Pourquoi l’Ukraine était prisée des étudiants africains

Avant la guerre lancée par la Russie, le pays était la cinquième destination privilégiée des jeunes du continent, qui y représentaient trois étudiants internationaux sur dix.

Le Monde – La guerre en Ukraine et ses cortèges d’évacuations de civils ont révélé, début mars, une forte présence d’étudiants africains dans le pays. Parmi les 76 000 jeunes internationaux qui vivaient à Kiev, Kharkiv, Lviv, Odessa, Donetsk, Kherson ou Soumy quand la Russie a lancé les hostilités, le 24 février, près de 23 000 étaient originaires du continent, selon les recensements consulaires des Etats africains concernés et les données statistiques de l’Unesco.

Un chiffre en progression depuis trois ans et qui fait de l’Ukraine la cinquième destination privilégiée des Africains après la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Malaisie. Le Maroc, le Nigeria, l’Egypte, la Tunisie ou le Ghana en sont les plus gros pourvoyeurs et organisent depuis le début du conflit des rapatriements tous azimuts en provenance de Roumanie, de Pologne et de Hongrie, où nombre de jeunes sont arrivés après avoir fui les bombardements en catastrophe.

 

Les raisons de cette attraction tiennent d’abord à la situation géographique de l’Ukraine, véritable porte d’entrée culturelle, économique et politique de l’Europe. Dans un contexte universitaire mondialisé très concurrentiel, le pays a su mettre en avant ses facilités d’accueil et d’intégration en ciblant une population étudiante issue de régions à revenus intermédiaires tels que l’Inde, l’Azerbaïdjan, le Turkmenistan et les Etats du Maghreb.

Sur Internet, les agences ukrainiennes de recrutement universitaire invitent les futurs étudiants à emprunter le meilleur « chemin vers une éducation européenne » en faisant la promotion d’un Etat démocratique de « tolérance raciale, religieuse et interethnique dans un environnement multiculturel » qui « respecte toutes les opinions ».

Des cursus de qualité à des prix abordables

« Entre l’envoi des documents et la réception de mon visa et de mon admission à l’université, il ne s’est passé qu’un mois ! », raconte Alexander Somto, un Nigérian de 25 ans venu début 2021 étudier le management à Kiev. Le 27 février, après avoir fui la capitale ukrainienne et alors qu’il tentait de rallier Varsovie en train pour rejoindre Mannheim, en Allemagne, où il a de la famille, le jeune homme a été agressé verbalement par un policier ukrainien qui l’a traité de « singe » : « C’est le fait intentionnel d’un individu et la situation à la frontière était très stressante. C’est la seule fois que j’ai été confronté au racisme en presque un an. »

Le faible coût de la vie quotidienne − un tiers de celui de l’Hexagone − et le bon niveau de l’offre universitaire permet donc aux étudiants africains qui ne peuvent pas « s’offrir » les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou la France d’accéder à des cursus de qualité internationale à des prix abordables et dans des domaines de pointe : médecine, dentisterie, pharmacie, ingénierie, énergies fossiles, commerce international, finance, agriculture, architecture, etc.

 

Car l’Ukraine, qui a proclamé son indépendance de l’ex-URSS en 1991, s’est engagée dès la décennie suivante dans un patient travail d’arrimage de ses établissements aux normes mondiales. Signataire en 2005 de la Déclaration de Bologne, qui a créé en 2010 l’Espace européen de l’enseignement supérieur, l’Ukraine dispose d’un système éducatif harmonisé avec 46 autres pays de l’Europe géographique et délivre des diplômes reconnus dans les grandes universités britanniques, canadiennes et américaines.

« C’est le recours à un contacteur” [intermédiaire local] qui nous a coûté le plus d’argent », témoigne Ayoub Essadqi, originaire de Khemisset, près de Rabat, qui a fait cinq années d’études en pharmacie et en tourisme à Zaporija, dans le sud, avant de rentrer au Maroc : « Il faut compter entre 1 500 et 3 000 euros, auxquels on doit ajouter le prix du visa [environ 450 euros] et l’inscription à l’université [de 1 200 à 5 900 euros pour quatre ou cinq ans de cursus]. Mais c’est un effort atteignable pour une famille moyenne marocaine. Après, se loger, se nourrir et se déplacer est très abordable : 300 euros par mois suffisent pour vivre dignement. »

Des cours en anglais, ukrainien ou russe

Même les barrières linguistiques semblent faciles à surmonter. Les universités, qui enseignent en anglais, en ukrainien ou en russe, proposent aux candidats un ou deux semestres préparatoires d’apprentissage sans prérequis, assortis de cours de langue spécifiques aux disciplines qu’ils ont choisies. « Le bac suffit. Même pour l’anglais, pas besoin de TOEFL [test de capacité de niveau universitaire], raconte Ayoub Essadqi. Et à Zaporija, les gens ne parlaient qu’ukrainien ou russe, avec ma promo on a tout de suite été plongés dans le bain. On a appris très vite ! »

 

Aujourd’hui dispersés chez les voisins de l’Ukraine ou ailleurs dans l’Union européenne, quand ils ne sont pas restés bloqués, ces milliers d’étudiants n’ont pas forcément envie de rentrer « au pays ». Beaucoup ne peuvent se résoudre à abandonner un cursus européen qui représente un gros investissement pour leur famille.

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Source : Le Monde (Le 10 mars 2022)

 

 

 

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