Burkina Faso : Sory Sanlé, l’œil oublié des années yéyé et de l’euphorie de l’indépendance

Grâce à son studio qu’il a créé en 1959, le vieil homme de 79 ans est l’un des derniers témoins de l’âge d’or de la photographie burkinabée.

Le Monde – A Bobo-Dioulasso, dans l’ouest du Burkina Faso, le studio de Sory Sanlé est un écrin de mémoire et d’histoires. A 79 ans, le photographe burkinabé se souvient de chaque cliché, de chaque visage immortalisé en noir et blanc dans l’obscurité de son atelier, même les plus anciens. « Il suffisait d’une prise, il y avait des couples, des jeunes du quartier en pattes d’éléphant, des paysans venus de la brousse… La plupart sont morts ou bien amortis comme moi ! », souligne ce dernier, en riant.

Sory Sanlé est l’un des derniers témoins de l’âge d’or de la photographie burkinabée et Volta Photo, le studio qu’il a monté en 1959, l’ultime vestige des années « Bobo yéyé ». Bobo-Dioulasso, l’ancienne capitale coloniale et culturelle, vibrait alors au rythme des surprises-parties et des orchestres de jazz, à l’orée de l’indépendance de la Haute-Volta (l’ancien nom du Burkina Faso).

 

Pendant près de quarante ans, le photographe a documenté les mutations de la société postcoloniale et témoigné de l’évolution de son pays, des premiers tirages réalisés à la chambre photographique à l’arrivée des pellicules couleur et jusqu’au déclin de l’argentique. Au total, Sory Sanlé a capturé des centaines de milliers de modèles et réalisé plus d’un million de négatifs, mêlant portraits, reportages et illustrations de pochettes de disque.

A Volta Photo, des dizaines de vieux appareils débordent d’une valise fatiguée et des images jaunies par le temps ornent les murs du studio. « Je passais mes nuits à développer, jusqu’à 70 pellicules par jour », se souvient Sory Sanlé, qui a découvert sa passion, adolescent, en allant faire ses premières photos d’identité à Ouagadougou où se trouvait l’un des seuls studios de la Haute-Volta.

 

Création du studio Volta Photo

 

Il a 14 ans et vient de quitter son village, Nianiagara, dans l’ouest du pays, pour chercher du travail en ville. « C’était 150 francs la pose, je me suis dit que je pouvais gagner de l’argent », précise-t-il. Les photographes sont rares à l’époque. Il doit convaincre un Ghanéen de le prendre comme apprenti, en échange d’une bouteille de vin, et fait ses armes en réalisant des constats d’accident de la route.

Sory Sanlé dans le studio Volta Photo, le 15 mars 2022.

Sory Sanlé dans le studio Volta Photo, le 15 mars 2022.

 

A 16 ans, il monte Volta Photo avec l’aide de son cousin Idrissa Koné, un célèbre musicien et fondateur de la première auto-école de Bobo-Dioulasso. Sory Sanlé photographie en format 4 x 4 et crée son propre univers. Il imagine des fonds peints, représentant l’ambiance de villes modernes ou le tarmac d’un aéroport. Il met à disposition quelques accessoires, un téléphone, une radio, sa moto. « Ces objets n’étaient pas à la portée de tout le monde. Je voulais que les clients se sentent beaux et soient fiers en montrant leurs portraits à leurs amis, ou pour séduire les filles », explique-t-il.

 

Le studio devient vite une attraction et les clients se bousculent, y compris depuis le Mali voisin. Les uns sont habillés à la mode occidentale des années 1960-1970, les autres en tenue traditionnelle. Certains choisissent de se déguiser. « Je leur prêtais une valise pour qu’ils ressemblent à des pilotes, des lunettes et une montre pour jouer à l’intellectuel », raconte Sory Sanlé, en montrant le cliché d’un jeune homme, analphabète, faisant mine de lire un journal.

Chaque jour, il sillonne aussi les villages pour photographier les mariages et les « bals poussière », avec sa 2CV fourgonnette, équipé d’une petite sono, de cassettes et d’un appareil Polaroid. « En brousse, les gens dansaient tellement que ça remuait la terre. Tout le monde voulait sa photo souvenir, il fallait tourner jusqu’au petit matin », se souvient-il. Sory Sanlé est de toutes les fêtes et devient le photographe attitré de la jeunesse. C’est la période yéyé en Afrique francophone. Un vent d’euphorie souffle à travers le pays, libéré du joug colonial.

A Bobo-Dioulasso, les habitants remplissent les salles de cinéma et les dancings qui résonnent des rythmes afro-cubains de l’orchestre Volta Jazz, le groupe mythique de son cousin Idrissa Koné. « Les gens découvraient la rumba, le rock’n’roll, le makossa », raconte Brahima Traoré, le chef d’orchestre et guitariste de Volta Jazz, l’un des derniers musiciens voltaïques encore vivants, à 82 ans.

 

Jamais reconnu dans son propre pays

 

En 1983, le coup d’Etat de Thomas Sankara marque un tournant. Le président révolutionnaire fait fermer les boîtes de nuit, jugées trop élitistes, au profit de bals populaires, et impose un tarif unique dans les studios. Les Burkinabés achètent leurs propres appareils et les laboratoires de développement de photos se multiplient. Avec les années, les clients se font de plus en plus rares dans le studio de Sory Sanlé, l’un des derniers à travailler encore à l’argentique dans le pays. Aujourd’hui, « tout le monde peut être photographe avec son téléphone et le noir et blanc n’intéresse plus personne », regrette-t-il.

Cet autodidacte, considéré comme l’un des pionniers de la photographie africaine, n’a jamais été reconnu dans son propre pays. En 2011, l’auteur français Florent Mazzoleni, venu à Bobo-Dioulasso pour un livre sur la musique voltaïque, découvre les photos de Sory Sanlé sur des pochettes de disque. Au même moment, le Burkinabé est en train de brûler des boîtes entières de pellicules. « Je n’avais pas conscience de leur valeur, elles prenaient la poussière. Et, avant, on détruisait les photos des gens décédés », indique ce dernier.

 

Florent Mazzoleni sauve quelque 200 000 négatifs et se lance dans un minutieux travail de tri. « La première nuit, quand j’ai regardé les bobines à la lumière des néons, j’ai compris que j’étais tombé sur un trésor. Le regard de Sory est unique, tendre et vivant », rapporte celui qui a depuis utilisé lœuvre du photographe pour cinq de ses ouvrages, dont Bobo yéyé : belle époque in Upper Volta (Numero Group).

En 2018, Sory Sanlé a été exposé à l’Art Institute of Chicago. Il est d’ailleurs plus célèbre aux Etats-Unis qu’en France, où on lui préfère ses aînés maliens, Malick Sidibé et Seydou Keïta.

 

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Source : Le Monde

 

 

 

 

 

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