La juge Ketanji Brown Jackson aux portes de la Cour suprême des Etats-Unis

La première Afro-Américaine candidate à la plus haute juridiction du pays a fait face à de virulentes accusations de la part de certains républicains lors de ses auditions de confirmation au Sénat.

Le Monde – La juge Ketanji Brown Jackson, nommée le 25 février par le président Joe Biden pour remplacer le juge Stephen Breyer à la Cour suprême des Etats-Unis, a subi une audition difficile à la commission des affaires juridiques du Sénat. Si elle est confirmée par la Chambre haute, elle sera la première Afro-Américaine à siéger dans cette juridiction qui joue un rôle majeur dans la vie des Américains. Sur un total de 115 juges en deux cent trente-deux ans, la Cour suprême n’a compté que deux Noirs : Thurgood Marshall, figure légendaire dans l’histoire américaine, de 1967 à 1991, et Clarence Thomas, 73 ans, depuis 1991 – celui-ci est hospitalisé depuis le 18 mars pour une infection grippale.

En deux jours, l’ancienne juge fédérale de Washington a eu à répondre à 642 questions, dont moins de 20 % sur sa philosophie juridique. Patiemment, elle a essuyé, mercredi 23 mars, les assauts de plusieurs sénateurs ultraconservateurs qui l’ont sommée de répondre à des questions inédites dans le processus de confirmation.

 

« Les bébés sont-ils racistes ? », a questionné Ted Cruz, en brandissant un ouvrage pour enfants dans l’espoir de l’amener à commenter la « théorie critique de la race », le cheval de bataille des républicains, à huit mois des élections de mi-mandat. « Qu’est-ce qu’une femme ? », a aussi voulu savoir le sénateur texan, se demandant si, en vertu des « sensibilités gauchistes modernes », le fait de décider « à cette minute que je suis une femme » ne pourrait pas faire de lui une femme. Il était question d’une autre des marottes républicaines : les athlètes transgenres. « Je ne suis pas biologiste, a hasardé la juge. Je sais que je suis une femme. Et la femme que j’admire le plus est dans cette salle : ma mère. »

Le sénateur Josh Hawley (Missouri) a de son côté tenté de présenter cette diplômée de Harvard, âgée de 51 ans et mère de deux adolescentes, comme une magistrate d’une indulgence suspecte dans les dossiers de pornopédophilie. Il a lu des actes d’accusation si descriptifs que la chaîne publique PBS, qui retransmettait l’audition en direct, lui a demandé de prévenir s’il recommençait afin qu’elle puisse mettre en garde ses auditeurs, au cas où des enfants seraient à l’écoute. Il était question d’un homme trouvé en possession de 6 700 vidéos mettant en scène des enfants. La juge ne lui avait infligé que cinquante-sept mois de prison, soit un tiers de moins que la peine requise par le procureur.

Un parcours classique, une carrière hors norme

Les démocrates ont contrecarré en montrant que, sur les quatorze affaires de pédopornographie dont elle avait été saisie – sur quelque 500 dossiers criminels dont elle a rédigé les conclusions dans sa carrière –, elle avait infligé à dix reprises des peines équivalentes ou supérieures aux sentences requises. Elle-même a essayé d’expliquer que la loi qui définit les peines en fonction du nombre d’images possédées a été écrite avant Internet, qui a facilité le partage d’une grande quantité de matériel pornographique, mais ses explications ont été constamment interrompues.

Dix sénateurs ont réclamé une suspension du processus de confirmation en attendant de disposer des archives des délibérations sur le dossier de l’homme aux 6 700 vidéos. Le chef de la commission, le démocrate Dick Durbin, a dénoncé une manœuvre dilatoire et fixé au 4 avril la date du vote de la commission. Le Sénat se prononcera dans les jours suivants. Sans surprise, le chef de la minorité républicaine, Mitch McConnell, a déjà annoncé qu’il voterait contre, mais les démocrates – qui disposent de 50 voix – peuvent confirmer la juge s’ils restent soudés, grâce au vote de la vice-présidente, Kamala Harris.

Si elle est adoubée, la juge Jackson sera la quatrième femme sur les neuf membres de la Cour suprême, une proportion impensable il y a quelques années. Née à Washington, en septembre 1970, Ketanji Brown a grandi à Miami (Floride) dans un foyer d’enseignants du public. Comme elle l’a rappelé pendant l’audition, ses parents ont connu la ségrégation à l’école primaire mais ils ont pu faire des études supérieures grâce aux conquêtes des droits civiques. Quand elle est née, c’était l’époque du renouveau des racines africaines. Une tante, qui était membre du Peace Corps en Afrique de l’Ouest, leur avait envoyé une liste de prénoms. Ils ont choisi Ketanji Onyika (« celle qui est jolie »).

Elève brillante au lycée Palmetto de Miami (qui a aussi vu passer Jeff Bezos), Ketanji Brown a effectué le parcours classique des prétendants à la Cour suprême, sans se laisser distraire par les marques de racisme ou d’hostilité. Concours d’éloquence au lycée, faculté de droit à Harvard (1996), éditrice de la prestigieuse Harvard Law Review. En 1999-2000, elle a été clerc auprès d’un juge de la Cour suprême, en l’occurrence Stephen Breyer, le magistrat qui a annoncé sa retraite en janvier, et auquel elle est appelée à succéder.

 

Pendant huit ans, elle a été juge au tribunal fédéral de Washington. Elle s’est illustrée par une décision restée dans les annales, à propos d’une requête de Donald Trump contestant la comparution d’un de ses proches devant le Congrès : « Ce qui ressort des derniers deux cent cinquante ans d’histoire américaine est que les présidents ne sont pas des rois. » En 2021, elle a été nommée à la cour d’appel du circuit du district de Columbia, le deuxième tribunal le plus important du pays.

Si son parcours est classique, sa carrière est hors norme. Phénomène rare parmi les candidats à la Cour suprême, qui se recrutent généralement parmi les procureurs, juges d’appel ou universitaires, elle possède une solide expérience de défense criminelle. Dans l’histoire de la haute juridiction, elle sera la première juge à avoir été public defender, ou avocat commis d’office pour la défense des justiciables sans ressources.

Une famille qui traverse les clivages

A Washington, elle s’est occupée de la procédure d’appel de l’un des détenus de Guantanamo, ce qui lui a valu d’être critiquée par le sénateur de la Caroline du Sud Lindsey Graham, qui avait pourtant été l’un des trois républicains à voter pour sa confirmation en 2021. Celui-ci lui a aussi lancé à brûle-pourpoint une question dont la constitutionnalité a été débattue : « De quelle religion êtes-vous, d’ailleurs ? » Elle a répondu, avec abnégation : « Protestante, sans dénomination. » Il a repris : « Et, sur une échelle de 1 à 10, comment noteriez-vous votre foi ? »

Aux républicains qui ont essayé de la présenter comme une démocrate laxiste sur la criminalité, bien qu’elle ait reçu le soutien du Fraternal Order of Police, le syndicat policier qui avait appelé à voter pour Donald Trump en 2020, elle a opposé la diversité de sa famille. Du côté paternel, l’un de ses oncles a été condamné à la prison à vie, en 1989, dans une affaire de drogue – en vertu de la loi qui imposait la perpétuité au bout de trois infractions. Du côté maternel, l’un de ses oncles a été chef de la police à Miami. Et son frère a été enquêteur dans la police de Baltimore (Maryland), avant de s’engager dans l’armée en Irak.

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Source : Le Monde

 

 

 

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