L’ambassade américaine en France rattrapée par le mystérieux syndrome de La Havane

Le MondePertes de mémoire, vertiges… Apparu à Cuba en 2016, ce mal dont la cause reste inconnue frappe des personnels diplomatiques américain et canadien à travers le monde. Attaque aux ultrasons ou psychose collective, les services de renseignement sèchent. Un premier cas présumé, recensé cet été à Paris, vient d’être révélé.

A Paris, le mystère aurait aussi pris la forme de maux de tête, de vertiges et parfois de pertes de mémoire. Des manifestations typiques du syndrome de La Havane, comme a été surnommé cet énigmatique trouble neurologique visant uniquement des diplomates américains et canadiens. Le 13 janvier, le Wall Street Journal a révélé trois nouveaux cas à Genève et un dans la capitale française. Tous datant de l’été 2021. A l’ambassade des Etats-Unis, un vaste bâtiment ultra-sécurisé, situé à quelques centaines de mètres du palais de l’Elysée, un e-mail a été envoyé pour encourager le personnel à signaler d’éventuels symptômes.

Impossible de savoir si d’autres cas crédibles ont été recensés : « Pour des raisons de confidentialité et de sécurité, nous ne pouvons pas évoquer les détails ou les opérations de l’ambassade, précise Colton P. Seigel, du département d’Etat, par e-mail, au sujet de ce que l’administration Biden a baptisé « incidents de santé anormaux » (anomalous health incidents, ou AHI). Mais nous prenons chaque rapport très au sérieux et travaillons pour que les employés affectés reçoivent les soins et le soutien dont ils ont besoin. »

Ils sont officiellement plus de 200. Tous sont ou ont été diplomates, employés au consulat ou agents de la CIA, en poste de l’Australie à Taïwan, en passant par plusieurs pays d’Europe, comme l’Autriche, l’Allemagne et la Serbie. Le 20 janvier, les conclusions provisoires d’une étude menée par le renseignement américain évoquent même un millier de cas « rapportés au gouvernement ».

 

Digne d’un roman d’espionnage

 

Signe que l’affaire n’est pas prise à la légère, en juillet 2021, William Burns, le directeur de la CIA, a chargé un espion spécialisé dans les missions sensibles – aujourd’hui encore, son identité doit rester secrète –, connu pour son rôle dans la traque d’Oussama Ben Laden, d’élucider ce mystère. Son enquête partielle rejette pour l’instant la thèse d’attaques contre le personnel américain. Pour autant, le département d’Etat, refuse d’écarter définitivement cette possibilité. « Nous travaillons activement pour identifier la cause de ces incidents et s’ils peuvent être attribués à une puissance étrangère », affirme « l’assistant spécial » Colton P. Seigel. Les investigations, loin d’être terminées, s’étirent déjà depuis quelques années, pour tenter de comprendre cette obscure histoire, digne d’un roman d’espionnage.

L’étude approfondie des 21 premiers cas avérés sur l’île de Cuba suggère une série d’attaques à l’aide de micro-ondes capables de transmettre de puissants sons au cerveau par l’effet Frey.

Comme son nom l’indique, les premiers cas de cette étrange maladie sont apparus dans la capitale cubaine, à la fin de l’année 2016. Un peu plus d’un an après la reprise des relations diplomatiques entre l’île communiste et les Etats-Unis, négociée en secret par le régime de Raúl Castro, frère de Fidel, et l’administration Obama, plusieurs agents de la CIA font état de sensations anormales. Des maux, ressentis principalement à leur domicile, loin de leurs bureaux situés au sixième étage de l’ambassade des Etats-Unis, cet imposant bâtiment sur la célèbre promenade du Malecon.

Certaines victimes se souviennent d’un bruit, long et perçant, accompagné d’une pression intense ressentie dans le crâne. Emilie (le prénom a été modifié), diplomate canadienne, quadragénaire, était en poste à Cuba, où elle a été, elle aussi, victime du syndrome de La Havane, comme ses voisins – un couple de diplomates américains.

Elle évoque les trous de mémoire, des douleurs à la tête l’empêchant de tenir debout, des sifflements dans les oreilles ou les saignements de nez de sa fille, elle aussi atteinte, jusqu’à en avoir « partout sur le pull et sur le visage ». Plus tard, après de longs mois sans pouvoir travailler et « douze thérapies », elle découvrira qu’elle a des « tâches dans le cerveau », selon l’expertise d’une équipe médicale de l’université de Pennsylvanie, sur la Côte est des Etats-Unis.

 

Le chant du criquet à queue courte

 

Qui pourrait en vouloir aux espions américains ou à des diplomates canadiens ? La théorie dominante à l’époque accuse le régime cubain, notamment certains partisans d’une ligne dure face aux Etats-Unis. L’étude approfondie des 21 premiers cas avérés sur l’île de Cuba, menée par l’université de Pennsylvanie, suggère une série d’attaques à l’aide de micro-ondes capables de transmettre de puissants sons au cerveau par l’effet Frey. Un phénomène découvert dans les années 1960 par Allan H. Frey. Le scientifique américain, aujourd’hui octogénaire, assurait en 2018 au New York Times qu’un tel assaut technologique était « possible » et qu’il pouvait être piloté par le régime cubain. Ou, par exemple, un pays allié comme la Russie.

 

Car le syndrome s’est depuis répandu jusqu’à Moscou et progressivement dans le reste du monde, en Chine, en Géorgie ou, plus récemment, en Colombie. En même temps que les cas se multiplient, les théories pullulent. Les experts du groupe Jason, des chercheurs sélectionnés par le gouvernement américain, suggèrent par exemple, dans un rapport déclassifié en 2021, que le syndrome pourrait être causé par le chant de criquets de l’espèce à queue courte Anurogryllus celerinictus. Sont aussi évoqués l’usage d’ultrasons ou encore les effets secondaires de puissants pesticides, notamment utilisés à Cuba pour lutter contre le moustique diffusant le virus Zika.

 

Une seule certitude alerte l’administration américaine : la Health Incident Response Task Force, créée en 2018 pour résoudre l’énigme, ne suffit plus. En octobre 2021, le président américain Joe Biden signe l’Helping American Victims Afflicted by Neurological Attacks (Havana) Act, permettant de dédommager les victimes. Pour soutenir les investigations, le secrétaire d’Etat, Antony Blinken, a nommé, dès le mois suivant, l’ambassadrice Margaret Uyehara au poste de coordinatrice des soins et Jonathan Moore, diplomate passé par la Bosnie-Herzégovine, la Biélorussie et la Namibie, comme coordinateur d’une enquête « énergique », selon le département d’Etat.

 

La théorie d’une panique collective

 

A Paris, dans le milieu diplomatique et du renseignement, le syndrome de La Havane serait un sujet « étudié par les services », sans pour autant « faire le buzz », selon un ancien haut gradé du renseignement militaire. « En 2016, cela avait inquiété tout le monde et, quelques mois plus tard, ça allait déjà mieux », précise un ancien de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

Aux Etats-Unis, certains chercheurs, comme Robert E. Bartholomew et Robert W. Baloh, ont même suggéré un phénomène de psychose collective. Ils ont développé leur théorie dans un livre, publié en 2020, Havana Syndrome : Mass Psychogenic Illness and the Real Story Behind the Embassy Mystery and Hysteria (non traduit). Les deux auteurs soutiennent qu’il n’y a jamais eu d’attaques. Ce qui n’est pas l’avis des victimes canadiennes, toutes convaincues d’une ingérence extérieure.

En novembre 2021, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken (au centre), a chargé le diplomate Jonathan Moore (à gauche) de coordonner une enquête sur le syndrome de La Havane et nommé sa consœur, Margaret Uyehara (à droite), au poste de coordinatrice des soins.

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Source : Le Monde

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