Guerre en Ukraine : les rêves brisés des footballeurs africains contraints à la fuite

Lorsque la guerre a débuté, une quinzaine de joueurs africains évoluaient en ligues 1 et 2 du championnat ukrainien. Deux d’entre eux racontent leur exode de Kharkiv à Paris.

Le Monde – De l’Ukraine, Jonathan B. (il n’a pas souhaité donner son identité complète), 20 ans, préfère garder le souvenir des jours heureux. Les balades au parc avec sa petite amie, les rires et les disputes autour de grandes tablées à la cantine du club de football. Et même la soupe de bortsch qu’il avait appris à apprécier. « On kiffait tranquillement », répète-t-il, encore hébété par le tournant dramatique qu’a pris sa vie en quelques jours.

Le footballeur ivoirien, repéré dans les ruelles d’un quartier populaire d’Abidjan par un agent camerounais, est arrivé en janvier 2020 au Metalist 1925 Kharkiv, un club de football professionnel de la deuxième plus grande ville d’Ukraine. Il jouait dans la réserve de la catégorie des moins de 19 ans avec qui il avait remporté la coupe d’Ukraine en 2021.

Le milieu de terrain a eu la vie sauve, mais il ne se résigne pas à cette guerre qu’il « ne comprend pas » et qui a mis un coup d’arrêt brutal à ses plans de carrière. « Le 24 février, je devais signer un contrat avec un nouveau club professionnel, le Real Pharma à Odessa. Mon manager avait tout arrangé. Au lieu de ça, ce jour-là, ce sont les bombardements à l’aéroport de Kharkiv qui m’ont réveillé », raconte-t-il, depuis un hôtel du nord de Paris où il rend visite à un coéquipier du club, Mouhamed Zidane Diarrassouba, 17 ans, lui aussi arrivé d’Ukraine.

« On a payé pour sauver notre vie »

Les retrouvailles entre les deux joueurs sont bon enfant : il est peu question de ces nuits et de ces jours de terreur. Pourtant, l’exode de Kharkiv jusqu’au 19e arrondissement de Paris fut long et douloureux. Il y a d’abord eu l’incompréhension le 24 février, à l’aube. « Quand les bombardements ont commencé, j’ai pensé que les Russes voulaient effrayer les Ukrainiens. J’ai vraiment pris peur quand des soldats ukrainiens se sont installés dans l’académie de football où je vivais en internat. Leurs chars étaient garés à l’extérieur. Le site pouvait devenir une cible », indique Jonathan B.

 

Le jeune homme se réfugie quelques jours chez la cuisinière du club puis décide de partir. A la gare de Kharkiv, il « [se] colle » à quatre étudiants africains qui tentent aussi de fuir. « Une agente nous a refusé l’accès au train sans aucune raison. Sauf peut-être notre couleur de peau. On a patienté pendant dix-huit heures dans un froid glacial avant qu’un policier nous fasse monter à bord, en échange de 300 dollars [270 euros]. On a payé pour sauver notre vie », rapporte-t-il, toujours en colère.

Arrivée à Lviv à la frontière polonaise, la petite bande se sépare. Jonathan décide de rejoindre la France, seul pays dont il maîtrise la langue. Son périple de cinq jours passe par la Hongrie – où les autorités lui remettent une attestation prouvant son statut de réfugié – puis l’Autriche et l’Allemagne. Il débarque à Paris le 10 mars. « Voir des policiers français à la gare de l’Est a été un immense soulagement. J’étais enfin sauvé », dit-il.

Elan de générosité

Evoluant dans la catégorie des moins de 17 ans du Metalist 1925 Kharkiv, Mouhamed Zidane vivait dans la famille de son tuteur, un Ivoirien. Dès le 25 février, accompagné du couple et de leurs deux enfants, il rallie la gare de Kharkiv. La cohue est telle que lui seul parvient à monter à bord d’un train pour Kiev. Il parviendra à sortir d’Ukraine en passant par la frontière polonaise. Arrivé à Paris le 3 mars, il erre quelques jours dans la capitale avant d’être orienté vers la Croix-Rouge.

 

De tout ce funeste voyage, l’adolescent veut surtout garder le souvenir de l’élan de générosité dont il a bénéficié. Il repense à ce jeune Bangladais, fuyant lui aussi l’Ukraine, qui lui a offert le billet de Varsovie à Berlin. A ce policier allemand qui lui a payé le trajet jusqu’à la frontière française. Ou encore à ce Strasbourgeois à qui il doit un billet de TGV pour Paris.

Les deux footballeurs témoignent aussi d’une grande fatigue physique. Jonathan insiste sur des douleurs au pied gauche causées par les gerçures de froid. Mais aussi sur une peur de l’avenir qui ne le quitte plus. « Le football, c’est la seule chose que je sache faire. Je veux rester en France, car, en Côte d’Ivoire, je n’ai rien qui m’attend », explique celui qui a déjà connu deux guerres civiles dans son pays natal, en 2002 et 2010.

 

De son ancienne vie ukrainienne, il ne lui reste que des vidéos et des photos d’entraînement et de matchs, précieusement conservées dans son téléphone portable esquinté. Il se les repasse durant ses longues journées reclus dans un hôtel du Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis, où il est hébergé par France Terre d’Asile.

Etant mineur, Mouhamed Zidane a été pris en charge par la protection de l’enfance et cette association. Dans sa chambre d’hôtel, un petit sac à dos noir témoigne de ses années ukrainiennes. Il y conserve les seuls objets qu’il a pu « sauver » : deux paires de crampons, des maillots d’entraînement et les documents attestant de son statut administratif en Ukraine.

Conditions financières avantageuses

Comme les autres réfugiés non ukrainiens, les deux sportifs ne bénéficient pas de la protection internationale immédiate octroyée par l’Union européenne aux ressortissants du pays en guerre, aux conjoints étrangers de ceux-ci ou aux réfugiés qui y résidaient avant le 24 février.

Pour autant, repartir en Côte d’Ivoire leur semble inenvisageable. Mouhamed Zidane explique que son père, docker au port d’Abidjan, et sa mère, commerçante, ont déboursé 3,5 millions de FCFA (environ 6 000 euros) pour financer son voyage vers l’Ukraine. Au vu des sacrifices consentis par sa famille pour lancer sa carrière, il vivrait ce retour comme un échec. « Tout ce que je souhaite, c’est jouer dans un club en France », martèle-t-il.

Le sort des deux garçons n’est pas isolé. Quand la guerre a débuté, une quinzaine d’Africains évoluaient en ligue 1 et ligue 2 du championnat ukrainien. En quelques années, le pays est devenu une destination en vue pour les joueurs étrangers, attirés par des conditions financières avantageuses. Certains clubs, comme le Dynamo Kiev ou le Chakhtar Donetsk, propriétés de riches hommes d’affaires, disposent de moyens conséquents.

 

Ainsi, le Marocain Younès Belhanda, qui gagnait 770 000 euros par an à Montpellier, a touché 2,2 millions d’euros annuels lors de son passage au Dynamo Kiev de 2013 à 2017, hors primes, généreuses. L’international sénégalais Pape Djibril Diaw, 27 ans, qui venait de signer au Rukh Lviv quand la guerre a éclaté, avance des raisons similaires : « Je gagne trois fois plus qu’en Lituanie, où je jouais précédemment. Et en plus, les impôts et les autres charges sont payés par le club. »

« Le championnat ukrainien est d’un bon niveau. Avec la Russie, c’est le meilleur d’Europe de l’Est. Les clubs du pays disposent de structures sportives de qualité et des salaires attractifs, nets d’impôt pour les étrangers », abonde Nordine Sam, ancien international algérien des moins de 23 ans et ex-joueur du RC Strasbourg, désormais agent de joueurs.

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Alexis Billebault et Coumba Kane
Source : Le Monde

 

 

 

 

 

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