Les eaux souterraines, une ressource « mal gérée, voire gaspillée »

A l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, les Nations unies alertent, dans un rapport, sur l’épuisement des réserves hydriques souterraines.

Le Monde – Les grands lacs rétrécissent, le débit de fleuves puissants faiblit, des sources se tarissent… Les effets conjugués du changement climatique et des activités humaines se constatent à l’œil nu sur la terre, mais qu’en est-il en dessous ? Les auteurs du rapport 2022 de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur les ressources hydriques se sont penchés cette fois sur les ultimes réserves de la planète : les eaux souterraines. L’objectif de leur copieux document, publié à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, est de « Rendre visible l’invisible », comme l’indique son titre. Il doit être lancé depuis le Forum mondial de l’eau qui se tient dans la ville nouvelle de Diamniadio près de Dakar, au Sénégal, du 21 au 26 mars.

Avec le réchauffement, les longues sécheresses et les épisodes de pluie diluvienne, ainsi que la dégradation générale de la qualité des rivières, les humains vont être de plus en plus dépendants des réserves souterraines. Les puits et les sources fournissent déjà 36 % de l’eau potable dans le monde et restent essentiels dans de nombreuses régions rurales.

Dans une ville comme Lagos, au Nigeria, la desserte par un service public est minoritaire, et la moitié de la population possède des forages privés auxquels s’approvisionnent 30 % d’habitants supplémentaires. L’alimentation des trois quarts des habitants de l’Union européenne dépend aussi de ce que contiennent les aquifères. « Pourtant, cette ressource naturelle reste mal comprise et, par conséquent, est sous-évaluée, mal gérée, voire gaspillée », notent les auteurs.

 

99 % des réserves mondiales

 

« Lors d’une grande sécheresse, d’une contamination grave ou après un séisme, elle peut être d’un plus grand secours que d’envoyer d’un avion des bouteilles d’eau sur la tête des sinistrés, lance Alice Aureli, experte du Programme hydrologique international de l’Unesco. A condition d’avoir une bonne connaissance des nappes existantes, ce qui ne s’obtient pas avec une simple observation par un drone ou un satellite, mais en allant faire des repérages sur le terrain. » L’hydrogéologie est une science jeune, ajoute cette scientifique qui a participé à la rédaction du rapport. « Il a fallu le développement des capacités informatiques à partir des années 1970 pour numériser des tas de données éparpillées et créer des modèles mathématiques. »

Aujourd’hui, l’ONU-eau partage un diagnostic a priori réconfortant : l’importance des volumes retenus dans les diverses formations géologiques sous la surface de la terre est phénoménale. Les évaluations de la totalité des eaux douces présentes sur la planète oscillent entre 11,1 millions de kilomètres cubes et 15,9 millions de kilomètres cubes, et celles qui sont retenues dans les aquifères – dans les deux premiers kilomètres de la croûte terrestre – constituent 99 % des réserves mondiales. Très inégalement répartis, ces systèmes sont de tailles très variables : de moins de cent kilomètres carrés à plus d’un million de kilomètres carrés et d’une épaisseur de dix mètres à plus de mille mètres. On trouve des lentilles d’eau douce jusque sous le plancher des océans.

 

Voilà pour la bonne nouvelle. Le souci tient à la vitesse à laquelle s’amenuise cette richesse, dont une partie est d’ailleurs saumâtre et ne se renouvelle pratiquement pas. Son taux d’épuisement, lorsqu’il se vide plus vite qu’il ne se remplit, est « considérable » au niveau mondial, estiment les experts. En ce début de siècle, il est estimé entre 100 et 200 kilomètres cubes par an, ce qui représente 15 % à 25 % des extractions totales d’eau.

 

 

Le rapport cite notamment la baisse constante du niveau dans les systèmes aquifères trop sollicités du bassin du Gange-Brahmapoutre, de la grande plaine de Chine du Nord, ou de la vallée centrale de Californie, où il faut trouver des alternatives coûteuses aux nappes surexploitées. Sous l’effet d’intenses variations hydrauliques, le sol s’est affaissé sous plusieurs métropoles comme Djakarta, où la terre s’enfonce de 1 à 28 centimètres par an par endroits, ainsi qu’à Pékin, Bangkok, Houston, Mexico, La Nouvelle-Orléans ou Venise.

Sous la terre, l’eau n’est pas directement exposée au réchauffement du climat. Mais la recharge naturelle des nappes subit, elle, les modifications des régimes de précipitations, de l’évapotranspiration accrue des végétaux et de l’océan qui se dilate et pénètre dans les zones côtières. Les hommes, mais aussi les écosystèmes, en pâtissent. Dans ces conditions, certains pays (Australie, Espagne, Italie…) se sont lancés dans la recharge artificielle des aquifères, soit en épandant des eaux usées préalablement traitées, soit en les injectant dans les profondeurs.

Recharge artificielle des aquifères

 

Aux Pays-Bas, des eaux du Rhin sont transportées par des canalisations jusqu’à des zones de dunes côtières où elles s’infiltrent pour alimenter des nappes. Recharger ces dernières permet d’éviter qu’elles ne deviennent saumâtres, ou bien d’anticiper la demande estivale en récupérant une partie des précipitations hivernales. Le principe diffère du stockage en surface dans des réservoirs étanches, qui ne s’inscrit pas dans le grand cycle de l’eau. Les fameuses bassines agricoles, en particulier, sont bien souvent remplies en pompant dans un aquifère et génèrent des pertes importantes en raison de l’évaporation.

Dans les sous-sols, la ressource peut être moins soumise aux polluants qu’à l’air libre : tout dépend de la nature plus ou moins imperméable de la structure géologique qui l’abrite, mais elle n’y échappe pas pour autant. Si une part de la pollution est naturelle, liée à la présence dans le sous-sol d’arsenic et de fluorure, entre autres, l’essentiel provient de la surface, surtout de l’agriculture, « aujourd’hui considérée comme le principal facteur de dégradation des eaux intérieures et côtières », selon les experts de l’ONU-eau.

Les engrais, chimiques ou biologiques, sont répandus dans le monde entier. On a détecté leur corollaire, les nitrates, à 24 mètres de profondeur dans la plaine de Chine du Nord. Très présents aussi, les pesticides et les antibiotiques liés à l’élevage intensif. Vient ensuite tout ce qui émane des égouts, décharges, industries, routes, canalisations… Et les résidus qui pénètrent plus profondément via les puits, l’exploitation pétrolière, gazière, minière, le stockage souterrain des déchets… Or, une fois la nappe contaminée, sa dégradation est « pratiquement irréversible », prévient Richard Connor, rédacteur en chef de cette publication.

 

Contaminations aux pesticides

 

L’agriculture intensive pose aussi des problèmes de salinité transportée par les eaux de drainage vers les sous-sols. C’est à ce secteur que sont destinés 69 % des volumes prélevés sous la surface, tandis que les usages domestiques s’en partagent 22 % et l’industrie 9 %. Le commerce mondialisé des produits des récoltes conduirait à l’épuisement d’environ 11 % des nappes souterraines de la planète (soit 25 kilomètres cubes par an). Le blé, le maïs, le riz, la canne à sucre, le coton et le fourrage principalement participent « de manière significative, à l’épuisement à grande échelle des aquifères situés sous les terres fertiles ».

 

Entre l’accroissement de la population, celle de la consommation individuelle et les changements de pratiques culturales, la demande hydrique a explosé sur terre. Il a donc fallu se tourner davantage vers les eaux souterraines, dont la part est passée de 12 % du total des prélèvements en 1950 à 25 % en 2017.

 

L’énergie joue un rôle déterminant dans ce phénomène, qui s’accroît avec la généralisation de pompes motorisées. Aussi les experts s’interrogent-ils sur l’impact possible de ces équipements fonctionnant à l’énergie solaire, car le faible coût de l’électricité n’incite pas à modérer sa consommation. L’Inde l’a expérimenté. Dans les années 1970, la gratuité de l’électricité pour les agriculteurs y a fait dramatiquement baisser le niveau des nappes sous les zones cultivées, qui sont à 60 % irriguées.

 

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Source : Le Monde

 

 

 

 

 

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