
Le Monde – Pour la première fois, trois femmes tutsi parlent à visage découvert des viols qu’elles ont subis de la part de soldats français juste après le génocide dont elles avaient réchappé, en 1994.
« On pensait naïvement que le Blanc était un sauveur et qu’il apportait forcément la paix. Mais nos problèmes ont empiré. » C’est par le témoignage brutal d’une Rwandaise que commence Le Silence des mots. Un documentaire coréalisé par l’artiste franco-rwandais Gaël Faye, auteur de Petit Pays (Grasset, 2016), et Michael Sztanke, réalisateur, en 2019, de Rwanda, chronique d’un génocide annoncé pour France 24. Il retrace le destin brisé de trois réfugiées tutsi qui auraient été violées par des militaires français – dont la mission, sous mandat de l’ONU, était de « protéger les populations ».
Fin juin 1994, les collines du Rwanda encore rougies du sang des 800 000 victimes du génocide des Tutsi, la France envoie 2 500 soldats pour une opération militaro-humanitaire baptisée « Turquoise ». Dans les camps de réfugiés de Nyarushishi et de Murambi s’entassent des rescapés ayant échappé aux machettes des tueurs hutu. Il y a parmi eux des milliers de femmes.
« Les soldats français étaient toujours en train de guetter, à la recherche d’une jolie fille, raconte Marie-Jeanne Muraketete, âgée de 51 ans aujourd’hui. Parfois, ils te sortaient de la tente et faisaient de toi ce qu’ils voulaient. » « Leurs désirs étaient des ordres, ajoute Prisca Mushimiyimana. Il fallait se mettre à quatre pattes ou lever la jambe, ils réalisaient tous leurs fantasmes. » « Ils m’ont plaquée au sol, se souvient, en pleurs, Concessa Musabyimana. Un soldat prenait des photos et un autre était en train de me violer. »
Souci de transmission
Avec courage et pudeur, ces trois femmes se confient face caméra. L’émotion est forte lorsqu’elles reviennent sur les lieux où elles ont vécu l’enfer. « Y retourner nous fera beaucoup pleurer, mais on se sentira mieux après », assure l’une pour encourager l’autre. « On dit que ceux qui ne savent pas d’où ils viennent ne savent pas où ils vont », affirme Prisca. Dans un souci de transmission, Marie-Jeanne Muraketete propose à sa fille de l’accompagner afin qu’elle sache « ce qui s’est passé », qu’elle « voit là où nous avons survécu ».

Marie-Jeanne Muraketete (à gauche) et sa fille dans « Le Silence des mots », de Gaël Faye et Michael Sztanke.
Les paroles de ces femmes n’avaient jamais été diffusées à la télévision. A la barre d’un tribunal, en revanche, elles ont déjà été entendues. En 2004, grâce au soutien de la docteure Annie Faure, qui travaillait pour Médecins du monde pendant le génocide, Prisca, Marie-Jeanne et Concessa ont déposé plainte contre X pour viols devant la justice française. Mais les deux décennies d’instruction, au pôle génocide et crime contre l’humanité du tribunal de grande instance de Paris, n’ont pas fait avancer leurs dossiers.
Le Silence des mots, documentaire de Gaël Faye et Michael Sztanke (Fr.-Rw., 2022, 53 min). Disponible sur Arte.tv jusqu’au 19 mars 2025.
Source : Le Monde
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com