BBC Afrique – Le soussou fait partie de la famille Mandé, un ensemble linguistique comportant environ 70 langues distinctes parlées en Afrique de l’Ouest. Noyau de l’Empire mandingue, cette famille comprend notamment le bambara, le malinké, le dioula et le kpellé ou Kpèlèwo (Guerzé). Mais selon l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales), « l’écart linguistique entre le bambara et le kpellé ou le bissa est comparable à la distance entre le français et le hindou ».
Transcrit initialement avec des caractères arabes et latins, des chercheurs guinéens ont créé des alphabets africains pour transcrire des textes en langues locales dont le soussou, « une langue double, méridionale et continentale » – une valeur qui lui donne un avantage sur d’autres langues moins riches, selon le chercheur-sociologue guinéen Mohamed Bentoura Bangoura, inventeur de l’écriture Koré Sèbèli.
Aujourd’hui, le soussou ou soso (en Guinée maritime) est l’une des trois langues les plus parlées dans le pays avec le peul ou pulaar (en Moyenne-Guinée) et le malinké ou maninka – (en Haute Guinée). Ses locuteurs se trouvent principalement sur les côtes de Guinée mais c’est une langue transfrontalière qui est aussi parlée en Sierra-Leone, en Gambie et au Sénégal dans la région de Kédougou.
Bien qu’il soit difficile de donner un chiffre exact, le nombre de locuteurs de soussou est estimé à plus de 5 millions.
Pourquoi existe-t-il plusieurs alphabets différents ?
Cette situation singulière est implicitement liée à la politique linguistique mise en œuvre par le président Sékou Touré après l’indépendance obtenue de la France, le 2 octobre 1958.
Fermement anticolonialiste, Sékou Touré, le premier président de la République de Guinée de 1958 jusqu’à sa mort en 1984 a élaboré une politique culturelle et linguistique en faveur des langues locales.
Après l’élaboration du premier alphabet guinéen, huit langues ont été instaurées dans le système éducatif. Le soussou en faisait partie. Par la suite, plusieurs alphabets dans d’autres langues nationales seront codifiés. Cependant, après le changement de régime en 1984, le français a repris sa place initiale en tant que langue officielle et l’enseignement des langues nationales a été abandonné « en attendant des recherches linguistiques permettant une transcription scientifique de ces langues », explique Djénabou Baldé, chercheur à l’Institut Supérieur des Sciences de l’Éducation de Guinée, dans la Revue de Recherche en Éducation.
La population guinéenne présente une riche diversité culturelle.
La Guinée : une riche diversité culturelle
Les Malinkés, Koniankés, Peulhs, Toucouleurs, Diakankés, Soussous, Bagas, Nalous, Mikoforès, Kissis, Guerzés, Tomas, Manons, Konos… (23+)
- 4 régionsBasse Guinée, Moyenne Guinée, Haute Guinée et Guinée Forestière
- 6 pays frontaliersGuinée Bissau à l’ouest, le Sénégal et le Mali au nord, la Côte d’Ivoire à l’est, le Libéria et la Sierra Léone au sud
Source: Présidence de Guinée
L’écriture de la langue soussou
Comme de nombreuses autres langues, l’écriture soussou a emprunté des systèmes de transcription utilisant les caractères arabes avant de passer à l’alphabet latin. A partir de 1949, le soussou est écrit avec des alphabets africains.
L’alphabet arabe (adjami)
L’adjami est un ensemble d’alphabets dérivés de l’alphabet arabe pour l’écriture de langues sub-sahariennes en Afrique de l’Ouest mais aussi en Afrique de l’Est pour le swahili ou le somali. Il a été harmonisé et normalisé sous l’égide de de l’UNESCO et de l’ISESCO (Organisation islamique pour l’éducation, la science et la culture).
Historiquement, on retrace l’utilisation des caractères arabes en Guinée à la création au 18e siècle de l’État théocratique musulman du Fouta-Djalon. L’islam ainsi que l’écriture arabe se sont d’abord imposés dans les États peuls avant de s’étendre à d’autres régions et populations. Mais il existe peu d’information témoignant de l’emploi de caractères arabes pour la transcription de langues comme le soussou. Certains experts retracent l’utilisation de l’adjami soussou aussi loin qu’au 12e siècle.
Dans son ouvrage intitulé ‘Sur l’écriture mandingue et mandé en caractères arabes (Mandinka, Bambara, soussou, mogofin), le professeur Valentin Vydrine, enseignant-chercheur à l’INALCO, conclut que « des trois graphies [latin, arabe et n’ko], l’écriture arabo-mandingue est la plus vulnérable : elle est la moins adaptée aux systèmes phonologiques des langues mandingues, elle représente plus de difficultés pour la typographie et l’informatique (surtout par rapport à l’alphabet latin) ; elle ne donne pas d’ouverture sur la culture et le savoir occidentaux ; elle ne sert pas de symbole pour l’idée pan-mandingue ( à la différence de l’alphabet n’ko) ».
De la même manière, de nombreux chercheurs dont le professeur Bangoura assurent que « l’alphabet arabe n’est pas adapté au soussou ».
L’alphabet latin
Le soussou est écrit à l’aide de l’alphabet latin depuis le XIXe siècle.
« Ce sont les Portugais qui ont commencé à transcrire le soussou en latin. Ils ont vécu avec les Soussous pendant 300 ans », a déclaré le professeur Bangoura originaire de Coyah, en Guinée.
Les Portugais furent les premiers Européens, au XVe siècle, à explorer les côtes de ce qui est aujourd’hui la Guinée, le Sénégal et la Gambie, et à s’y établir.
« Après il y a eu les Anglais. Mon grand-père écrivait en lettres latines en 1842. Mais certains sons n’existaient pas. Par exemple, ils n’auraient pas pu prononcer ‘MBappé’ [comprendre le nom du footballeur Kylian Mbappé] car ce son n’existait pas dans leur langue. Il y avait plusieurs manquements (qui ont conduit à plusieurs emprunts). Et cela posait des difficultés pour lire la langue soussou en caractère latin ».
Principalement utilisé pour écrire les langues européennes, l’alphabet latin a été adopté dans de nombreux pays qui ont été exposés à une forte influence européenne, notamment à travers la colonisation. Il a pour origine l’alphabet grec.
« L’alphabet latin utilisé sous Sékou Touré est le meilleur qui ait été conçu. Il ne comprenait aucun caractère phonétique spécial et il peut se transcrire avec n’importe quel clavier », a déclaré à BBC Afrique Gérard Galtier, docteur en linguistique et chargé de cours de langue soninké à l’INALCO à Paris.
L’alphabet national guinéen a par la suite été standardisé avec l’alphabet africain de référence, un alphabet fondé sur l’alphabet latin tenant compte des réformes du système d’écriture des langues africaines, « un nouveau système phonétique utilisant des caractères phonétiques spéciaux de l’International Phonetic Alphabet (IPA) », a déploré le docteur en linguistique, considérant que ce fut une ‘grave erreur’. « Il est devenu impossible d’écrire le soussou avec ce système. Ce qui fait que tout ce qui est fait en Guinée avec ce système ne sert à rien (idem pour le Mali) », a-t-il ajouté.
Le nouvel alphabet guinéen a été adopté par décret comme alphabet national en 1988.
Les limites dans la transcription des langues africaines utilisant les alphabets arabe et latin ont été observés par de nombreux linguistes.
Pour transcrire les langues tonales comme le soussou pour laquelle chaque variation du ton (le fait pour un même mot d’avoir plusieurs significations) change le sens du mot, de la phrase, de la conversation etc… il existe d’autres systèmes d’écriture crées par des chercheurs africains dont l’apprentissage ne cesse de se développer.
Le n’ko – un alphabet africain
Nous sommes à Bingerville, en Côte d’Ivoire, en 1949. Désireux de prouver que les Africains ont bel et bien un système d’écriture qui leur est propre, Solomana Kanté décide de créer un système de transcription plus adapté aux sonorités, aux nuances et tonalités des langues mandingues que des systèmes étrangers comme l’alphabet latin ou arabe. C’est ainsi qu’est né le n’ko. 72 ans plus tard, cette écriture est enseignée dans des universités aussi prestigieuses qu’Harvard ainsi qu’une dizaine d’autres à travers le monde.
L’alphabet N’Ko comprend 27 lettres dont 20 consonnes et sept voyelles avec un intermédiaire, représenté par huit signes pour marquer les tons. Comme l’arabe, l’écriture s’oriente de la droite vers la gauche. Le sens de l’écriture se serait imposé après un test pratique réalisé par l’inventeur qui a demandé à des passants illettrés de produire des lignes tracées dans le sens qui leur semblait le plus naturel.
Le n’ko a initialement été conçu pour transcrire « sa langue maternelle le Maninka, en utilisant les caractères arabes qu’il maitrisait parfaitement », précise Ibrahima Kanté, son fils ainé, dans sa biographie. L’utilisation et l’apprentissage du n’ko s’est ensuite étendu à un ensemble de langues africaines qui utilisaient aussi les alphabets arabe et latin.
Alpha Oumar Kalissa, enseignant de soussou, considère également que le Nko « est bien adapté au soussou, c’est un alphabet qui est utilisé dans bien de langues. Il en est de même pour l’ADLaM qui a des tons pour les langues tonales et cet alphabet s’adapte pour toutes les langues ».
Solomana Kanté était « un chercheur infatigable et pédagogue chevronné », selon Ibrahima Kanté. Prolifique écrivain, le chercheur guinéen a rédigé plusieurs ouvrages en n’ko et fait la transcription de quelque 183 œuvres listées dans la biographie complétée par son fils ainé. On y retrouve notamment une traduction du Coran, des manuels pédagogiques, de sciences, d’histoire, de religion, de culture, de philosophie sur des sujets tels que les sciences physiques et la géographie, les travaux poétiques et philosophiques.
N’KO, qui signifie « je dis », fait aussi référence à un discours historique de Soundiata Keita, l’empereur du Mali, à son armée en 1236 : « Vaillants soldats, tous ceux qui disent ‘N’ko’, c’est à vous que je m’adresse ».
Fort de son succès et défendu par des adeptes aux quatre coins du monde, le n’ko a suivi le développement technologique. En 2005, l’alphabet a été intégré dans l’Unicode, un standard informatique permettant des échanges et la normalisation des textes dans différentes langues dans le monde. On trouve aujourd’hui des outils informatiques en n’ko, notamment dans les téléphones mobiles, avec des claviers Android et Macs.
Le Koré Sèbèli – un autre alphabet africain
L’écriture Koré Sèbèli ou Wakara (« Plume du ciel ») signifie « Écriture du ciel ». Inspiré d’une forme d’écriture utilisée au sein d’un groupe secret, cet alphabet a été inventé par le chercheur-sociologue guinéen Mohamed Bentoura Bangoura.
« J’ai fait des recherches pratiques pour que la langue soussou soit véritablement transcrite parce que c’est une langue plus riche que le malinké. Les langues côtières sont les langues les plus riches tandis que le malinké est une langue continentale uniquement, comme le pular », a-t-il déclaré.
« Sauvegarder un système idéographique ancestral »
D’après les recherches de Mr Bangoura, la communauté Soussou avait son propre système de communication écrite depuis l’antiquité : un système idéographique. Mais sous l’influence des écritures arabes et latines, cette écriture a disparu. La dimension sacrée et secrète de cette forme d’écriture est liée au Laga (une école secrète noire) où les jeunes initiés apprenaient 12 mots auxquels étaient attachés 12 féndalis (hiéroglyphes) pour lire les oracles. En 1979, le chercheur a décrypté les 12 féndalis et les a fait correspondre à un ensemble de nombres. Après plus de 30 ans de recherches, l’alphabet Koré Sébèli a vu le jour en 2009.
« J’ai écrit cette langue et j’ai trouvé 29 lettres pour transcrire le soussou correctement ».
Composé de 29 lettres (dont 22 consonnes, 5 voyelles, 2 médianes) et 12 signes mathématiques, cet alphabet phonétique est accompagné d’un ensemble de 100 séquences idéographiques extraits de la charte de Kemekiriyah.
La graphiste Lucille Guigon travaille avec le professeur Bangoura ainsi que Mohamed Lamine Sylla, un de ses élèves, sur l’intégration de l’écriture Koré Sèbèli dans le système Unicode.
« La typographie que l’ai créé réunit un ensemble de 83 idéogrammes que j’al prélevés et intégré dans la typographie afin que les gens puissent a partir du clavier composer les séquences de la charte juridique ou d’autres séquences », explique-t-elle. Ajoutant : « Mon projet vise d’une part à ancrer l’alphabet contemporain et d’autre part, à sauvegarder un système idéographique ancestral« .
ADLaM – un troisième alphabet africain
ADLaM est un système d’écriture créé en 1989 par les frères Ibrahima et Abdoulaye Barry pour transcrire leur langue maternelle, le peul (ou pular).
Geneviève Sagno
BBC Afrique
Source : BBC Afrique (Royaume-Uni)
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