En Ouganda, le « Général Twitter », fils de Museveni, attend son heure dans l’ombre du père

Depuis deux décennies, les spéculations vont bon train au sujet de Muhoozi Kainerugaba, commandant chef de l’armée de terre. Un suspense alimenté par l’intéressé lui-même.

Le Monde – Quasi absent des médias traditionnels ou de la scène publique, il est en revanche un utilisateur compulsif des réseaux sociaux. Muhoozi Kainerugaba, 47 ans, fils aîné du président de l’Ouganda, Yoweri Museveni, et commandant de l’armée de terre ougandaise, se démarque dans un univers militaire où le silence est traditionnellement respecté par les hauts gradés.

Cette époque est-elle révolue pour le « Premier fils », l’un de ses surnoms, pressenti comme le successeur de son père, au pouvoir depuis trente-six ans ? Le 12 avril, son compte Twitter, fort de plus de 500 000 abonnés, a été désactivé sans aucune explication. « Il n’a pas été sanctionné par le réseau social, mais, depuis des mois, il multipliait la publication de messages controversés, pouvant lui donner une image agressive et impulsive », note Bernard Sabiiti, analyste politique basé dans la capitale, Kampala.

 

Parfois surnommé « Général Twitter », le militaire affirmait par exemple début mars que le président russe Vladimir Poutine avait « absolument raison » dans le conflit ukrainien. Plus récemment, il avait menacé la communauté pastorale kényane des Turkana, responsable selon lui de violences dans la région ougandaise frontalière du Karamoja.

 

Diplômé de Sandhurst

 

Mais c’est une publication datée du 8 mars qui a suscité le plus de réactions, au-delà même des frontières ougandaises. « Après vingt-huit années de service dans ma glorieuse armée, la plus grande armée du monde, je suis heureux d’annoncer ma retraite », indiquait le tweet. Une annonce qui a aussitôt suscité des spéculations sur ses ambitions politiques, alors que sa candidature à une élection fait déjà l’objet d’une campagne sur les réseaux sociaux, menée notamment par différents proches du parti présidentiel.

« Le départ d’un officier précède souvent son entrée en politique », précise Emmanuel Mutaizibwa, journaliste et analyste ougandais, alors qu’en Ouganda, les militaires en service ne peuvent se présenter à aucun scrutin, hormis pour les dix sièges réservés aux Forces de défense du peuple ougandais (UPDF) au Parlement. Mais quelques heures après ce tweet, nouveau coup de théâtre : dans une vidéo, Muhoozi Kainerugaba dément le post initial et explique qu’il ne prendra pas sa retraite « demain, mais dans huit ans ».

« Ce n’était qu’un malentendu avec le manager de ses réseaux sociaux, qui avait mal compris ce qu’on lui avait dicté », affirme au Monde Afrique le cofondateur du magazine The Independent, Andrew Mwenda, un ami proche du fils du président et qui apparaît à ses côtés dans la vidéo. Malgré cette mise au point, les discussions continuent d’aller bon train sur les intentions politiques de l’héritier de Yoweri Museveni. « Ce départ à la retraite démenti est aussi un test pour observer les différentes réactions », estime Bernard Sabiiti.

 

Les spéculations sur l’avenir de Muhoozi Kainerugaba n’ont cessé d’accompagner son ascension au cœur du pouvoir et de l’armée. Dès 1997, le jeune homme, alors âgé de 23 ans, provoque des débats au Parlement après avoir recruté une centaine d’étudiants de la prestigieuse université de Makerere, à Kampala, pour former une garde présidentielle d’élite, comme le révèle à l’époque le journaliste Peter Mwegisa qui travaillait pour le média The Crusader.

Ce dernier obtient alors, quelques jours après la polémique, la première et l’une des rares interviews du fils du président. « Il était réservé devant la presse et mesuré. Le Muhoozi que je suis sur Twitter semble très différent de celui que j’ai rencontré », raconte-t-il aujourd’hui. A la question d’une possible entrée en politique, « il répondait simplement que si sa nation l’appelait, il répondrait ».

Deux ans plus tard, l’héritier intègre les UPDF. Multipliant les formations, il est diplômé en 2000 du très réputé Collège militaire royal de Sandhurst, au Royaume-Uni, puis de différents établissements en Egypte, en Afrique du Sud et aux Etats-Unis. Rapidement promu, il grimpe les échelons jusqu’aux plus hautes fonctions militaires. Placé à la tête des puissantes forces spéciales, il est nommé en août 2021 à son poste actuel de commandant de l’armée de terre.

 

Sur le long terme

 

« Il a sans doute des ambitions politiques, atteste Andrew Mwenda, mais il est très réservé sur le sujet. » Jamais le fils du chef de l’Etat n’a publiquement exprimé le désir de se présenter à une élection, démentant à plusieurs reprises la réalité d’un « projet Muhoozi », dénoncé il y a près de dix ans par le général David Sejusa. Dans une note confidentielle révélée par le Daily Monitor en mai 2013, le directeur du renseignement de l’époque évoque l’existence d’un plan destiné à préparer le jeune militaire à prendre la suite de son père, et avertit que les opposants à ce dessein prennent le risque d’être assassinés. La police fait alors fermer pendant plusieurs jours les locaux du journal et de deux radios ayant relayé l’information.

« Les critiques à l’égard du fils du président Museveni sont souvent plus réprimées que celles contre le chef de l’Etat lui-même », souligne Bernard Sabiiti. Preuve en est le destin de l’écrivain ougandais Kakwenza Rukirabashaija, arrêté en décembre après une série de tweets moquant Muhoozi Kainerugaba. Il y qualifiait notamment le général d’« obèse » et de « rouspéteur ». En février, l’auteur, en liberté provisoire, s’est enfui en Allemagne, affirmant avoir été torturé durant sa détention. Selon Bernard Sabiiti, tout ce contexte « pose des questions sur les libertés, s’il finit par suivre les traces de son père », alors que le régime de Museveni, âgé de 77 ans et au pouvoir depuis 1986, a déjà réduit au silence de nombreuses voix critiques.

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Source : Le Monde (Le 15 avril 2022)

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