Vladimir Poutine : « L’Ukraine a été créée par la Russie bolchevique »

Le président russe a longuement justifié, lundi 21 février, sa décision de reconnaître l’indépendance des territoires séparatistes du Donbass, dans l’est de l’Ukraine. Voici des extraits de son discours.

 Le Monde – Extraits. Principaux passages de l’allocution télévisée que Vladimir Poutine a prononcée depuis le Kremlin, le 21 février, et au cours de laquelle il a exposé et justifié sa reconnaissance de l’indépendance des territoires séparatistes du Donbass.

 

« Chers citoyens de Russie, mes chers amis,

Je m’adresse aujourd’hui directement à vous, non seulement pour évaluer ce qui se passe, mais aussi pour vous informer des décisions qui ont été prises et des éventuelles mesures à venir. Je vais le souligner une fois de plus : l’Ukraine, pour nous, n’est pas seulement un pays voisin. C’est une partie inaliénable de notre histoire, de notre culture, de notre espace spirituel. Ce sont nos camarades, nos proches, parmi lesquels il y a non seulement des collègues et des amis, mais aussi des parents, des gens à qui nous relient des liens familiaux, les liens du sang.

Pendant longtemps, les habitants des terres historiques de l’ancienne Russie dans le Sud-Ouest se désignaient comme « russes » et « orthodoxes ». Ils le faisaient avant le XVIIe siècle, quand une partie de ces territoires a été réunie à l’Etat russe, et ils ont continué à le faire après. Il nous semble que nous n’ignorons rien de cela, qu’il s’agit de faits connus de tous. (…)

Commençons par le fait que l’Ukraine contemporaine a été entièrement et complètement créée par la Russie, plus exactement par la Russie communiste, bolchevique. Ce processus a commencé presque immédiatement après la révolution de 1917, et Lénine et ses camarades ont agi de façon vraiment peu délicate avec la Russie : ils ont pris à celle-ci, lui ont arraché, une partie de ses territoires historiques. Bien sûr, personne n’a rien demandé aux millions de personnes qui vivaient là. (…)

« Deux ans avant l’effondrement de l’URSS, le destin de celle-ci était pratiquement décidé. Aujourd’hui, les radicaux et les nationalistes, y compris et avant tout en Ukraine, s’attribuent le mérite d’avoir conquis l’indépendance »

Je rappelle qu’après le coup d’Etat d’octobre 1917 et la guerre civile qui s’en est suivie, les bolcheviques ont entrepris de construire une nouvelle forme d’Etat, et des désaccords assez nets sont apparus entre eux. Staline, qui, en 1922, était à la fois secrétaire général du comité central du parti bolchevique et commissaire du peuple chargé des nationalités, a proposé de créer un pays sur les principes de l’autonomisation, c’est-à-dire en offrant aux républiques – les futures unités administratives et territoriales – de larges pouvoirs, alors même qu’elles rejoignaient un Etat unifié. Lénine a critiqué ce plan et proposé de faire des concessions aux nationalistes, aux nezavisimtsi (« indépendantistes »), comme il les appelait alors. (…)

Pourquoi fallait-il satisfaire, en grands seigneurs, toutes les ambitions nationalistes qui ne cessaient de croître sur les marges de l’ex-empire ? Pourquoi transférer aux républiques fédérées – à ces entités administratives, reconstituées et souvent formées de façon arbitraire – d’immenses territoires, qui n’avaient parfois pas le moindre rapport avec ces entités ? Je le répète : les transférer avec la population de la Russie historique. En outre, on a donné, de facto, à ces entités administratives le statut et l’aspect de formations étatiques nationales. Je pose de nouveau la question : pourquoi fallait-il faire des cadeaux si généreux, dont les nationalistes les plus ardents ne rêvaient même pas auparavant, et pourquoi aussi donner à ces républiques le droit de sortir de l’Etat unifié sans la moindre condition ?

 

Au premier regard, c’est absolument incompréhensible, une sorte de folie. Mais ce n’est qu’au premier regard. Il y a une explication. Après la révolution, les bolcheviques avaient pour principal objectif de se maintenir au pouvoir à n’importe quel prix, absolument à n’importe quel prix. C’est pourquoi ils ont tout accepté : les conditions humiliantes de la paix de Brest-Litovsk [en mars 1918], alors que l’empire allemand et ses alliés se trouvaient, sur le plan militaire et économique, dans une situation extrêmement difficile, et que l’issue de la première guerre mondiale était presque acquise ; mais aussi toutes les exigences, tous les souhaits des nationalistes au sein même du pays. Du point de vue des destins historiques de la Russie et de ses peuples, les principes léninistes de construction étatique n’étaient pas seulement une erreur ; c’était, comme on dit, bien pire qu’une erreur. Et c’est devenu complètement visible après l’effondrement de l’URSS, en 1991. (…)

Dans un contexte de bavardages superficiels et populistes sur la démocratie et sur un avenir radieux, reposant soit sur une économie de marché, soit sur une économie planifiée, alors que les gens s’appauvrissaient réellement et que tout manquait, personne, parmi ceux qui avaient le pouvoir, n’a pensé aux conséquences inévitables et tragiques pour le pays. Et ensuite, il s’est agi de satisfaire, sur la base de ce qui avait été créé au début de l’URSS, les ambitions des élites nationalistes, des ambitions cultivées dans les rangs de leurs partis nationaux, mais sans penser que le PCUS [Parti communiste d’URSS] n’avait déjà plus, et Dieu merci, les instruments pour tenir le pouvoir et le pays, des instruments tels que la terreur étatique et la dictature de type stalinien. Et que même le proverbial rôle dirigeant du parti disparaissait comme le brouillard matinal.

En septembre 1989, un document, en fait fatal, a été adopté au plénum du comité central du PCUS : la soi-disant politique nationale du parti dans les conditions contemporaines, la plate-forme du PCUS. Elle contenait les dispositions suivantes, je cite : « Les républiques fédérées ont toutes les droits correspondant à leur statut d’Etats socialistes souverains. » Un autre point : « Les organes représentatifs suprêmes, dans les républiques fédérées, peuvent contester et suspendre les résolutions et les règlements du gouvernement fédéral sur leur territoire. » Et enfin : « Chaque république fédérée a sa citoyenneté, qui s’étend à tous les habitants de cette république. » Ce à quoi de telles formulations et décisions allaient mener n’était-il pas évident ? (…) Pourquoi, dans des conditions déjà difficiles, fallait-il déstabiliser le pays davantage encore ? (…)

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Traduit par Cécile Vaissié

Source : Le Monde

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