Le Monde – Place à de nouveaux interlocuteurs musulmans. Le Forum de l’islam de France (Forif), composé d’une centaine de personnes, se réunira pour la première fois à Paris, samedi 5 février, dans les locaux du Conseil économique, social et environnemental. Gérald Darmanin sera présent à cet événement dans lequel les pouvoirs publics veulent voir la naissance d’un partenaire disposé à apporter des solutions concrètes aux difficultés que rencontre la deuxième religion pratiquée en France. Ce sera aussi le premier acte de l’après-Conseil français du culte musulman (CFCM), cet organisme créé en 2003 sous la pression de l’Etat qui, ayant laissé de nombreuses questions sans réponse, est en train de succomber à ses divisions.
Comme en 2003, cette nouvelle naissance doit beaucoup à l’Etat. Le panel a été composé par ses agents. Le ministère de l’intérieur a demandé à chaque préfet de lui faire remonter les noms de deux ou trois personnes, distinguées, lors des trois assises territoriales menées ces dernières années, pour leurs compétences et leur capacité à avancer des propositions. Parmi ces deux à trois cents noms, le ministère de l’intérieur en a retenu une soixantaine, auxquels il a adjoint une quarantaine de « personnalités qualifiées ».
Mais à la différence de 2003, les pouvoirs publics ne parlent pas, cette fois, de donner au culte musulman un organisme de représentation unique. Ils estiment que les mésaventures du CFCM pendant vingt ans ont fait la démonstration que la conception dont il procédait, fondée sur le rôle des fédérations de mosquées, était une impasse, tant est grande la diversité musulmane et puissants les antagonismes qui s’y expriment. Cette conclusion a fini par s’imposer à l’exécutif, après l’épisode de la Charte des principes pour l’islam de France, qu’ont dû signer les fédérations musulmanes du CFCM et qui a provoqué son éclatement.
Le maigre bilan du CFCM l’a conduit à faire aujourd’hui un autre choix. Après avoir tâtonné, le gouvernement a jeté son dévolu sur un nouveau modèle, inspiré du Deutsche Islam Conferenz, en Allemagne. Il s’agit de créer des régulations plutôt qu’une institution, des « formats de dialogues » plutôt qu’une structure. « On ne va pas instituer un interlocuteur unique », tranche un acteur. Ont été sélectionnées des personnes soucieuses d’apporter solutions concrètes plutôt que « d’être sur la photo », selon l’expression d’un proche du processus. « Le Forif, c’est l’émergence de ces acteurs qui labourent le terrain sans rechercher les projecteurs, résume l’un de ses partisans. L’idée, c’est de construire par la base. »
Le Forif n’aura donc ni président ni bureau. Il est composé de groupes de travail thématiques. Aujourd’hui au nombre de quatre (consacrés aux aumôneries, au statut des imams, à l’application de la loi confortant le respect des principes de la République, et à la sécurité des lieux de culte et aux actes antimusulmans), ils sont appelés à évoluer en nombre et en composition en fonction des questions à traiter.
Dossiers urgents
Plusieurs dossiers urgents sont déjà entre leurs mains. Le fonctionnement des aumôneries (militaires, pénitentiaires et hospitalières) réclame des décisions rapides, ne serait-ce que parce que le CFCM, qui assurait ce rôle, n’est plus en mesure de le faire. Le document de travail du Forif prône la création d’« une nouvelle autorité cultuelle de nomination et d’accompagnement des aumôneries » qui proposera des aumôniers nationaux, établira les critères de sélection des aumôniers et diffusera de la « documentation théologique ». Le Forif planche aussi sur la formation, le recrutement et le statut des imams.
L’émergence du Forif pose plusieurs questions complexes et son succès dépendra des réponses qui leur seront apportées. La première est de savoir quels acteurs de terrain seront prêts à monter à son bord. Aujourd’hui, sont impliqués les plus disposés à travailler avec les représentants de l’Etat. Cela ne les désigne pas forcément comme des béni-oui-oui. En janvier 2021, Kamel Kabtane, le recteur de la grande mosquée de Lyon, qui participe au Forif, a, par exemple, refusé de signer la Charte des principes pour l’islam de France, rédigée par le CFCM sous la pression de l’exécutif. D’ailleurs, personne ne semble plus se préoccuper de cette charte qui a pourtant provoqué la crise mortelle du CFCM.
Selon les promoteurs du Forif, « il y a aujourd’hui une appétence pour construire un rapport sain avec les pouvoirs publics ». Cette appétence s’étendra-t-elle à d’autres acteurs, aujourd’hui plus réticents à l’idée d’une possible immixtion de la puissance publique dans leur sphère ? Cela dépendra sans doute de la capacité du Forif à répondre à la raison qui a conduit certains à s’y impliquer : trouver des solutions aux problèmes.
La seconde incertitude concerne la problématique du financement. Quelles ressources permettront de financer la formation des agents cultuels ou le fonctionnement des instances de régulation ? Pour l’instant, c’est le point aveugle de la démarche. Cette occultation est volontaire, à ce stade, car ce sujet est « très émotionnel » et prompt à diviser, témoigne un observateur. Le contrôle de la filière halal, par la délivrance de cartes de sacrificateur, aux mains de trois mosquées, est, par exemple, un sujet très sensible. C’est pour cela qu’il n’y a pas, jusqu’à présent, de groupe de travail chargé de cette question centrale. Il est cependant très probable que le sujet soit discuté samedi. Le projet d’établir un régulateur pour le pèlerinage, monté en 2018 par l’essayiste Hakim El Karoui, pourrait être versé au débat.
Source : Le Monde