Exécutions de masse en Arabie saoudite

La peine capitale infligée à 81 personnes, dont huit étrangers, présentés comme coupables de terrorisme et de « crimes odieux », suscite l’effroi des opposants saoudiens en exil.

Le Monde – Loin des regards, un sordide record. Tandis que l’attention de ses partenaires occidentaux est accaparée par l’offensive russe en Ukraine, l’Arabie saoudite a procédé, samedi 12 mars, à l’exécution de quatre-vingt-un détenus, condamnés à la peine capitale. Une mesure que le royaume justifie en affirmant que les mis à mort étaient coupables de terrorisme et de « crimes odieux ». « L’Arabie saoudite annonce les exécutions de membres d’Al-Qaida et de Daech », affirme ainsi la Saudi Gazette, un quotidien anglophone de Riyad.

Selon l’agence de presse officielle saoudienne, outre des membres de ces groupes djihadistes, des rebelles houthistes du Yémen – contre lesquels le royaume est en guerre – et des membres « d’autres organisations terroristes » figurent parmi les personnes exécutées. Toutes avaient la nationalité saoudienne, à l’exception de sept Yéménites et un Syrien. Selon l’agence, les condamnés se sont rendus coupables d’attaques contre des sites saoudiens, « d’enlèvements, de torture, de viols et de contrebande d’armes », et ont commis des crimes qui « ont fait un grand nombre de morts parmi les civils et les forces de l’ordre ». Pas plus de détails n’ont été fournis.

 

Cette vague de peines capitales, qui dépasse en un jour le nombre de personnes exécutées en 2021, suscite l’effroi et l’indignation des opposants saoudiens en exil. Certains ont dénoncé un « massacre ». Ce mot, qui ulcère les autorités, est employé par exemple par l’European Saudi Organisation for Human Rights. « Faute de transparence des autorités judiciaires, nous n’avons pu suivre qu’un nombre limité de dossiers. Sur la base de nos recherches, au moins trente-huit des exécutés n’ont pas commis de crime majeur selon les lois internationales », affirme Duaa Dhairy, chercheuse au sein de ce groupe. Des activistes déplorent le fait que les familles n’aient pas été informées en amont des exécutions, que le mode de mise à mort ne leur ait pas été notifié, et qu’elles n’aient pas pu récupérer les corps.

Un message interne et externe

Selon Duaa Dhairy, ces peines capitales « envoient un message interne et externe – le régime est fort, n’hésite pas à recourir au sang, agit comme bon lui semble, peu importe les requêtes internationales [sur les exécutions]. Elles montrent aussi que les promesses de réformes concernant la peine de mort ne sont pas sérieuses ». Le royaume avait annoncé en 2020 qu’il mettait fin à ce châtiment pour les auteurs de crimes commis avant leur majorité. Dans une récente interview à The Atlantic, un magazine américain, Mohammed Ben Salman (« MBS »), le prince héritier et dirigeant de facto de l’Arabie saoudite, qui ambitionne de libéraliser la société saoudienne, affirmait son intention de moderniser le système judiciaire du royaume.

Le meurtre et le démembrement du journaliste Jamal Khashoggi, en Turquie, en octobre 2018, avait suscité un outrage international. Mais la déclassification en 2021 du rapport des services de renseignement américains sur cet assassinat n’a pas été suivie de sanctions contre « MBS », pourtant accusé par la CIA d’avoir « validé » l’assassinat.

 

Lundi matin, les réactions étrangères restaient rares. L’Union européenne s’est dite « fermement opposée à la peine capitale, quelles que soient les circonstances » et s’inquiète d’une « augmentation inquiétante dans la tendance à recourir à la peine de mort en Arabie saoudite, où soixante-sept personnes ont été exécutées en 2021 ». Les opposants au royaume s’attendent à ce que la flambée des prix du pétrole déclenchée par la guerre en Ukraine accélère le retour en grâce de Mohammed Ben Salman.

Les exécutions de samedi 12 mars n’ont en revanche pas échappé à Téhéran. L’Iran, qui pratique lui aussi la peine capitale, s’indigne du « silence et [de] l’inaction de pays prétendant [défendre] les droits humains ». Mais c’est surtout le fait que la moitié des personnes exécutées – quarante et une selon des militants des droits de l’homme – soient de confession chiite qui a poussé Téhéran à réagir.

Sur les réseaux sociaux circulent des photomontages montrant des exécutés autour du cheikh Al-Nimr. Une représentation qui n’a rien d’anodin. L’exécution de ce religieux chiite en 2016 avait provoqué la colère de la minorité chiite du royaume. Elle avait donné lieu à des attaques contre des représentations saoudiennes en Iran par des manifestants et conduit à la rupture des relations entre Riyad et Téhéran. Les dernières exécutions pourraient raviver la mobilisation des chiites en Arabie saoudite, qui se sentent discriminés.

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Source : Le Monde

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