
Libération – Créé de toutes pièces par un chef spirituel soufi, le village de Maaden propose un modèle singulier de développement égalitaire. Une expérience qui avait séduit Pierre Rabhi. Le chantre de l’agroécologie en France, y a initié son dernier projet africain avant son décès.
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A Maaden, «la maison des visiteurs», comme on l’appelle, est destinée à loger les étrangers de passage. Ce jour-là, la foule s’est rassemblée devant ce rectangle blanc qui domine une place dénudée et sablonneuse. Les hommes sont vêtus de gandouras brodées, les femmes, enveloppées de tissus chatoyants et colorés. Sans oublier, une myriade d’enfants qui se faufilent au milieu des adultes, observent avec une curiosité avide ce petit groupe de blancs qui vient de débarquer. Un événement en soi, dans cette petite localité de 800 âmes, nichée au fin fond de l’Adrar, vaste région désertique au nord de la Mauritanie.
Il est vrai qu’atteindre Maaden, ça se mérite. Après plusieurs heures de route au milieu d’un champ infini de pierres noires tranchantes comme des lames de couteaux, les derniers kilomètres, sur une piste particulièrement cabossée, mettent à rude épreuve le plus performant des 4X4. Et puis soudain, tel un mirage, surgit un large ruban de palmiers qui marque la frontière entre ces roches sombres et un océan de dunes dorées qui se déploient jusqu’à l’horizon. Voici Maaden, petite oasis plantée au milieu de nulle part, dont la renommée a dépassé depuis longtemps les vastes espaces inhospitaliers qui l’entourent. Car ici, il n’y avait rien avant 1975.
«Une égalité totale imposée dès le départ»
Ni palmeraie, ni jardins maraichers, ni village. Rien, jusqu’à ce qu’un chef spirituel soufi, le cheikh Mohammed Lemine Sidina vienne s’y installer, avec ses fidèles, et y fasse surgir une utopie sociale, un projet original de développement fondé sur l’égalité et le partage.«Il a construit un barrage, créé ex nihilo cette oasis, après avoir acheté des terres qui ont été distribuées à ses fidèles. Ceux qui travaillaient dur, ont obtenu l’acte d’achat en récompense. Mais une égalité totale a été imposée dés le départ. Pour le cheikh, il n’y avait pas de différence de races ou de statut social», explique Houdy, l’un de ses fils devenu professeur de biologie végétale à Nouakchott, la capitale. Dans un pays où les hiérarchies raciales et ethniques, entre Maures, Haratines (esclaves affranchis) et Négro-africains ont suscité d’innombrables tensions et injustices, imposer l’égalité était déjà une révolution en soi.
Le Cheikh mort en 2003, repose désormais dans un mausolée blanc et vert, construit il y a quelques mois à la sortie du village. «Son esprit reste notre source d’inspiration», affirme Houdy, qui revient dès qu’il le peut dans son village natal, «parce qu’ici, les gens sont peut-être pauvres, mais on sent qu’ils sont heureux», confesse-t-il.
En apparence pourtant, Maaden n’a rien d’un paradis. Du moins tel qu’on se l’imagine dans le vaste monde qui s’étend derrière les dunes. Des maisons, simples cubes aux murs souvent lézardés, sont dispersées le long de ruelles poussiéreuses parsemées de cailloux et de plaques rocheuses. Le climat est rude. L’électricité est rare, fournie par quelques panneaux solaires. A la nuit tombée, le village plonge dans l’obscurité totale sous le ciel étoilé. L’eau courante se limite aux robinets installés devant la plupart des maisons, le wifi est quasi inexistant.
Mais il y a aussi cette énergie collective, cette volonté d’améliorer le quotidien, en imaginant sans cesse de nouveaux projets. Et peut-être aussi, voire surtout, cette attitude accueillante, sans faux-semblants, face aux visiteurs étrangers, qui d’abord intrigués, puis vite séduits par ce village un peu particulier, finissent par proposer leur aide.
Renoncer aux engrais, l’héritage de Pierre Rabhi
Le premier à avoir initié le mouvement, c’est Maurice Freund, vieux briscard du tourisme solidaire en Afrique de l’Ouest, dont la coopérative Point-Afrique tente de relancer les vols touristiques en Mauritanie. Dans l’espoir de désenclaver le nord du pays, et notamment les villages comme Maaden. C’est lui qui fera connaître l’histoire exceptionnelle de cette oasis perdue au cœur de l’Atar. Lui, qui y a entraîné en décembre 2018, son ami Pierre Rabhi, grande figure de l’agroécologie en France. Mort en décembre 2021, ce chantre de l’agriculture biodynamique avait succombé lui aussi au charme particulier de Maaden. Il y aura lancé son dernier projet. Persuadant les habitants de renoncer aux engrais chimiques, en les initiant au compostage. Ou leur offrant le moulin à henné, qui permet désormais d’améliorer les rendements de cette plante, cultivée et broyée par les femmes du village. Lesquelles seront également formées à la fabrication de confitures de dattes et de bissap.
Le décès de Pierre Rabhi a bouleversé les habitants de Maaden. Fin décembre, rassemblés devant la maison des hôtes, tous brandissaient des panneaux rendant hommage au disparu, lorsque de nouveaux visiteurs étrangers ont surgi dans cette enclave isolée. Pourtant le projet de Rabhi ne s’arrêtera pas. Le fonds de dotation qu’il avait crée s’est déjà engagé à poursuivre l’expérience. Et parmi les visiteurs présents ce jour-là, dans une ambiance de fête plus que de deuil, d’autres relais venaient aussi marquer leur solidarité avec le village.
Il y a ainsi le petit groupe de Kibouj, une association créée du côté de Saumur. Autour de Denis, médecin à la retraite, et de Dominique, la présidente de l’association, ils se réjouissent du bon fonctionnement du centre de santé où les donc collectés par leur association, ont déjà permis d’installer l’électricité et de remplacer portes et fenêtres délabrées. Ils s’engagent désormais à participer à la construction d’une salle de classe dans le hameau mitoyen, occupé par des nomades sédentarisés, qui ont eux aussi répondu à l’invitation du Cheikh de s’installer ici.
Maria Malagardis, envoyée spéciale à Maaden (Mauritanie)
Source : Libération (France)
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