Guerre en Ukraine : le traitement médiatique du conflit crée l’émoi au Moyen-Orient

Les comparaisons effectuées par certains journalistes entre le conflit en Ukraine et ceux en Syrie et en Irak ont pris un tour diffamatoire.

Le Monde – Depuis longtemps, les habitants de Beyrouth, de Bagdad ou de Kaboul se sont résignés à voir leur ville citée de façon péjorative dans des reportages portant sur des quartiers chauds ou des manifestations violentes ayant lieu aux quatre coins du monde, comme si le Moyen-Orient avait l’apanage de la violence et de la guerre.

Depuis le déclenchement du conflit en Ukraine, ces comparaisons ont pris un tour diffamatoire dans certains commentaires journalistiques ou dans des tribunes publiées dans la presse et suscité une vive émotion sur les réseaux sociaux, décidant l’Association des journalistes arabes et moyen-orientaux (Ameja) à publier un communiqué condamnant, le 27 février, les « sous-entendus orientalistes et racistes » relevés dans le traitement médiatique de la guerre en Ukraine.

 

« Ce n’est pas un endroit, avec tout le respect que je leur dois, comme l’Irak ou l’Afghanistan, qui a vu des conflits faire rage pendant des décennies. C’est une ville relativement civilisée, relativement européenne – je dois choisir ces mots avec soin aussi  une ville où vous ne vous attendriez pas à cela, ou n’espériez pas que cela se produise », a ainsi commenté, le 26 février, sur la chaîne américaine CBS News, l’envoyé spécial Charlie D’Agata. Accusé de déshumaniser les populations non européennes victimes de conflits, le journaliste américain s’est excusé publiquement sur la chaîne, reconnaissant « un très mauvais choix de mots ».

Dans les colonnes du quotidien britannique The Telegraph, le journaliste Daniel Hannan, député européen du Parti conservateur de 1999 à 2020, s’est, lui, fendu d’une tribune qui a fait également couler beaucoup d’encre. « Ils nous ressemblent tellement. C’est ce qui rend [ce conflit] si choquant. La guerre n’est plus quelque chose qui arrive aux populations appauvries et éloignées. Cela peut arriver à n’importe qui », a-t-il écrit, poussant le ridicule à citer comme points de similitude le fait de posséder un abonnement à Netflix ou un compte Instagram.

« Normalisation » des tragédies hors d’Europe

Ces commentaires, « selon lesquels une population ou un pays est “non civilisé” ou dispose de facteurs économiques qui le rendent digne d’un conflit », traduisent, selon l’Ameja, une « mentalité omniprésente dans le journalisme occidental », qui est « de normaliser la tragédie dans des régions telles que le Moyen-Orient, l’Afrique, l’Asie du Sud et l’Amérique latine ».

L’association note aussi les comparaisons déshumanisantes et par ailleurs fausses, qui sont faites dans la manière de présenter l’afflux de réfugiés ukrainiens par rapport à celui de victimes d’autres conflits. « On ne parle pas ici de Syriens fuyant les bombardements du régime syrien soutenu par Poutine, on parle d’Européens qui partent dans des voitures qui ressemblent aux nôtres pour sauver leur vie », a ainsi commenté le journaliste Philippe Corbé sur la chaîne française BFM-TV.

 

La chaîne qatarie de langue anglaise Al-Jazira English a, elle, condamné les propos « inappropriés, insensibles et irresponsables » de Peter Dobbie, l’un de ses présentateurs. « Ce sont des gens prospères (…) de la classe moyenne, avait-il déclaré. Il ne s’agit manifestement pas de réfugiés essayant de fuir des régions du Moyen-Orient qui sont encore en état de guerre. Ce ne sont pas des gens qui essaient de s’éloigner des régions d’Afrique du Nord. Ils ressemblent à n’importe quelle famille européenne avec laquelle vous vivriez côte à côte. »

Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont dénoncé les différences de traitement médiatique, faisant écho à l’hostilité, teintée de racisme, de certains responsables politiques européens exprimée face à l’accueil de réfugiés originaires du Moyen-Orient. Alors que l’Europe, en particulier l’Allemagne et la Suède, a accueilli plus d’un million de réfugiés fuyant la guerre en Syrie et en Irak en 2015 et 2016, ses portes se sont ensuite refermées. Les gouvernements, un à un, ont durci les modalités d’accueil pour les réfugiés et renforcé la surveillance de leurs frontières, donnant lieu à des situations dramatiques pour certains migrants.

 

L’élan de solidarité exprimé envers les Ukrainiens par des dirigeants européens qui, il y a quelques mois encore, fermaient leurs portes aux migrants du Moyen-Orient, à l’instar du premier ministre hongrois, Viktor Orban, ou de son homologue polonais, Mateusz Morawiecki, a également été remarqué.

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Source : Le Monde

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