
Le Monde – Ils représentent un pan peu connu de l’hôpital, pourtant indispensable à son fonctionnement. Les médecins étrangers, plus précisément les titulaires d’un diplôme hors Union européenne, qui exercent dans de nombreux services sous différents statuts, se retrouvent cette année face à un bug d’ampleur, qui fait craindre une déstabilisation des établissements, déjà fragilisés par deux années de crise sanitaire. En cause, la réforme de l’une des principales procédures d’autorisation d’exercice nécessaires pour exercer en France.
Ces professionnels, souvent diplômés au Maghreb et en Afrique, ont été près de 2 000 (1 716 en liste principale, 261 en liste complémentaire), sur les 4 800 candidats, à réussir les épreuves de vérification des connaissances (EVC). Mais ces lauréats ont vu leur situation « gelée ». Leur affectation dans les hôpitaux, qui devait avoir lieu à partir de février dans la foulée de la publication des résultats, a été stoppée net.
Pour la première fois, les lauréats étaient appelés à choisir dans une liste de postes, dans l’ordre de leur rang de classement. Celle-ci avait été établie par le ministère de la santé, en fonction des remontées des agences régionales de santé (ARS), après recueil des besoins des établissements – auparavant, le recrutement se faisait de « gré à gré » entre lauréats et hôpitaux. Mais la machine s’est grippée. Des postes de la liste n’existaient plus, ont découvert des lauréats après avoir contacté l’hôpital ; des services qui n’ont pas obtenu les postes souhaités ont compris qu’ils allaient perdre les lauréats exerçant déjà chez eux…
« Mépris pour ces professionnels »
Des premiers intéressés jusqu’aux chefs des services voulant recruter, la bronca a été générale face au « gros cafouillage ». Cette réforme, introduite par la loi du 24 juillet 2019, visait pourtant à sécuriser le statut des médecins étrangers et à leur apporter des garanties de trouver un service pour leurs deux années obligatoires de « parcours de consolidation des compétences », avec l’assurance d’un accompagnement par un médecin « senior ».
Dans l’urgence, le calendrier a été revu par le ministère. La procédure d’affectation aura finalement lieu entre le 23 mai et le 8 juillet. Il a surtout été demandé aux établissements de faire, à nouveau, remonter leurs besoins d’ici à la fin avril, afin de publier une liste réactualisée avec des postes supplémentaires. Dernier aménagement : priorité sera donnée, avant ceux ayant obtenu un bon classement, aux professionnels déjà en poste dans un hôpital et qui souhaiteraient y rester.
Au ministère de la santé, on assure que, désormais, les risques de déstabilisation des hôpitaux en raison de départs de médecins étrangers ont été, et seront, évités
La tension n’est pas totalement retombée pour autant. « Personne n’y comprend plus rien », déplore Mathias Wargon, chef du service des urgences de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), qui espère obtenir, en plus des postes d’urgentistes demandés, trois postes de généralistes pour ses médecins qui pourraient sinon devoir quitter son service. Il ne décolère pas contre les difficultés prévisibles d’un nouveau fonctionnement qui ne lui convient pas, et sur lequel il a alerté. « Cela montre le mépris pour ces professionnels qui sont là pour boucher les trous d’une liste, et qu’on ne traite pas comme des médecins à part entière, mais comme des internes, juge-t-il. Nous non plus, on ne nous considère pas capables de recruter nos médecins. »
Au ministère de la santé, on assure que, désormais, les risques de déstabilisation des hôpitaux en raison de départs de médecins étrangers ont été, et seront, évités. Pour la suite, « nous tirerons un bilan d’étape, collectif », dit-on Avenue de Ségur, tout en défendant l’intérêt de ce nouveau fonctionnement, grâce auquel les lauréats n’ont pas à faire la tournée des établissements pour trouver un poste.
« C’est le chaos »
« On redevient optimiste, mais on espère que nos demandes seront bien suivies d’une ouverture de poste », explique David Piney, vice-président de la Conférence des présidents de commission médicale d’établissement des centres hospitaliers. Car la liste initiale interroge toujours : « Dans le Grand-Est, l’ARS a fait remonter 500 postes, pour que 190 seulement soient finalement publiés. La répartition et les priorités restent opaques. »
« Le problème, c’est aussi que le recensement des postes a eu lieu en mai, entre-temps, nos besoins ont évolué », pointe le directeur de l’hôpital de Beauvais, Eric Guyader, qui avait demandé 19 postes (pour 13 publiés). Dans le service de pneumologie, qui souffrait du manque de médecins, et devait recourir à l’intérim, le poste publié n’était plus suffisant. L’hôpital avait en effet réussi entre-temps à recruter, outre le médecin à diplôme étranger déjà présent auquel le poste était destiné, un second médecin qui a décroché le concours des EVC. Pas question de le perdre.
Les principaux intéressés restent insatisfaits. « Il n’y a pas de solution pour contenter tout le monde, c’est le chaos et la liste va encore changer, s’inquiète Nefissa Lakhdara, secrétaire générale du Syndicat national des praticiens à diplôme hors UE. Maintenant, ce sont les mieux classés qui peuvent se retrouver pénalisés. » Le syndicat défend, pour cette année, le retour à une procédure de recrutement de « gré à gré », la seule à même d’être encore « équitable ».
Les lauréats sur liste complémentaire restent aussi dans un « désarroi total », selon les mots du pédiatre Mehdi Bouabid, qui en fait partie. « Avec la crise sanitaire, les déserts médicaux, comment se permet-on de snober 261 spécialistes à qui l’on a pourtant dit qu’ils avaient le niveau ?, interroge cet homme originaire d’Algérie exerçant à l’hôpital de Creil (Oise) sous le statut de « faisant fonction d’interne ». Je cravache depuis un an, entre mes gardes, mes enfants, la préparation du concours, pour me retrouver dans cette totale incertitude… »
Ces cinq dernières années, le nombre de postes ouverts aux praticiens à diplômes extra-européen autorisés à exercer via la procédure des Epreuves de vérification des connaissances (EVC) a fortement augmenté. Selon le Conseil national de l’ordre des médecins : de 446 postes en 2016, on est passé à 866 en 2019, avant d’atteindre 1 981 en 2021.