Mali : Soumeylou Boubèye Maïga, de la primature à la prison

L’ancien chef de gouvernement du président Ibrahim Boubacar Keïta est mort à l’âge de 67 ans dans une clinique privée de Bamako.

Le Monde – Les alertes de ses proches, les constats des médecins et les sollicitations de plusieurs dirigeants d’Afrique de l’Ouest n’ont été finalement d’aucun secours. Soumeylou Boubèye Maïga est mort lundi 21 mars en détention à Bamako, à l’âge de 67 ans.

L’ancien premier ministre du Mali (2017-2019) ne s’est pas éteint derrière les barreaux de la maison centrale d’arrêt de la capitale, où il était placé sous mandat de dépôt depuis le 26 août 2021, mais à la clinique Pasteur, un établissement privé où il avait été transféré le 16 décembre, en raison de la dégradation de son état de santé. Ce fut la seule concession des autorités de transition offerte à ce prisonnier « VIP », inculpé notamment de détournements de biens publics.

 

En effet, en dépit des demandes répétées de sa famille pour qu’il soit soigné à l’étranger, du courrier écrit le 1er mars par son épouse au chef de l’Etat, le colonel Assimi Goïta, rappelant que son mari avait « perdu plus de 23 kg » et que « le conseil de santé, commis par l’Etat, a confirmé la nécessité d’une évacuation d’urgence », le pouvoir est resté inflexible à l’endroit de cet homme pourtant doté de l’un des meilleurs carnets d’adresses de la région.

Parmi les premiers à réagir au décès, le président du Niger, Mohamed Bazoum, dont les relations étaient déjà exécrables avec la junte malienne, a fait part de sa « consternation » et estimé que cette « mort en prison rappelle celle du président Modibo Keïta en 1977 ». « Je pensais que de tels assassinats relevaient d’une autre ère », a ajouté le dirigeant.

« Le tigre »

Le même sentiment est certainement partagé dans d’autres présidences d’Afrique de l’Ouest, où Soumeylou Boubèye Maïga bénéficiait toujours d’oreilles attentives. Sa proximité était encore plus grande avec l’Algérie, en particulier avec Abdelaziz Bouteflika qu’il avait connu enfant dans sa ville d’origine, Gao, où le futur dirigeant algérien se rendait en mission secrète pour le Front de libération nationale (FLN) à la veille de l’indépendance de son pays.

Le chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra, a salué « un éminent homme d’Etat malien, un africaniste engagé et un ami personnel ». En France, si François Hollande n’avait jamais renié son amitié pour l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », Jean-Yves Le Drian avait lui très vite porté sa préférence sur ce ministre « plus lucide ».

 

Aussi influent que controversé, « le tigre », comme le surnommaient les siens, aura tracé tout au long de sa carrière, commencée comme journaliste, un chemin sinueux, entre l’ombre des services de renseignement – il dirigea la Sécurité d’Etat de 1993 à 2000 et fut l’un des promoteurs des milices communautaires dans la région de Gao pour lutter contre les rébellions touareg – et la lumière de la vie politique où il sut, un jour ou l’autre, se rendre incontournable à tous les présidents élus qu’a comptés le Mali. Avec une particularité notable : celle d’être craint avant tout par ceux qu’il servit.

Ainsi, après le coup d’Etat d’août 2020, les regards se tournèrent inévitablement dans sa direction, voyant en lui un probable commanditaire de l’action des jeunes officiers qui venaient de renverser un président dont il ne manquait pas d’égratigner « la paresse ». Fausse piste. « L’équipe dont il était proche s’est faite doubler sur le fil », par celle qui est aujourd’hui au pouvoir à Bamako, confie une bonne source.

La chute

Cela n’avait cependant pas empêché celui qui avait fait son entrée dans la vie politique aux côtés de l’ancien président Alpha Oumar Konaré de prodiguer quelques conseils aux impétrants : une transition courte, dirigée par un civil… avec l’espoir de sortir vainqueur de l’élection présidentielle, fixée initialement à la fin du mois février 2022, pour laquelle il était un candidat déclaré.

La recommandation fut un temps entendue, avant d’être balayée avec le deuxième coup d’Etat de mai 2021 qui permit au colonel Assimi Goïta de s’emparer de la présidence, à Choguel Maïga de prendre le poste de premier ministre et au gouvernement de transition de reporter le scrutin à une date encore inconnue.

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Pour « Boubèye », ce fut le début de la chute. Lui qui avait déjà dû quitter son poste de premier ministre en avril 2019, victime d’une motion de censure déposée par l’opposition et la majorité qui lui reprochaient les 160 morts du massacre d’Ogossagou et son ambition un peu trop affichée pour succéder à IBK, voit alors ressurgir deux procédures et qu’il croyait enterrées.

La première concernait une affaire de surfacturation présumée d’achat de matériel militaire, la seconde celle dite de l’avion présidentiel ou « Air IBK ». Ce Boeing 737 avait été acheté par l’Etat malien pour près de 20 milliards de francs CFA (plus de 30 millions d’euros) sur fond de soupçons de corruption et d’arrangements avec l’homme d’affaires Michel Tomi.

L’incarnation des trente années de démocratie

A l’époque, en 2014, Soumeylou Boubèye Maïga était ministre de la défense. Son nom avait rapidement émergé et les soupçons de la justice française lui avaient valu 48 heures de garde à vue à Paris. Rien de plus. Avait-il alors bénéficié de l’appui de Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la défense de François Hollande ?

De nombreux observateurs de la vie politique malienne le pensent, tout comme ceux-ci considèrent que la relance des poursuites à l’approche d’élections n’est pas dénuée d’arrière-pensées politiques. Deux autres candidats potentiels, Moussa Mara et Boubou Cissé, eux aussi anciens premiers ministres d’IBK et candidats à la présidence, sont également sous le coup de procédures judiciaires.

 

« Tous ceux qui comptent au Mali sont soit en prison, soit poursuivis, soit en exil. Cette politique d’exclusion n’a pour seul but que de prolonger la transition. Le problème, c’est que l’on ne voit même pas où ce pouvoir veut aller », s’inquiète un bon connaisseur des arcanes de la vie politique malienne.

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Cyril Bensimon

Source : Le Monde

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