« Tigritudes », le cinéma africain sous toutes ses coutures

Jeune Afrique Le forum des Images de Paris présente du 1er janvier au 27 février une sélection de 126 films africains, tous genres confondus. Une sélection qui devrait circuler ensuite sur le continent, en commençant par le Burkina Faso.

La simple lecture de ce titre, Tigritudes, permet de comprendre que cette vaste anthologie proposée par le forum des Images n’est pas simplement un regard de plus sur l’histoire du cinéma africain et de ses diasporas (États-Unis, Caraïbes, Cuba, etc). Ce bel intitulé est inspiré de la célèbre formule de l’écrivain nigérian Wole Soyinka, prix Nobel de littérature, qui déclarait en 1962 lors d’une rencontre à Kampala : « Le tigre ne proclame pas sa tigritude, il bondit sur sa proie et la dévore. » Ce qui revenait alors à critiquer, avec une certaine férocité, le mouvement littéraire de la négritude en vogue depuis les années 1930 dans la sphère francophone, bien avant l’ère des décolonisations. Il voulait ainsi opposer les « vaines rhétoriques » de ce courant intellectuel et littéraire dont les chefs de file étaient Senghor et Césaire et la nécessité, à l’heure des indépendances, de passer à l’action pour obtenir des résultats.

Appliquer la formule au cinéma, c’est donc, pour  les réalisatrices Dyana Gaye et Valérie Osouf qui ont conçu ce cycle, une façon de présenter un programme qui ferait fi des divisions du continent, mêlant dimensions éthiques, esthétiques et politiques du septième art, en mettant l’accent sur l’importance de l’autodétermination. Un hommage à Soyinka qui honore également les combats et la diversité du continent. En se souvenant, commente sourire aux lèvres Valérie Osouf, qu’un tigre est un animal très peu uniforme, « avec ses zébrures qui renvoient à du pluriel ».

Un choix subjectif et assumé

Il ne s’agit donc, tient à préciser Dyana Gaye, ni d’une rétrospective ni d’un festival : le choix de la programmation est subjectif et assumé comme tel par les deux cinéastes qui se sont rencontrées il y a un quart de siècle au Sénégal et qui voulaient partager le plaisir de découvrir, ou de mieux connaître, une cinématographie qui reste encore sous-exposée. Certes, la période explorée court seulement de 1956 à aujourd’hui et les séances, au nombre de 64, permettent de présenter au total 126 films, tous formats confondus, dans une approche chronologique. Mais il ne s’agit pas de récapituler l’histoire du cinéma africain – une formule que récusent d’ailleurs sans surprise les deux programmatrices qui entendent parler « des cinémas d’Afrique et de la diaspora ».

Deux tiers de siècle de luttes d’une Afrique « non pas hors mais, n’en déplaise à Nicolas Sarkozy, dans l’histoire »

La date de départ de 1956, par exemple, n’a pas du tout vocation à coïncider avec celle des débuts supposés de ce cinéma qu’on fixe le plus souvent (en oubliant l’existence antérieure d’un cinéma égyptien) avec Afrique sur Seine du Béninois naturalisé Sénégalais Paulin Soumanou Vieyra. 1956 représente surtout pour elles la date de l’indépendance du Soudan, à partir de laquelle on enregistre « une sismographie des luttes », selon le titre de l’œuvre de l’historienne d’art Zahia Rahmani qui les a inspirées. Deux tiers de siècle de luttes d’une Afrique « non pas hors mais, n’en déplaise à Nicolas Sarkozy, dans l’histoire » qui nous conduisent jusqu’à aujourd’hui.

Les films méconnus de grands réalisateurs

Comment a été opéré le choix des films, forcément draconien vu l’étendue du champ exploré ? Le souci premier étant de faire découvrir des œuvres, les organisatrices ont décidé de ne pas écarter  les grands noms mais de montrer plutôt certains de leurs films méconnus. Ainsi, on ne verra pas Yeelen mais Finyè de Souleymane Cissé, pas Bamako ou Timbuktu d’Abderrrahmane Sissako mais Heremakono (En attendant le bonheur), pas Borrom Charrette ou La Noire de… ou Moolaade d’Ousmane Sembene mais Emitaï, pas Yaaba ou Kini et Adams d’Idrissa Ouedraogo mais Samba Traoré, pas Gare centrale ou Le Destin de Youssef Chahine mais Les Eaux noires, pas Un Homme qui crie de Mahamat Saleh Haroun mais Bye bye Africa, pas Do the right thing de Spike Lee mais School Daze, pas Touki Bouki ou Hyènes de Djibril Diop Mambety mais Badou Boy. La diversité a été privilégiée, quitte à renoncer à montrer des films de pointures comme ceux du Burkinabè Gaston Kaboré, du Nigérian Ola Balogun ou de l’Algérien Mohamed Lakhdar Hamina, seule Palme d’or africaine à Cannes à ce jour avec Chronique des années de braise. Non sans regret puisque, par exemple, Hassan Terro du réalisateur algérien figurait encore dans l’avant-dernière liste des films.

Cette envie de privilégier la découverte et la cinématographie de pays peu exposés, en évitant une surreprésentation de films sénégalais chers aux deux programmatrices ou de la prolifique Algérie, s’est cependant heurtée à des impasses. Dyana Gueye et Valérie Osouf savent qu’il existe trois films libyens mais elles n’ont pas pu mettre la main sur les copies. Et si elles n’ont pas trouvé de films de Centrafrique ou d’Ouganda dignes d’être projetés, elles ont été étonnées de constater que, parfois, des films relativement récents avaient « disparu » comme Drum du Sud-Africain Zola Maseko, pourtant lauréat du Fespaco en 2005, Fangs de Mohammed Shebl ou ceux de l’Algérienne Djamila Sahraoui. Par ailleurs, il a fallu s’incliner devant certaines questions de droits et d’exclusivité sur des œuvres comme celle de l’Éthiopien installé aux États-Unis Hailé Gerima, dont elles auraient aimé montrer La Récolte des trois mille ans qui symbolise mieux que tout autre le lien entre l’Afrique et sa diaspora.

L’apparition d’un cinéma hybride

Ayant été amenées à voir ou revoir une importante quantité de films de ces soixante-cinq dernières années, les réalisatrices ont-elles repéré des périodes ou des moments particulièrement créatifs ou, au contraire, décevants ? Elles répondent sans hésiter que les années qui ont le plus mal vieilli sont les années 1990, pourtant souvent considérées comme fastes pour le cinéma africain, car beaucoup de films de cette époque, francophones surtout, apparaissent « formatés ». Un effet des financements européens ? En revanche, les années 1970, et en premier lieu l’année 1975, ont conservé leur pertinence avec beaucoup de films n’ayant pas pris une ride.

De nouvelles générations audacieuses qui proposent une écriture plus libre

Fait encourageant, elles pensent que nous vivons probablement aujourd’hui une nouvelle période passionnante. Avec de nouvelles générations audacieuses qui proposent une écriture plus libre, des sujets et des nouvelles formes, en s’affranchissant des codes. On observe notamment l’apparition d’un cinéma hybride, à la lisière des arts plastiques. On découvrira, pour illustrer cette évolution dans le cycle présenté au Forum des images, le film du réalisateur du Lesotho Lemohang Jeremiah Mosese, Mother, i’m suffocating. Ou un court-métrage du Marocain Randa Maroufi Bab Sebta.

Séances jeune public et Master class

En dehors des films, qui feront souvent l’objet de débats en présence des réalisateurs ou d’autres invités, Tigritudes proposera aussi des séances pour jeune public, des Master class (notamment l’une de Billy Woodberry, cofondateur du mouvement de renaissance du cinéma afro-américain L.A. Rebellion dans les années 1960-70, le 26 février) et des leçons de cinéma. Parmi celles-ci, outre un regard sur la cinématographie algérienne (par le critique Saad Chakali, le 14 janvier) et une plongée dans le cinéma de Djibril Diop Manbety (le 11 février par Catherine Ruelle), un exposé du réalisateur nigérian Newton Aduaka expliquant que le cinéma de son pays ne se résume pas à Nollywood (le 28 janvier), une histoire du documentaire politique panafricain par l’Égyptienne Jihan El-Tahri (le 18 février) ou une exploration des « cinémas lusophones dans la tourmente des conflits » par le producteur Pedro Pimento (le 25 février).

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Renaud de Rochebrune

Source : Jeune Afrique

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