Médiation – Parler ou pas avec les djihadistes, le dilemme sahélien

Courrier international Parler avec ceux-là même qui causent le terrorisme? Au Burkina Faso et au Mali, rapporte The New Humanitarian, certaines communautés locales ont tenté cette approche afin d’alléger le fardeau de l’insécurité qui obère leur vie. Mais ces initiatives, outre qu’elles sont mal vues des autorités, ne sont pas sans contrepartie.

Les deux groupes parlementent comme le font souvent les Burkinabés : assis à l’ombre d’un arbre, ils échangent des assiettes de viande de chèvre, des yaourts et le traditionnel thé. Mais ce n’était pas une réunion ordinaire de médiation : d’un côté, il y a des combattants lourdement armés liés à Al-Qaida qui font la guerre au Burkina Faso ; de l’autre, des civils non armés, premières victimes des djihadistes.

“Nous pensons qu’il est important de parler [aux djihadistes] afin de gérer [la crise] au niveau local et sauver le maximum de vies humaines”, explique un responsable local de Nassoumbou, une commune [délimitation administrative] du nord du Burkina Faso qui a organisé cette réunion.

 

Ce que veulent les djihadistes

 

Ces dernières années, des milliers de personnes ont été tuées et plus de 1,4 million de personnes ont dû fuir la région en raison de la progression des groupes terroristes dans ce pays autrefois en paix. Un phénomène qui s’inscrit dans un contexte plus large d’expansion djihadiste au Sahel.

Alors que la violence s’intensifie et que le gouvernement perd patience (il n’a pas réussi à pérenniser le cessez-le-feu qu’il avait négocié avec les djihadistes avant les élections de fin 2021), certains dirigeants locaux ont pris une décision radicale : s’adresser directement aux djihadistes.

La réunion de Nassoumbou – à laquelle a participé Jafar Dicko, le principal chef djihadiste du Burkina Faso – est l’une des nombreuses discussions qui ont lieu dans tout le pays à l’échelle locale depuis la mi-2020. D’après certains dirigeants locaux, ces discussions sont organisées afin de comprendre ce que veulent les djihadistes, ce qu’il faut faire pour arrêter les massacres et s’ils sont prêts à laisser les personnes déplacées rentrer chez elles.

Des efforts de conciliation similaires sont également en cours au Mali voisin, où les communautés locales sont elles aussi lasses de l’incapacité de leur gouvernement et de ses partenaires étrangers à vaincre militairement les djihadistes.

Les discussions au Burkina Faso – qui se tiennent souvent sous des arbres ou des étals vides dans les marchés – portent leurs fruits. À Nassoumbou, Dicko a autorisé les habitants à retourner dans certains villages de la commune, tandis que les djihadistes ont levé certains barrages routiers, ce qui permet de circuler plus librement.

Cependant les civils négocient sous la pression, sans avoir grand-chose à offrir aux djihadistes. Ces derniers leur accordent de petites concessions en matière de sécurité mais en contrepartie les populations locales doivent adopter des pratiques islamiques strictes.

“Ce n’est pas de bonne grâce, explique Koudbi Kaboré, historien et chercheur à l’université Joseph Ki-Zerbo, à Ouagadougou, la capitale. C’est parce que les populations n’ont pas vraiment le choix qu’elles acceptent de se conformer à ces accords.”

 

La crainte de représailles

 

Les civils impliqués dans ces négociations risquent leur vie. Certains craignent des représailles de la part du gouvernement, qui n’a pas validé officiellement ces pourparlers et pourrait accuser les responsables locaux d’être complices des djihadistes. L’absence de soutien de la part du gouvernement signifie également que ces pourparlers vont rester localisés, ce qui crée des poches de stabilité temporaires tandis que la violence continue de faire rage dans d’autres villes et villages.

“Sans un renversement spectaculaire de l’équilibre des pouvoirs [à l’échelle nationale], la guerre risque d’être longue, insiste Alexandre Liebesking, directeur régional Afrique pour le Centre pour le dialogue humanitaire, qui travaille au Burkina Faso.

Le gouvernement du Burkina Faso se refuse à tout commentaire sur ces négociations à l’échelle nationale et locale avec les djihadistes. En octobre, le ministre de la Défense, Aimé Barthélémy Simporé, a reconnu que les opérations militaires ne suffiraient pas à vaincre les djihadistes, même s’il n’a pas appelé à négocier, sans doute conscient des éventuelles réticences des pays donateurs étrangers. D’autres hauts fonctionnaires ont déclaré que s’ils étaient prêts à réintégrer les djihadistes burkinabés qui avaient été

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Sam Mednick
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