté en 2003 entre des forces du régime de l’ex-président Omar Al-Bachir et des rébellions issues de communautés, dont les Masalit, qui s’estiment marginalisées. Les affrontements ont fait plus de 300 000 morts et près de trois millions de déplacés en vingt ans.

 

La peur au ventre

 

Déployées au plus fort des violences pour lutter contre les rebelles, des milices armées, surnommées « janjawids », essentiellement composées de nomades arabes, ont joué un rôle majeur dans les opérations de répression, de viols et de nettoyage ethnique menées par le régime militaro-islamiste. A Kreinik, selon plusieurs témoins, ces milices janjawids étaient à nouveau à l’œuvre et épaulées par des soldats des Forces de soutien rapide (FSR, milices paramilitaires dirigées par le général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », numéro deux de la junte soudanaise) dont les uniformes sont identifiables sur plusieurs vidéos consultées par Le Monde.

Dès dimanche soir, les affrontements se sont étendus à Al-Geneina. Ils se sont poursuivis jusqu’à mercredi soir malgré le déploiement de forces armées soudanaises. Depuis lundi, la capitale locale est une ville morte. Tous les centres de santé sont fermés ainsi que le marché principal et l’aéroport. Selon plusieurs témoins, certains habitants ont trouvé refuge dans la base militaire des forces soudanaises chargées de sécuriser la frontière avec le Tchad.

 

Les autres se terrent dans les maisons, la peur au ventre. « On entend des tirs dans les quartiers, parfois à l’arme lourde. Des maisons ont été brûlées. Beaucoup de blessés n’ont pas pu rejoindre les hôpitaux. Dans certains quartiers excentrés, les gens ont construit des barricades pour empêcher les milices d’y pénétrer. On ne sort pas de peur de se retrouver entre deux feux », témoigne Ahmad Haroun, un déplacé à Al-Geneina.

Entre novembre et décembre 2021, plus de 200 personnes avaient été tuées dans la région au cours d’attaques similaires à Kreinik, déjà, et à Jebel Moun. La spirale de la violence pousse chaque fois plus de civils à l’exil. Rien qu’à Al-Geneina, 100 000 déplacés sont arrivés ces derniers mois, trouvant refuge dans des bâtiments gouvernementaux, des écoles, des terrains vagues. « Les gens sont entassés, vivent sous des chiffons, dans des conditions déplorables », raconte Mathilde Vu, chargée de plaidoyer au Norwegian Refugee Council, de retour d’Al-Geneina. Un quotidien invivable à la fois pour ceux qui fuient mais aussi pour les habitants de la ville.

 

Sentiment d’impunité

 

Si les disputes territoriales autour de l’accès à l’eau et les vols de bétail constituent souvent l’étincelle dans des conflits communautaires plus larges, de nombreux experts s’accordent sur le caractère politique des dernières attaques.

« Les gens décrivent ce qui se passe ici comme des affrontements tribaux. C’est une erreur », explique Adam Rojal, coordinateur des camps de déplacés dans la région. « On parle de milices officielles : l’une [le mouvement rebelle de l’Alliance soudanaise du gouverneur Khamis Abdullah] est signataire des accords de paix de Juba [ signés en octobre 2020 entre les autorités de Khartoum et différentes rébellions], l’autre est dirigée par le vice-président du Conseil souverain. Les FSR utilisent les armes financées par l’Etat pour aider les milices arabes à s’approprier les terres des déplacés, leurs ressources en or et en eau. C’est la continuation du génocide », accuse-t-il, rappelant qu’à partir de 2005, le général Abdel Fattah Al-Bourhane, aujourd’hui au pouvoir, menait les troupes d’Omar Al-Bachir dans leur opération de nettoyage ethnique au centre du Darfour, alors que dans le même temps, « Hemetti » prospérait à la tête de milices janjawids.

 

Depuis le règne d’Omar Al-Bachir, ces milices janjawids se sentent en situation d’impunité. Un sentiment renforcé depuis le coup d’Etat du général Abdel Fattah Al-Bourhane, le 25 octobre 2021. Leurs attaques visent à pérenniser leur occupation de la terre face à la montée des revendications des populations déplacées qui souhaitent retourner chez elles. Les accords de Juba prévoyaient le retour des déplacés sur leurs terres d’origine. Mais ils ont été largement inappliqués et aucun mécanisme concret n’a été établi pour résoudre la question de la répartition de la terre.

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Source : Le Monde

 

 

 

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