Au Mali, le raidissement de la junte militaire : « Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous »

Arrestations, condamnations et lynchages sur les réseaux sociaux inquiètent opposants politiques, journalistes et universitaires.

 Le Monde – Silence au bout du fil. Depuis le second coup d’Etat qui a conforté, le 24 mai 2021, la prise de contrôle des militaires sur la transition politique au Mali, de plus en plus de téléphones sonnent dans le vide à Bamako. Hommes politiques, intellectuels ou relais d’opinion en désaccord avec la ligne du gouvernement se font discrets. « Je ne peux plus prendre le risque de parler. Comprenez-moi », s’excuse, après une énième relance, un universitaire en poste dans la capitale malienne.

« Tous sont unanimes : il est de plus en plus difficile d’exprimer une opinion dissidente sans courir le risque d’être emprisonné ou lynché sur les réseaux sociaux, déplorait, mardi 22 février, l’expert indépendant des Nations unies pour les droits humains au Mali, le Sénégalais Alioune Tine, de retour d’une mission de douze jours dans le pays. Ce climat délétère a conduit plusieurs acteurs à l’autocensure par crainte de représailles des autorités maliennes de la transition et/ou de leurs sympathisants. »

De plus en plus tangible ces derniers mois, le « rétrécissement de l’espace civique », évoqué par l’émissaire des Nations unies, s’est imposé progressivement. Au nom de la lutte contre la corruption et d’une certaine moralisation de la vie politique d’abord, pour préserver l’unité et la souveraineté nationales ensuite. La junte malienne, enferrée dans une crise multiforme nourrie par les tensions avec la France et les sanctions imposées par la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), fédère désormais autour d’un récit unique : celui d’un régime œuvrant, envers et contre tout, à la refondation du Mali. Un chantier titanesque qui nécessiterait son maintien aux affaires au-delà de l’échéance initialement fixée au 27 février.

Coudées franches

Signe que les putschistes ont maintenant les coudées franches, le report des élections censées permettre le retour au pouvoir des civils a finalement été entériné le 21 février par le Conseil national de transition, l’assemblée tenant lieu d’organe législatif depuis le coup d’Etat. Cette révision permet aux militaires menés par Assimi Goïta de rester au pouvoir jusqu’en 2027. Elle a été adoptée à l’unanimité.

Mardi, une coalition de huit partis opposés à la junte a tenté de riposter depuis Abidjan, en Côte d’Ivoire, en annonçant vouloir former un gouvernement civil de transition le 27 février pour organiser des élections dans « un délai de six mois ». Mais il est peu probable que ces voix portent jusqu’à la capitale malienne, où l’opposition craint de subir la colère des autorités et des représailles judiciaires.

Un premier signal de ce raidissement avait été envoyé dès la fin août 2021 avec l’inculpation de Soumeylou Boubèye Maïga. L’ex-patron des services de renseignement et ancien chef du gouvernement du président déchu Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est poursuivi pour des malversations financières présumées dans une affaire portant sur l’achat d’équipements militaires et d’un avion présidentiel.

Ministre de la défense à l’époque des faits, il est toujours détenu à Bamako, malgré des demandes d’évacuation médicale introduites par plusieurs médecins. « Tout en le mettant hors d’état de nuire, la junte a voulu créer un exemple pour intimider d’éventuels présidentiables et leur faire comprendre qu’ils feraient mieux de se montrer conciliants s’ils ne veulent pas que les casseroles qu’ils traînent soient déballées devant la justice », estime un proche de l’ancien premier ministre.

 

Car même les personnalités réputées proches de la junte sont sous pression. Fin octobre 2021, Issa Kaou N’Djim, pourtant quatrième vice-président du Conseil national de transition, a été écroué et démis de ses fonctions pour « troubles à l’ordre public et atteinte au crédit de l’Etat ». Il avait qualifié le premier ministre, Choguel Maïga, de « démagogue et de populiste qui n’a pas de solution », fustigeant le caractère selon lui « irresponsable » de son discours à la tribune des Nations unies, le 25 septembre 2021, dans lequel le très volubile chef du gouvernement avait dénoncé un « abandon en plein vol » du Mali par la France dans la lutte contre le terrorisme.

Depuis sa condamnation à six mois de prison avec sursis, Issa Kaou N’Djim garde ses critiques pour lui. « Si on parle, on peut être enfermé », s’est-il plaint dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux mi-février, en refusant de répondre à une question.

L’inculpation, fin novembre 2021, d’un autre ancien premier ministre d’IBK, Moussa Moura, dans une affaire de malversation foncière datant de 2013, suivie de celle de l’opposant Oumar Mariko pour « injures », « diffusion d’injures » et « menaces » contre de Choguel Maïga ont achevé de convaincre les plus récalcitrants.

« Chasse aux sorcières »

Mais les responsables politiques ne sont pas les seuls visés par ces intimidations. Après la mise en place des sanctions décidées par la Cédéao le 9 janvier, l’économiste Etienne Fakaba Sissoko a eu le malheur d’intervenir dans plusieurs médias maliens et internationaux pour alerter sur les « conséquences incommensurables » de l’embargo. Il avait également « dénoncé la chasse aux sorcières » en cours et « demandé le remplacement du premier ministre ». Accusé de « propos subversifs et démoralisants », il a été arrêté et entendu par la police, avant d’être inculpé et écroué quelques jours plus tard dans deux autres affaires, pour incitation « à la discrimination ethnique ou religieuse » et « usage de faux » concernant ses titres universitaires.

 

A Bamako, son cas a fait souffler un vent de panique sur les milieux intellectuels et médiatiques. « A partir de là, nous avons compris que celui qui osait nager à contre-courant risquait d’être pris pour cible. J’ai commencé à être menacé sur les réseaux sociaux, on m’a traité de pestiféré, d’apatride, d’affidé de la France. Certains confrères ont même été payés pour se taire », affirme le rédacteur en chef d’un journal malien qui a requis l’anonymat.

« Certains commentent nos articles en disant qu’après avoir chassé les Blancs du Mali, ils vont nous bannir à notre tour. Les personnes soutenant la communauté internationale ou critiquant le délai de la transition sont désormais considérées comme des ennemis à abattre », déplore Abdoulaye Guindo, coordinateur du site d’informations Benbere. Des inquiétudes renforcées par l’appel à « plus de responsabilité, de professionnalisme et surtout de patriotisme dans le traitement de l’information », lancé le 10 janvier par le président de la Maison de la presse du Mali, une organisation qui chapeaute une cinquantaine d’associations de médias locaux.

« Père fouettard »

« Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous », résument à mots couverts plusieurs observateurs à propos de la junte. « Cette dérive confrontationnelle et radicale répond à une volonté des autorités de repositionner le Mali, politiquement, analyse Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur à l’Institut d’études de sécurité de Bamako. Les fantasmes montent autour des modèles politiques alternatifs et autoritaires. Ils sont nourris par des élites qui ont vécu la période de Moussa Traoré. »

L’un des plus fervents défenseurs de ce dictateur qui a sapé l’avènement de la démocratie par un coup d’Etat en 1968 n’est autre que le premier ministre Choguel Maïga, que plusieurs sources désignent comme l’un des principaux instigateurs de cette stratégie de musellement des oppositions. Mais, souligne Fahiraman Rodrigue Koné, cette aspiration à un Etat plus autoritaire « rencontre aussi une certaine adhésion populaire. Elle se nourrit d’un profond rejet du projet démocratique, qui n’a pas résolu les vrais problèmes des Maliens. L’impunité et les inégalités ont perduré avec des élections qui ont consacré l’accession au pouvoir d’élites corrompues ».

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Morgane Le Cam

Source : Le Monde (Le 23 février 2022)

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