La « descentada » sans fin des supporteurs du PSG

Assommés par les défaites de leur club fétiche, les fans du Paris Saint Germain traînent un spleen tenace. Déni, abstinence, voire infidélité : toutes les solutions sont envisagées.

M Le Magazine du Monde – Deux semaines après le désastre, la plaie est toujours à vif. Les fans du PSG n’ont pas fait leur deuil de la défaite assassine (1-3) infligée par le Real Madrid lors du match retour du huitième de finale de la Ligue des champions. Eux qui imaginaient déjà leur équipe sur le toit de l’Europe après leur victoire à l’aller se retrouvent, une fois de plus, embarqués dans les rapides d’une « descentada ». Au moins sont-ils en terrain connu.

Lorsqu’on lui demande de ses nouvelles, Alexandre Amiel, producteur, réalisateur et abonné au Parc, répond : « Etat post-traumatique. » Tentative d’autodérision ? Pas sûr. Le bouillant public du PSG a le moral dans les chaussettes. Il est redevenu une armée des ombres. Les désenchantements sont le sacerdoce que doit embrasser tout supporteur, mais l’équipe parisienne a hissé l’art de la lose à un niveau rarement atteint. Les ambassadeurs de la dream team sponsorisée par les millions des Qataris propriétaires du club ne se sont pas seulement mis la rate au court-bouillon. Ils ont été brutalement renvoyés à leur vocation de perdants. Les syndromes de ce mal diffus, la « descentada » aiguë, se manifestent de diverses manières.

 

En deuil

 

Dans cette salle de sport de la porte de Vincennes, à Paris, où de jeunes gens viennent soulever de la fonte, le dress code a brusquement viré de bord. Plus question de faire saillir sa musculature sous une tunique du PSG. Le tee-shirt noir effectue un retour en force. On fait son deuil comme on peut. A la fois généreux et créatif dans la défaite, le club est le spécialiste des revers spectaculaires. Le plus mémorable reste l’invraisemblable renversement de situation opéré en 2017 par le FC Barcelone. Corrigés 4-0 à l’aller, les Catalans infligèrent un cuisant 6-1 aux Parisiens lors du match retour. Un fait d’armes qui donna naissance à une expression à succès – la remontada –, qu’Arnaud Montebourg, lui-même expert ès déconfitures, s’est proposé d’importer dans le vocabulaire politique.

« Vers minuit, ma femme s’est réveillée. Mais, tu pleures ? Oui, je pleurais », avoue Kevin, 37 ans

Presque cinq ans, jour pour jour, après cette bérézina, la soirée du 9 mars 2022 fut, encore une fois, lacrymale. Au troisième but inscrit par le Real, Felix, 11 ans et le PSG chevillé au corps, a éclaté en sanglots. « Le sentiment d’une injustice et, quelque part, d’une malédiction. C’était trop dur, car cette fois on y croyait vraiment », soupire son père. Lui-même n’est pas tout à fait sûr d’être sorti indemne de cette douloureuse élimination. « Je sais, il faudrait que je me blinde, que je fasse le blasé, mais je n’y arrive pas… », souffle-t-il. Lors de cette maudite soirée, les fantômes des défaites du PSG ont rattrapé Kevin, 37 ans. « Vers minuit, ma femme s’est réveillée. “Mais, tu pleures ?” Oui, je pleurais », avoue ce patron d’une entreprise de logistique en région parisienne.

Des supporteurs de la tribune populaire tiennent des banderoles de protestation pendant le match de football de L1 français entre le PSG et le Stade rennais Football Club au stade du Parc des Princes à Paris, le 11 février 2022.

 

Les people qu’accueille la tribune présidentielle du Parc des Princes sont traumatisés, eux aussi. « Ne soyez pas cruels avec moi », a imploré, joignant les mains et levant les yeux au ciel, Nicolas Sarkozy, interrogé, le lendemain du match, par « Quotidien ». Yannick Noah s’est fendu d’un vociférant : « J’en ai marre de cette équipe qui paume tout le temps ! » sur Instagram, verbalisant le sentiment général en mode brut de décoffrage. Lors du match qui a suivi, les supporteurs les plus remontés ont copieusement sifflé Messi, dieu vivant argentin sacré sept fois Ballon d’or, le prix Nobel des footballeurs, recruté à grands frais pour former une attaque de feu avec Neymar et Kylian Mbappé. Le sacrilège a choqué toute la planète foot.

 

Stratégies de résilience

 

Le plus souvent, les grands brûlés du PSG préfèrent cependant enfouir leur douleur. Ces jours-ci, Marco, qui tient une brasserie près d’Arpajon (Essonne), serre les dents face « aux moqueries des clients qui taclent le club ». Derrière son comptoir, il retourne le couteau dans la plaie : « En football, certaines défaites peuvent être magnifiques, mais les nôtres sont honteuses. » « Ce club que j’aime me fait du mal. L’autre soir, j’avais envie d’avaler une demi-boîte de Xanax en espérant me réveiller la semaine suivante », confie, de son côté, un supporteur blanchi sous le harnais. Pis : il semble que ce spleen ne soit, socialement, guère recevable. « Ceux qui connaissent le football rigolent en nous traitant d’enfants gâtés et les autres ne comprennent pas pourquoi on se met dans un état pareil, constate Alexandre Amiel. Alors, on se bricole une cellule informelle de soutien psychologique, une sorte de groupe de parole. »

« Ces supporteurs vivent un conflit d’identité qui peut engendrer une forme de culpabilité comparable à celle que l’on rencontre dans les phénomènes d’addiction », diagnostique Iouri Bernache-Assollan

Le coup de calcaire n’épargne pas les Ultras du club. Dans un communiqué aussi guilleret qu’une oraison funèbre, l’avant-garde des mordus du PSG évoque une « inacceptable et inévitable désillusion ». Ils laissent aussi perler leur abattement face à des joueurs « que l’on croise plus souvent à la fashion week qu’à la rencontre des supporteurs ». A force de vivre un calvaire qu’ils se sont eux-mêmes infligé, certains finissent par se demander si leur attachement à ce club est bien raisonnable. « J’ai biberonné mes quatre petits-enfants au PSG. Plus tard, peut-être m’en voudront-ils », s’angoisse un sexagénaire.

« Ces supporteurs vivent un conflit d’identité qui peut engendrer une forme de culpabilité comparable à celle que l’on rencontre dans les phénomènes d’addiction », diagnostique Iouri Bernache-Assollant, maître de conférences en psychologie sociale à l’université de Limoges. Alors, les accros au PSG cherchent des stratégies de résilience – quand ils n’entrent pas en désintox. Face à la défaite contre Madrid, certains optent pour le déni. « C’est tabou et la presse n’en parle surtout pas, mais avec un vrai arbitre, on se serait facilement qualifiés », proclame ainsi Bertrand Fitoussi, cadre supérieur dans la finance. D’autres en appellent à une refondation, tel ce fidèle du club depuis 1974 dont la mère, 82 ans, « ne dort plus depuis le match ». Pour lui, « il faut en finir avec ces maillots qui ne sont même plus à nos couleurs, avec la république des joueurs et ses passe-droits, avec les dirigeants qui n’ont pas pris la mesure de notre histoire ». Kevin, le chef d’entreprise francilien, a choisi l’abstinence. « C’est décidé : je ne verrai plus aucun match d’ici au début de la saison prochaine. »

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Source : M Le Magazine du Monde (Le 24 mars 2022)

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