Ramadan et diplomatie à Paris

Les ambassadrices à Paris des Etats-Unis et des Emirats arabes unis ont chacune organisé cette semaine un iftar, soit un dîner de rupture de jeûne du ramadan, afin de promouvoir la position de leur pays en France.

 Le Monde – Jean Castex avait, en avril 2021, adressé un « message de fraternité et souhaité un bon ramadan » à « nos compatriotes musulmans » au début du mois de jeûne islamique. Cette année, le silence est de rigueur, à l’évidence du fait de la campagne présidentielle. Il est loin le temps où, en 2001, Lionel Jospin invitait à Matignon les membres du Conseil français du culte musulman (CFCM) pour un « iftar républicain ».

 

Emmanuel Macron avait assisté, en 2017, à un iftar organisé par le CFCM, avant de choisir, les années suivantes, d’y déléguer son premier ministre, puis son ministre de l’intérieur, chargé des cultes. Alors que le CFCM est en crise et que l’Elysée entend le remplacer par un Forum de l’islam de France, la prudence des autorités françaises en ce mois de ramadan contraste avec les iftars qu’ont très officiellement organisés cette semaine les ambassadrices à Paris des Etats-Unis et des Emirats arabes unis.

Chez l’ambassadrice des Etats-Unis

Denise Bauer, qu’Obama avait déjà nommée ambassadrice en Belgique, a animé le comité des « femmes pour Biden » lors de la campagne présidentielle de 2020. Cette militante démocrate n’a, du fait du blocage républicain au Sénat, pu prendre ses fonctions à Paris qu’en février dernier. Et elle tient à rappeler, sur son carton d’invitation, qu’elle est aussi ambassadrice auprès de la principauté de Monaco.

Une fois qu’un imam a lancé, dans un salon de sa résidence, l’appel à la prière qui marque la fin du jeûne diurne, l’ambassadrice souhaite à ses nombreux invités « un excellent ramadan, propice au renouvellement de l’engagement des uns envers les autres ». Elle évoque la mémoire de Thomas Jefferson, l’un des premiers ambassadeurs des Etats-Unis à Paris, qui consultait régulièrement un coran aujourd’hui exposé à la bibliothèque du Congrès.

Mettant en parallèle la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis de 1776 et la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789, elle juge « plus urgent que jamais de faire retentir ces valeurs », à l’heure où la résistance à l’invasion russe de l’Ukraine participe d’une défense mondiale de l’Etat de droit. Elle souligne enfin qu’en Chine les Ouïgours ne peuvent observer le jeûne du ramadan qu’en cachette, tandis qu’au Myanmar les Rohingya ont été la victime d’un véritable « génocide » du seul fait de leur foi musulmane.

Chez l’ambassadrice des Emirats arabes unis

Hend Al-Otaiba, ambassadrice en France depuis moins d’un an, est la sœur de l’ambassadeur des Emirats à Washington, l’épouse de l’ambassadeur auprès de l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) et la fille d’un ancien ministre du pétrole.

La politique, comme la diplomatie, demeure aux Emirats une affaire de famille, dans un pays où seul un dixième de la population détient la nationalité. Mme Al-Otaiba place l’iftar auquel elle invite sous le signe du « dialogue interreligieux », en ce mois de ramadan qui coïncide avec les Pâques juive et chrétienne.

L’ambassadrice affirme même que le traité de paix, signé en septembre 2020, entre Israël et les Emirats, est le fruit d’un tel dialogue, ce qui justifierait son nom d’« accord d’Abraham ». Elle rappelle que c’est aux Emirats que le pape François a effectué, en février 2019, le premier déplacement d’un pape dans la péninsule Arabique, et qu’il a alors signé, avec le grand imam d’Al-Azhar, à l’université islamique du Caire, un « document sur la fraternité humaine ». Elle annonce qu’une « maison de la famille d’Abraham » ouvrira bientôt ses portes à Abou Dhabi, avec une église, une synagogue et une mosquée.

 

« La laïcité est une chance »

Un échange s’ouvre ensuite entre Eric de Rothschild, président du Mémorial de la Shoah, Xavier Gué, un des directeurs de l’Institut catholique de Paris, et Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris. M. Hafiz évoque l’action de Kaddour Ben Ghabrit qui, à la tête de la Grande Mosquée durant la seconde guerre mondiale, protégea un réseau d’assistance aux juifs persécutés.

Un des imams de la Grande Mosquée, Abdelkader Mesli, fut même déporté à Dachau, et une rue de Paris doit prochainement être nommée en son honneur. Rappelant que « les musulmans sont les premières victimes du terrorisme », M. Hafiz considère que « la laïcité est une chance, car elle est un bien commun dans lequel tous les citoyens se retrouvent, quelle que soit leur croyance ou leur absence de croyance ». Il n’en est que plus « déçu » par une campagne présidentielle où les tenants du « grand remplacement » ont pu diffuser leurs calomnies à l’encontre des supposés « Français de papier » que seraient les musulmans, et ce sans réaction sérieuse des autres candidats.

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Source : Le Monde

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