Le continent africain dans le viseur de la chaîne russe RT

Alors que les salariés parisiens de la chaîne financée par le Kremlin ne savent pas encore ce qu’il va advenir d’eux, le média devrait accentuer son ancrage de l’autre côté de la Méditerranée.

Le Monde – « Je ne connais pas grand-chose à la guerre. Mais je peux vous dire que j’ai le sentiment que c’est notre Ukraine qui bombarde les civils. » Ce témoignage troublant, recueilli auprès d’une femme présentée comme ayant réussi à fuir Marioupol, ville située dans le sud de l’Ukraine, figurait, mercredi 23 mars, sur le compte Twitter de l’ambassade de Russie en France. Dépourvu de tout commentaire, monté à partir d’images créditées du ministère russe de la défense, il était estampillé RT France.

Même interdite de diffusion dans l’Union européenne (UE) depuis le 2 mars, au même titre que la plate-forme Sputnik, la chaîne d’information russe en français continue d’être accessible à ceux qui contournent la sanction en utilisant un VPN (réseau privé virtuel). Elle l’est aussi dans la plupart des pays africains francophones, où le média d’Etat russe devrait confirmer son ancrage.

 

Dès le 25 janvier, soit bien avant que ne tombe la sanction européenne, le média accusé de diffuser de « la propagande de guerre » avait déposé plusieurs noms de domaine Internet révélateurs de ses projets de développement : Rt-afrique.com, Africa-rt.com, Rtafrica.media, Rtafrique.online, etc. « Il y a (…) 300 millions de francophones dans le monde, et près de 60 % d’entre eux sont en Afrique », justifiait, dès mars 2019, Xenia Fedorova, la présidente de RT France, à Jeune Afrique.

Outre le fait que la chaîne avait installé un correspondant régional à Tunis, l’émission « Africonnect », lancée en septembre 2021, visait déjà à renforcer la couverture de l’actualité africaine à destination de ce bassin d’audience potentiel. Ces dernières semaines, un projet d’implantation d’une rédaction à Nairobi, la capitale du Kenya, a aussi paru prendre corps, la chaîne cherchant à recruter des journalistes, des éditeurs, des présentateurs, des professionnels des réseaux sociaux et des pigistes dans cette ville ouverte aux médias et aux industries numériques.

Disponible en Afrique francophone

« Les personnes qui souhaitent remettre en question les idées reçues sur le continent et qui sont désireuses de le montrer au monde sous de nouveaux angles sont les bienvenues », indique une offre d’emploi publiée sur le réseau professionnel LinkedIn. Une description de poste cohérente avec la ligne éditoriale de la chaîne, illustrée par le slogan « Osez questionner ».

Disponible en Afrique francophone (dans les pays du Maghreb mais aussi au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Cameroun et au Burkina Faso), RT n’y a pas encore connu de « percée spectaculaire, assure Maxime Audinet, chercheur en stratégies d’influence au sein de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem). Mais s’ils créent une chaîne ou un site RT Afrique, cela changera ».

Le 16 mars, le magazine Jeune Afrique écrivait que Mme Fedorova avait pris langue avec les responsables du site d’information Maliactu, à la ligne éditoriale ouvertement prorusse, en vue d’un « partenariat renforcé » et d’une reprise des contenus de RT. Une information qualifiée de « fake news » par le compte Twitter du service de communication de RT France. Les dirigeants de Maliactu, pas plus que ceux de RT France, n’ont donné suite à nos appels.

Selon l’hebdomadaire panafricain, le Burkina Faso pourrait constituer un autre point d’ancrage possible. Depuis plusieurs années déjà dans la région, le narratif russe trouve à s’y épanouir par le biais de Sputnik, la plate-forme multimédia elle aussi entièrement financée par le Kremlin. « Le Burkina Faso est le quatrième pays au monde où le site Sputnik France réalisait ces derniers mois ses plus fortes audiences, derrière la France, la Belgique et le Canada, et devant l’Algérie », souligne M. Audinet.

 

A l’occasion d’une étude menée en 2018 pour le compte de l’Irsem, Kevin Limonier, maître de conférences en études slaves à l’Institut français de géopolitique, avait recensé 622 sites reprenant « à des fins lucratives ou d’autolégitimation » les contenus de Sputnik et de RT, considérés « comme des sources normales ». Ce faisant, des plates-formes locales d’information (Mediacongo.net en République démocratique du Congo, Bamada.net au Mali, Senegalinfos.com au Sénégal, etc.), des sites militants, alternatifs ou complotistes (Afriquemedia.tv au Cameroun, Africa24.info en Côte d’Ivoire) contribuaient déjà à « conforter un agenda politique, une vision du monde » antifrançais, par ailleurs largement portés par des « entrepreneurs d’influence » tels qu’Evgueni Prigojine, l’oligarque derrière le réseau de mercenaires Wagner, rappelle ce spécialiste de l’Internet russophone.

« Effort informationnel »

Les sanctions économiques qui frappent la Russie et ont fait plonger le rouble pourraient-elles contrarier l’expansion africaine de ces deux outils d’influence officiels ? « En 2015, lorsque étaient tombées les premières sanctions économiques à la suite de l’annexion de la Crimée et que le rouble avait fortement chuté, le budget de RT avait suivi de manière très nette, reprend M. Audinet. Même si, dans la situation actuelle, l’effort informationnel pour justifier l’attaque et déconstruire la couverture des événements par les médias occidentaux est important, on ne sait pas encore ce qui va se passer. »

Au cours d’un comité social et économique de RT France, le 14 mars, des journalistes ont demandé si, dans le cas d’une implantation africaine de la chaîne, ils pourraient aller y travailler. Aucune réponse ferme ne leur a alors été apportée. Quelques jours plus tard, le 23 mars, la directrice de l’information « encourageait » ceux qui, parmi les 170 salariés, étaient « absolument sûrs de ne pas lier leur avenir à RT France » à contacter le service des ressources humaines en vue de négocier leur départ.

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Aude Dassonville

Source : Le Monde

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