
Le Monde – Des larmes d’abord. Celles de Mohamed Kamar, un gardien sans renommée, qui n’a pas pu retenir les siennes lorsqu’on lui a remis, le 10 janvier, le trophée d’homme du match. Le portier de la Sierra Leone venait de repousser sept tirs des invincibles Algériens, les poussant à mettre un genou à terre (0-0). Des larmes encore. Celles d’Esteban Obiang, un inconnu venu de Guinée équatoriale qui, juste après son but marqué face aux Fennecs (0-1), n’a pas su les cacher. Des larmes toujours. Celles des supporteurs algériens, perdus dans les tribunes du stade de Douala, se demandant en vain où est passé le jeu flamboyant des tenants du titre, éliminés dès le premier tour par une somptueuse équipe de Côte d’Ivoire (3-1).
La première partie de cette 33e Coupe d’Afrique des nations (CAN) s’est achevée jeudi 20 janvier. Trente-six matches, 127 buts et quelques surprises. Sur le terrain, le tournoi n’a pas encore tenu toutes ses promesses. Les poids lourds, à l’image du Sénégal ou de l’Egypte, n’arrivent pas à développer un football fluide et percutant. Le Cameroun assure à domicile, même si les Lions peuvent être à tout moment domptés. Le Nigeria a impressionné lors de son premier match victorieux face aux Pharaons (1-0) par sa vitesse et sa technique. Les Tunisiens montent en puissance, comme le Maroc et le Gabon, qui malgré des scandales autour de primes et du départ de sa star, Pierre-Emerick Aubameyang, semble avoir puisé dans ces polémiques « un surplus d’énergie », comme veut le croire Patrice Neveu, le sélectionneur des Panthères.
Cette CAN est bien évidemment particulière : c’est la première sous Covid. Le virus oblige les sélectionneurs à jongler avec des effectifs qui peuvent être décimés à tout moment. Ainsi, le 20 janvier, pour leur match décisif (0-0) face à la Gambie, les Aigles de Catharge ont compté douze joueurs contrôlés positifs, dont le capitaine Wahbi Khazri. Certains remplaçants en profitent pour s’illustrer, comme Seny Dieng, le troisième gardien du Sénégal.
Les « petites » nations ont impressionné
Si les favoris ne brillent pas, les « petites » nations ont, elles, impressionné : la Gambie pour sa première participation, le Malawi, le Cap-Vert ou la Sierra Leone ont fièrement défendu leurs couleurs et contredit les pronostics. Match bien préparé, défense solide et – parce qu’il en faut – de la réussite en attaque. Ainsi, les Comores ont terrassé – et éliminé (2-3) – un Ghana nerveux lors d’un match fou, remportant leur première victoire dans une CAN à laquelle ils n’avaient jamais participé et se qualifiant pour les huitièmes de finale. « Aujourd’hui, il n’y a plus de petites équipes [en Afrique] », a assuré le sélectionneur des Fennecs. Difficile de le contredire.
Autre première historique dans cette Coupe d’Afrique : la Rwandaise Salima Rhadia Mukansanga, assistée de trois consœurs lors de Zimbabwe-Guinée (2-1), a été la première femme à arbitrer une rencontre masculine pendant une CAN.
Côté organisation, le Cameroun veut faire taire les critiques au sujet de son manque de préparation et, globalement, il y parvient. Les stades sont beaux. Comme celui d’Olembe, qui se voit de loin, au détour d’un virage. A une dizaine de kilomètres du centre-ville de Yaoundé, la capitale, il apparaît dans un halo de lumière, dimanche 9 janvier, pour le match d’ouverture de la CAN.
Après une cérémonie originale et colorée, les Lions indomptables ont réussi l’essentiel en s’offrant une victoire (2-1) face au Burkina Faso. Ce soir-là, ils se sont aussi découvert un héros, Vincent Aboubakar, auteur d’un doublé, puis d’un autre contre l’Ethiopie (4-1) trois jours plus tard, et encore d’un but contre le Cap-Vert (1-1) lors du dernier match de poule. Le capitaine, joueur du modeste club saoudien d’Al-Nassar Riyad, sera-t-il encore le sauveur des Lions, lundi, en huitièmes de finale face aux Comores ? La sélection a une revanche à prendre sur l’histoire, celle de remporter le tournoi sur ses terres et d’effacer le traumatisme de 1972, lorsqu’elle avait été éliminée en demi-finale à Yaoundé (0-1) face au Congo.
Sur le plan de la logistique, les Camerounais sont pour le moment au rendez-vous. De nombreux efforts ont été faits, notamment pour faciliter les déplacements aériens à l’intérieur du pays. Au niveau du tournoi, il y a eu toutefois quelques couacs comme le 12 janvier, au stade de Limbé, lorsque les organisateurs ont diffusé à deux reprises un hymne de la Mauritanie qui n’était pas le bon avant finalement de renoncer. Dans le match suivant, l’arbitre zambien Janny Sikazwe est tristement entré dans les annales : officiellement victime d’une insolation, il a interrompu deux fois la rencontre Tunisie-Mali avant son terme.
Arènes désertées
Sur le plan sécuritaire, deux évènements ont entaché ce premier tour. L’agression à l’arme blanche de trois journalistes algériens alors qu’ils sortaient de leur hôtel de Douala. Puis des échanges de tirs entre militaires et forces armées blessant plusieurs personnes à Buéa, capitale de la région anglophone du Sud-Ouest qui, avec celle du Nord-Ouest, est en proie à un sanglant conflit entre pouvoir central et séparatistes.
L’autre défi auquel est confronté le Cameroun est le Covid-19 et la propagation du variant Omicron. Sous la menace d’un nouveau report, voire d’une annulation, les organisateurs ont dû prendre plusieurs mesures, plus ou moins respectées. Le gouvernement camerounais et la Confédération africaine de football (CAF) avaient assuré que tous les spectateurs souhaitant assister aux rencontres devaient être entièrement vaccinés et présenter un test PCR négatif. Un pari risqué dans un pays où seulement 6 % de la population avaient reçu au moins une dose au 5 janvier. A cause de la pandémie, la capacité d’accueil a été réduite à 80 % pour les rencontres du Cameroun et à 60 % pour les autres. Les premiers matches ont manqué de spectateurs et cruellement d’ambiance. A l’exception de celui d’ouverture et de ceux disputés à Garoua, les gradins ont souvent été vides. Mais dans une CAN, les arènes sont souvent désertées lorsque le pays hôte ne joue pas.
Le gouvernement a dû réagir. Dans un communiqué paru le 15 janvier et sur « très hautes instructions du président de la République », le premier ministre a annoncé l’arrêt des activités scolaires, académiques et professionnelles à partir de 13 heures. Le but ? Permettre aux élèves, aux étudiants et aux fonctionnaires d’assister aux rencontres. Cette mesure controversée a été durement critiquée par de nombreux Camerounais. Plus grave, malgré ces décisions, les autorités ont distribué des milliers de billets (souvent jugés trop chers) aux spectateurs pour remplir les stades. Les passes sanitaires sont-ils toujours exigés ? Un reportage diffusé sur Equinoxe, une chaîne de télévision privée, montre des centaines de personnes franchir l’entrée du stade de Bafoussam, dans l’ouest du pays, sans présenter de test ni de carnet de vaccination.
Source : Le Monde (Le 19 janvier 2022)