
Le Monde – Europe, Asie, Moyen-Orient : dans ces trois régions, la possibilité d’une guerre, comme dirait Michel Houellebecq, menace l’année 2022. Que les compagnies d’assurances nous pardonnent à l’avance, mais, s’il fallait un classement par ordre de plus grande probabilité, on conduirait ce tour d’horizon des conflits potentiels en partant de l’Ukraine, pour aller du côté de l’Iran et finir au large de Taïwan. Voyage en zones à risque.
En Europe, Vladimir Poutine impose son tempo. Son message est simple : après avoir annexé une région de ce pays, la Crimée, organisé la sécession d’une autre, le Donbass, le président russe se dit prêt à aller à Kiev et à soumettre l’ensemble de l’Ukraine. Auparavant, il a pris soin de manifester avec éclat la puissance militaire retrouvée de son pays : tirs de missiles dernier cri, capacité de destruction dans l’espace, manœuvres géantes aux frontières de l’Ukraine. Des généraux ukrainiens disaient récemment au New York Times qu’ils ne résisteraient pas plus de quatre jours à l’armée russe. Après, ce sera affaire de guérilla populaire.
L’ambition russe a été publiquement affichée le 17 décembre 2021. Poutine veut une nouvelle « architecture de sécurité en Europe » – en fait, revenir, autant que possible, à la zone d’influence russe existant du temps de l’URSS. L’OTAN doit être neutralisée et fermer ses portes à tout nouvel impétrant. L’objectif est de consigner l’ensemble en bonne et due forme au terme d’une négociation bilatérale entre Américains et Russes qui s’ouvre les 9 et 10 janvier à Genève. Bien sûr, on ne parle qu’entre grandes puissances militaires : Moscou a expressément exclu les Européens de la discussion.
« Négociation » est un grand mot. Le Kremlin a pris soin de tracer publiquement ses « lignes rouges » à l’avance, comme s’il souhaitait se lier les mains et rendre difficile la moindre concession de sa part – qui ressemblerait alors à un recul. La Maison Blanche a répliqué en faisant valoir que nombre des prétentions russes étaient inacceptables.
Peu importe que les Russes aient tort ou raison quant au sérieux de leurs griefs anti-occidentaux et peu importe qu’ils y croient ou pas eux-mêmes. Là n’est plus le problème. La Russie s’est placée dans une posture qui l’oblige à agir si elle n’obtient pas satisfaction sur ses « lignes rouges ». C’est cette situation qui compte, et qui nous rapproche de la guerre.
Entre la République islamique, d’un côté, les Etats-Unis de l’autre – avec les Européens en médiateurs –, les pourparlers ont repris, à l’hiver 2021, à Vienne, sur le programme nucléaire iranien. Il s’agit de s’assurer que Téhéran n’accède jamais à l’arme nucléaire. De rares progrès ont été enregistrés : les inspecteurs de l’ONU sont de retour sur le principal site d’enrichissement de l’uranium iranien. Mais l’espace de compromis est des plus limités.
Les Iraniens n’ont pas oublié le président Donald Trump. Celui-ci a unilatéralement quitté en 2018 l’accord international conclu par les Etats-Unis en 2015, du temps de Barack Obama, sur le contrôle du nucléaire iranien. Parallèlement, Trump a soumis l’Iran à d’impitoyables sanctions économiques. Prévenus, les Iraniens formulent aujourd’hui deux préalables. Ils veulent que les Etats-Unis s’engagent à ne pas revenir sur ce qui sera négocié dans une deuxième version de l’accord de Vienne et ils exigent que nombre de sanctions soient levées avant le terme des pourparlers.
En attendant, ils ont pulvérisé les limites que leur fixait l’accord de 2015 en matière d’enrichissement de l’uranium. Ils enrichissent à un taux de 60 % quand Vienne en 2015 leur autorisait 3,7 %… De 60 % à 90 %, taux jugé nécessaire à l’exploitation militaire du minerai, il faut un mois, jugent les experts. C’est ce petit mois qui nourrit la tentation israélienne ou israélo-américaine d’une frappe de précision au cœur du projet nucléaire de la République islamique.
Cette dernière estime disposer d’un arsenal dissuasif. Pareille frappe ne resterait pas sans réponse. Depuis le Liban et peut-être aussi depuis la Syrie, le Hezbollah libanais, aux ordres de Téhéran, répliquerait en tirant une bordée de missiles sur les villes israéliennes. Le Moyen-Orient basculerait à nouveau dans la guerre.
Courant décembre 2021, le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, livrait son diagnostic sur les manœuvres répétées de l’armée chinoise visant Taïwan. Elles ont tout l’air d’une répétition avant l’invasion, disait-il. Sans insister particulièrement sur ce point, le président chinois, Xi Jinping, n’exclut pas l’option militaire. Tout en reconnaissant l’unité de la Chine, les Etats-Unis se sont engagés en 1979 à fournir à l’île, qui depuis 1949 s’auto-gouverne de façon autonome, les moyens de se défendre. Cela n’oblige pas les Etats-Unis à intervenir militairement eux-mêmes, mais le président américain, Joe Biden, laisse courir une manière d’ambiguïté. A tout le moins, Pékin s’interroge sur la nature de la réaction américaine en cas d’assaut sur Taïwan.
L’hypothèse de l’invasion ne semble pas d’actualité immédiate. Xi Jinping a un rendez-vous politique important à l’automne 2022 : le 20e congrès du Parti communiste qui doit renouveler son mandat (éternellement ?) à la tête de la Chine.
Source : Le Monde