« Aux Etats-Unis, les Noirs continuent à mourir cinq ans plus tôt que les Blancs »

Un rapport souligne la persistance des inégalités raciales d’accès aux soins, un « apartheid médical » lié notamment, selon les chercheurs, au tabou entourant la question raciale, explique Corine Lesnes dans sa chronique.

 Le Monde – En 2003, un rapport sur les inégalités face à la santé, mandaté par le Congrès des Etats-Unis, avait montré que les Américains issus de minorités recevaient des soins de moins bonne qualité que le reste de la population. Le document (« Unequal Treatment »), élaboré sous l’égide du chercheur Brian Smedley, de l’Institut national de médecine, avait été le premier à incriminer le racisme structurel dans les disparités de traitement, au-delà de la pauvreté ou du manque d’accès à l’assurance-maladie. Il avait reçu un écho important au Congrès et dans le corps médical.

Près de vingt ans plus tard, Brian Smedley constate qu’« aucun progrès significatif » n’a été accompli. Dans un livre à paraître, dont il a livré les conclusions fin février devant le centre pour le journalisme médical de l’université de Californie du Sud, il déplore que les Noirs continuent à mourir cinq ans plus tôt en moyenne que les Blancs. Dans chaque catégorie de maladie, souligne-t-il, leur taux de mortalité est supérieur à celui des autres catégories de population. La pandémie a particulièrement frappé les minorités. Fin novembre 2020, Noirs, Hispaniques et Amérindiens étaient trois à quatre fois plus susceptibles de mourir du Covid-19 que les Blancs. « Ce que nous continuons largement à voir, explique Brian Smedley, c’est une sorte d’apartheid médical. »

 

Industries polluantes

 

Les causes des inégalités sont multiples : le morcellement du système d’assurance santé, l’absence d’harmonisation des statistiques dans les hôpitaux, les facteurs environnementaux. Les industries polluantes ont pu impunément s’installer dans des quartiers peuplés de personnes de couleur, souligne Brian Smedley. Selon lui, le tabou qui entoure la question raciale aux Etats-Unis reste aussi un facteur de blocage, même si le mouvement Black Lives Matter qui a déferlé sur le pays à l’été 2020 a permis de lever certains non-dits. « Pour la première fois, nous avons débattu du fait que le racisme va au-delà des attitudes individuelles », se félicite-t-il.

 

Les professions médicales rechignent à reconnaître une part de responsabilités dans les différences de traitement. « Les personnels soignants nous disent qu’ils ne voient même pas la couleur. Mais ça n’est pas possible, selon le chercheur. Nous prenons tous en compte la couleur. » Exemple : les notes consignées par les médecins pendant la consultation. Une enquête réalisée sur 40 113 notes puisées dans le registre électronique des données des patients a montré que les Noirs avaient 2,5 fois plus de chances que les autres de faire l’objet de mentions négatives pour « non-coopération ». Autre manifestation des préjugés : la croyance, répandue jusque chez les étudiants en médecine (selon une étude de 2016), que les Noirs ont une tolérance plus grande à la douleur. Résultat : ils se voient systématiquement prescrire moins d’antalgiques.

 

Peu de médecins afro-américains

 

Selon plusieurs enquêtes, les patients noirs s’en sortent mieux quand ils sont traités par des soignants noirs. Une étude de 2020 portant sur 1,8 million de naissances en Floride entre 1992 et 2015 a, par exemple, montré que le taux de mortalité à la naissance avait été réduit de moitié pour les nouveau-nés noirs quand le praticien était lui-même noir. Les minorités restent cependant sous-représentées dans le corps médical. Seuls 5 % des médecins sont afro-américains (alors que les Noirs comptent pour 12,4 % de la population). En revanche, 22 % des praticiens américains sont d’origine asiatique alors que les « Asians » ne représentent que 6 % de la population.

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Source : Le Monde

 

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