Démographie – Vers un monde dépeuplé

Courrier internationalEn 2050, 151 des 195 pays du globe seront en situation de décroissance démographique. Le vieillissement des populations déjà notable en Asie et en Occident entraine pénurie de main-d’œuvre et ralentissement économique. Quel moteur de croissance pour remplacer la démographie ?

Tokyo – Depuis deux cents ans, une croissance démographique soutenue consume les ressources naturelles, dévaste l’environnement, engendre des guerres. Or l’humanité est sur le point de troquer une bombe démographique contre une autre. Décideurs politiques et scientifiques ouvrent les yeux sur une réalité nouvelle : le monde est au bord du déclin, voire de l’extinction.

Les forces du développement économique et de l’émancipation des femmes se conjuguent pour mettre fin à une ère amorcée sous la révolution industrielle. Période au cours de laquelle la croissance économique était soutenue par la croissance démographique et inversement. Depuis le début du XIXe siècle, cette marée démographique a suscité bon nombre de prédictions alarmistes : l’économiste anglais Thomas Malthus prédisait dès 1798 que la population augmenterait à une cadence telle qu’elle dépasserait la production alimentaire et engendrerait des famines.

En 1972, le Club de Rome avertissait que l’humanité toucherait aux “limites de la croissance” avant cent ans en raison de l’augmentation implacable à la fois de la population mondiale et de la pollution de l’environnement.

 

Un pic de population en 2064

 

Aujourd’hui, la population mondiale – qui était de 1 milliard en 1800 – atteint 7,8 milliards, exerçant une pression manifeste sur la planète. Mais les scientifiques et les décideurs politiques prennent peu à peu conscience d’une nouvelle réalité chiffrée : la croissance démographique a atteint un maximum de 2,09 % à la fin des années 1960 et descendra en dessous de 1 % en 2023, selon une étude de l’université de Washington publiée l’année dernière.

En 2017, le taux de croissance de la tranche des 15-64 ans – les gens en âge de travailler – est tombé en dessous de 1 %. La population active a, d’ores et déjà, commencé à reculer dans un quart des pays environ. À l’horizon 2050, 151 des 195 pays du globe seront en situation de décroissance démographique.

À terme, l’étude annonce un pic de la population mondiale à 9,7 milliards en 2064, avant un fléchissement.

 

Effondrement des naissances en Asie de l’Est

 

Sur les quelque 300 000 années d’histoire de l’humanité, les périodes de froid et d’épidémies ont causé des affaissements passagers de la population. Mais, selon Hiroshi Kito, historien de la démographie et ancien président de l’université de Shizuoka, l’humanité s’apprête, pour la première fois de son histoire, à entamer une période de déclin prolongé.

L’Asie orientale est l’une des régions les plus touchées par l’effondrement du nombre de naissances – notamment la Corée du Sud (dont l’indice synthétique de fécondité – ISF – s’établit à 1,11), Taïwan (1,15) et le Japon (1,37) sur la période 2015-2020, selon le rapport “World Population Prospects 2019” [“Projections démographiques mondiales”] publié par les Nations unies. La population d’un pays commence à décliner lorsque la fécondité tombe en dessous du taux de remplacement de 2,1, avec, à la clé, des pénuries de main-d’œuvre, une crise des fonds de pension et la péremption des vieux modèles économiques.

 

Vers une décroissance démographique en Chine

 

L’Asie du Sud-Est, qui tire la croissance mondiale depuis le début du “miracle asiatique”, se trouve également à la croisée des chemins. La Thaïlande, qui affichait un indice synthétique de fécondité supérieur à 6, est aujourd’hui retombée à 1,53, se rapprochant ainsi du Japon. En 2019, la population active a commencé à y décliner, et le taux de croissance économique est redescendu à 2,4 %, presque trois fois moins que les 7,5 % enregistrés par le pays dans les années 1970.

Le Vietnam, quant à lui, est devenu une société dite “vieillissante” en 2017. En janvier, le gouvernement a décidé de relever l’âge de départ à la retraite pour les hommes et les femmes (il s’établit respectivement à 60 et 55 ans aujourd’hui) afin de pérenniser le financement des régimes de retraite. Il sera porté à 62 ans pour les hommes en 2028 et à 60 pour les femmes en 2035.

Mais le meilleur exemple de cette décroissance démographique reste la Chine. L’université de Washington prédit que le fléchissement commencera l’année prochaine, et que la population chutera à 730 millions à l’horizon 2100, contre 1,41 milliard aujourd’hui. D’ici la même année, 23 pays, dont le Japon, verront leur population fondre de moitié par rapport à leur niveau actuel, sinon plus bas encore, d’après Christopher Murray, directeur de l’Institut de métrologie et d’évaluation sanitaire de l’université de Washington, qui a consacré l’essentiel de sa carrière à l’amélioration des systèmes de santé à l’échelle mondiale.

 

Vers une disparition de l’humanité

 

L’étude de l’université de Washington vient rectifier des estimations antérieures qui prévoyaient un accroissement de la population mondiale jusqu’à la fin du siècle. En 2019, le rapport “World Population Prospects” estimait que la population allait continuer à croître pour atteindre 10,9 milliards en 2100. Or les nouvelles projections montrent que la natalité recule plus rapidement que prévu dans les pays en développement.

Christopher Murray prévoit que les taux de fécondité convergeront autour de 1,5, voire en deçà dans certains pays.  Et il ajoute:

Ce qui veut dire que l’humanité finirait par disparaître d’ici quelques siècles”

Cette donne inédite va engendrer une nouvelle dynamique – déjà visible ici ou là – dans des domaines allant de la politique monétaire aux régimes de retraite, en passant par les prix de l’immobilier et la structure du capitalisme dans son ensemble. À l’heure où la population mondiale approche de son pic, beaucoup de gouvernements se voient en effet contraints de revoir leurs orientations politiques, qui reposaient jusque-là essentiellement sur l’essor démographique pour leur croissance économique et leur poids géopolitique.

 

Trouver un nouveau modèle ?

 

Les pénuries de main-d’œuvre viendront gripper les modèles de croissance du passé. La protection sociale, dont les retraites et l’assurance-maladie, présuppose par ailleurs une population croissante, et elle sera dès lors mise à mal.

Cette décroissance démographique permettra peut-être de remédier à certains problèmes chroniques à travers le monde, notamment écologiques ou sociaux, mais la dépopulation posera de nouveaux défis : transformer la société de sorte qu’elle ne repose plus sur la croissance démographique. Pour Hiroshi Kito

Ce sera le point nodal du prochain modèle de civilisation. Il déterminera notre survie ou notre échec.”

Certains scientifiques estiment que l’humanité doit trouver un nouveau modèle de prospérité et que la croissance économique globale ne va plus de soi.

 

Baisse du taux de fécondité

 

“Sans enfants, nous vivrons plus librement”, me confie une cadre de 41 ans travaillant dans une grande entreprise sud-coréenne du secteur du divertissement. Elle a décidé de ne pas avoir d’enfants après en avoir discuté avec son mari au moment de se marier, en 2015. Elle aime les enfants, mais les frais de scolarité en Corée du Sud sont très élevés, sans compter que la flambée des prix de l’immobilier et la rudesse des conditions de travail compliquent également l’éducation des enfants.

Beaucoup de gens autour d’elle refusent même de se marier, poursuit-elle, précisant que sa propre sœur, enseignante dans le primaire, lui a confié qu’elle ne convolerait pas non plus.

La Corée du Sud a recensé près de 272 400 naissances en 2020, et son indice synthétique de fécondité plafonnait à 0,84 la même année, soit le taux le plus bas du globe. Or si l’ISF d’un pays reste durablement inférieur à 1,5, il devient presque impossible de redresser la barre.

Le nombre croissant de femmes diplômées explique en bonne partie l’évolution des taux de fécondité. En Thaïlande, 58 % des femmes font des études supérieures, contre seulement 41 % des hommes, et le taux de fécondité du pays était de 1,53 en 2020, en net recul par rapport aux décennies précédentes. Selon un rapport de HSBC de février 2021, le taux de fécondité reste faible dans tous les

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Kazuo YansaeYohei MatsuoEugene Lang et Eri Sugiura
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