Egypte : Alaa Abd El-Fattah condamné à cinq ans de prison pour « diffusion de fausses informations »

Le blogueur, informaticien et militant de gauche a été condamné, lundi 20 décembre, par la Cour de sûreté de l’Etat, comme deux autres hommes.

Le Monde – Avant même que le procès n’ait lieu, Laila Soueif savait son fils, Alaa Abd El-Fattah, condamné. « Son crime, comme des millions de jeunes en Egypte et bien au-delà, est d’avoir cru qu’un autre monde était possible. Et d’avoir tenté de le faire advenir », écrivait la professeure de mathématiques et militante des droits humains égyptienne dans une tribune parue dans le New York Times, le 17 décembre, publiée en français sur le site d’Orient XXI.

 

Lundi 20 décembre, le programmateur informatique et militant de gauche de 40 ans, devenu icône de la révolution de 2011, a été condamné par la Cour de sûreté de l’Etat à cinq ans de prison pour « diffusion de fausses informations », soit un tweet dénonçant la mort d’un détenu sous la torture. Son ancien avocat, Mohamed Al-Baqer, a été condamné pour les mêmes charges à quatre ans de réclusion, tout comme le blogueur Mohamed « Oxygen » Ibrahim, accusé d’avoir relayé des vidéos de manifestations antigouvernementales.

« Leur condamnation relève d’une parodie de justice et nous rappelle qu’une répression terrible a toujours cours en Egypte contre tout dissident, malgré la levée de l’état d’urgence par les autorités », dénonce Katia Roux, chargée de plaidoyer à Amnesty International. Depuis son arrivée au pouvoir, à la suite de la destitution par l’armée du président islamiste Mohamed Morsi à l’été 2013, le président Abdel Fattah Al-Sissi est accusé par les ONG de mener une répression tous azimuts contre ses opposants et les défenseurs des droits humains. Selon elles, l’Egypte compte plus de 60 000 détenus d’opinion.

 

Sept ans de prison depuis 2013

 

Depuis l’imposition de l’état d’urgence en avril 2017, 143 affaires concernant des dissidents politiques et défenseurs des droits ont été jugées devant la Cour de sûreté de l’Etat, selon un décompte établi par Amnesty International en septembre. Sa levée, fin octobre, n’a pas mis fin aux procédures engagées : une vingtaine au moins depuis août, estime l’organisation. « Ce sont des procédures iniques, qui bafouent les règles d’équité et les privent du droit d’appel. La seule issue est que le président Abdel Fattah Al-Sissi annule ces verdicts », poursuit Katia Roux.

« Ma détention répétée est un chapitre dans l’histoire de notre lutte familiale », écrivait déjà Alaa Abd El-Fattah, en août 2014, depuis la prison de Tora, en banlieue du Caire, une semaine avant la mort de son père, Ahmed Seif Al-Islam, un militant communiste qui fut détenu à plusieurs reprises sous les règnes d’Anouar El-Sadate et de Hosni Moubarak, avant de devenir avocat des droits humains. A son tour emprisonné sous Moubarak, Alaa Abd El-Fattah a repris le flambeau familial, tout comme ses deux sœurs cadettes, Mona et Sanaa, et il a joué un rôle central dans le soulèvement de 2011 qui a provoqué la chute de l’autocrate.

 

Depuis 2013, sous les gouvernements Morsi puis Sissi, Alaa Abd El-Fattah a passé sept années en prison, sans renoncer à s’exprimer contre le pouvoir en place et en faveur des droits des détenus. Il avait été condamné en 2014 pour avoir participé à une « manifestation illégale », « provoqué une émeute » et « frappé un officier de police et volé son émetteur radio ». Après sa libération sous contrôle judiciaire en mars 2019, il a partagé son temps entre les nuits au commissariat et les journées auprès de son épouse, Manal, et de leur fils, Khaled.

Alaa Abd El-Fattah a été de nouveau arrêté en septembre 2019 lors d’une vague de répression menée par les autorités en réponse à des manifestations contre la corruption de l’armée. Son avocat, Mohamed Al-Baqer, a été arrêté dans les locaux du parquet de la sûreté de l’Etat alors qu’il venait le défendre, tandis que Mohamed « Oxygen » Ibrahim avait été arrêté une semaine plus tôt, au moment de sa présentation pour son contrôle judiciaire. En novembre 2020, Alaa Abd El-Fattah et Mohamed Al-Baqer ont été ajoutés sur la « liste terroriste » du Caire.

 

« Un captif, non un prévenu »

 

Les trois hommes ont été maintenus en détention provisoire dans la prison de haute sécurité de Tora au-delà de la période légale de deux ans. Privé de visites familiales depuis février 2020, Mohamed « Oxygen » Ibrahim a tenté de se suicider en prison au début de l’année 2021. Devant le procureur de la sûreté de l’Etat, Alaa Abd El-Fattah n’a, lui, cessé de dénoncer ses conditions de détention. Selon ses déclarations, après avoir subi des tortures à son arrivée en prison, il a été privé de tout accès à des livres ou à une radio, et n’a été autorisé à quitter sa cellule que pour les visites de sa famille. Sa sœur Sanaa a été arrêtée en juin 2020 pour avoir protesté contre ses conditions de détention, et condamnée à dix-huit mois de réclusion en mars 2021.

« Je suis un captif, non un prévenu ; le complexe pénitentiaire de Tora est un camp de détention, non une prison ; et nous sommes captifs d’un système qui est voué à protéger l’autorité d’une personne ou d’un régime, mais qui est désormais devenu un fardeau pour le régime lui-même », déclarait-il au procureur en février 2020, dans une adresse retranscrite dans le recueil des textes qu’il a écrits depuis 2011, You Have Not Yet Been Defeated (« tu n’es pas encore vaincu », Fitzcarraldo Editions, non traduit), publié en octobre. Il pointait alors « l’absurdité » de sa situation : il a été interrogé sans connaître la nature des charges portées contre lui jusqu’à son inculpation en octobre 2021. Cette situation l’a plongé « dans un état psychologique qui le pousse à des envies de suicide », alertait en septembre son avocat, Khaled Ali.

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Source : Le Monde

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