L’Afrique face à un embouteillage de vaccins contre le Covid-19

La plupart des pays sont incapables de distribuer les millions de doses envoyées de manière désordonnée par les pays riches. Seulement 16 % des Africains sont vaccinés.

Le Monde – Après avoir souffert d’une pénurie de vaccins au pic de la pandémie de Covid-19, l’Afrique croule aujourd’hui sous des millions de doses que la plupart des pays ne sont pas en mesure d’absorber. En cause, le manque de moyens logistiques pour les distribuer, ou de volontaires parmi des populations, toujours peu convaincues de la nécessité de se protéger par la vaccination. Les dons promis par les pays riches dans le cadre d’accords bilatéraux, et les livraisons assurées à travers le mécanisme de solidarité internationale Covax affluent de manière désordonnée et avec des délais d’expiration encore trop courts.

 

Après le Nigeria, le Soudan du Sud ou le Malawi, le Kenya vient à son tour d’être contraint de détruire 840 000 doses d’AstraZeneca reçues de Covax. « Nous devons davantage nous coordonner, et il faut aider les pays à accroître leurs capacités de transport, de stockage, et former leur personnel soignant », a répété John Nkengasong, directeur des Centres de prévention et de contrôle des maladies de l’Union africaine (CDC Afrique), jeudi 14 avril.

 

Appel au « respect des engagements »

Cette situation a d’autres conséquences néfastes : le Fonds africain pour l’acquisition des vaccins (AVAT, en anglais) redoute de voir certains gouvernements se rétracter et ne pas honorer leurs commandes. Le projet a été lancé en avril 2021 pour pallier les défaillances de Covax, à l’époque pris au piège de sa dépendance à l’égard du Serum Institute of India, son unique fournisseur. Il a permis de sécuriser 400 millions de doses auprès du laboratoire Johnson & Johnson grâce à la garantie financière apportée par la banque panafricaine Afreximbank. Les pays, pour la plupart très pauvres, ont obtenu des facilités de prêt pour pouvoir s’approvisionner. Mais la disponibilité de vaccins gratuits en grande quantité les fait aujourd’hui hésiter à s’endetter. « Trente-cinq millions de doses attendent que les pays commanditaires viennent en prendre livraison », a précisé John Nkengasong en appelant au « respect des engagements ».

L’avenir de la première unité de fabrication de vaccin contre le Covid-19 sur le continent est aussi sur la sellette faute de commandes. La direction d’Aspen Pharmacare, dont le siège est situé à Durban (Afrique du Sud), a ainsi fait savoir qu’elle pourrait se trouver dans l’obligation de suspendre sa chaîne de production. En novembre 2020, le laboratoire sud-africain avait signé un accord avec l’américain Johnson & Johnson, ouvrant la voie à la production et à la commercialisation d’un vaccin contre le Covid-19 « fabriqué en Afrique pour l’Afrique ». En mars, le partenariat avait franchi une nouvelle étape avec l’octroi d’une licence autorisant les Sud-Africains à produire le vaccin sous leur propre marque.

 

Le renoncement d’Aspen, s’il devait se confirmer, serait un mauvais signal après les efforts déployés pour doter le continent de ses propres capacités de production de vaccins. Le Rwanda, le Sénégal et l’Afrique du Sud ont scellé un accord avec l’entreprise allemande BioNTech pour la fabrication locale de son vaccin à ARN messager. Le Kenya, lui, doit accueillir l’américain Moderna.

L’objectif d’immuniser 70 % de la population africaine d’ici à la fin 2022 est pourtant loin d’être atteint. Seuls 16 % bénéficient d’une vaccination complète, avec des disparités toujours immenses à travers le continent. Une dizaine de pays seulement sont parvenus à couvrir plus de la moitié de leur population. A côté du Rwanda, du Maroc, de Maurice ou des Seychelles, où le taux de vaccination varie entre 60 % et 85 %, les pays les plus peuplés comme l’Ethiopie, le Nigeria et la République démocratique du Congo (RDC) restent à la traîne. Au niveau mondial, l’ONU a identifié 34 pays pour lesquels la cible des 70 % est hors de portée. Parmi eux, 28 sont africains.

« Inverser l’ordre des choses »

Nommé en février pour appuyer ces pays à préparer leurs campagnes de vaccination, l’émissaire des Nations unies Ted Chaiban plaide pour un changement d’approche. « C’est aux gouvernements de nous dire de quoi ils ont besoin et quand. Nous devons inverser l’ordre des choses : jusqu’à présent, les pays ont reçu ce que nous avions décidé de leur donner. Il nous faudra aussi nous montrer plus créatifs pour convaincre les populations de se protéger », explique-t-il, en visite en RDC, où moins de 1 % de la population est vaccinée. Selon lui, l’Eglise catholique, qui gère 40 % des centres de santé de base, pourrait ici jouer un rôle-clé. Une lettre pastorale est en discussion. Dans un autre registre, les artistes et les influenceurs sur les réseaux sociaux pourraient être mobilisés pour porter la bonne parole. « Quoi qu’il en soit, ce sera un chemin de longue haleine », reconnaît-il.

La décrue continue des contaminations depuis le pic de la quatrième vague, début janvier, n’encourage pas les Africains à prendre le chemin des centres de vaccination. Au 20 avril, le bilan de l’épidémie s’établissait à 11,3 millions de cas et 251 750 décès, selon les chiffres officiels de CDC Afrique. Le rythme hebdomadaire des nouvelles infections est passé sous le seuil des 20 000. Un chiffre qu’il convient de relativiser, compte tenu de la faible quantité de tests pratiqués sur le continent : moins de 600 000 par semaine pour une population de 1,3 milliard d’habitants.

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Laurence Caramel

Source : Le Monde

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