Sur fond de Covid-19, Emmanuel Macron annule un voyage risqué au Mali

L’Elysée a mis en avant la crise sanitaire en France pour expliquer l’annulation de la rencontre du chef de l’Etat avec son homologue malien, ainsi que celle de sa visite aux troupes françaises sur place, initialement prévues pour les 20 et 21 décembre.

Le Monde – Au moment où Paris et Bamako n’échangent en public que par accusations et invectives interposées, le voyage d’Emmanuel Macron au Mali, prévu les 20 et 21 décembre, était un pari risqué. Il a été annulé vendredi 17 décembre, officiellement pour des raisons sanitaires liées à la pandémie de Covid-19. La décision a été formalisée à l’issue d’un conseil de défense sanitaire et vise, selon l’Elysée, à protéger les armées, alors que la cinquième vague de contaminations effraye les experts.

A quatre mois de l’élection présidentielle – les 10 et 24 avril 2022 –, l’exécutif ne souhaitait sans doute pas non plus que le chef de l’Etat s’affiche autour d’une grande tablée pour fêter le traditionnel Noël des troupes, quand les Français sont appelés à limiter les agapes. Le 6 décembre, le premier ministre, Jean Castex, avait demandé à ses concitoyens de « lever le pied jusqu’aux fêtes de fin d’année », en évitant « les grands dîners ». Matignon précise d’ailleurs que le premier ministre a, lui aussi, renoncé à son voyage en Jordanie, où il devait passer le réveillon du Nouvel An avec les troupes françaises engagées dans le cadre de l’opération « Chammal ». Et l’Elysée de justifier :

« Nous avons la nécessité de mettre en cohérence les mesures demandées aux Français et notre agenda international. Il est difficilement concevable de déplacer une centaine de personnes et d’organiser un grand dîner de Noël avec les troupes dans le contexte actuel. »

 

Un niveau de tension rarement atteint

 

Le déplacement d’Emmanuel Macron au Mali devait s’articuler en deux étapes : une première, très politique et possiblement électrique, à Bamako, où il devait rencontrer le président de la transition, le colonel Assimi Goïta ; et une seconde, plus convenue, à Gao, avec les soldats en opération extérieure.

Si, sur le plan militaire, Emmanuel Macron peut s’estimer satisfait d’avoir débuté « la transformation profonde » de l’opération « Barkhane » avec la remise à l’armée malienne des bases de Kidal, Tessalit et enfin Tombouctou avant la fin de l’année, les relations avec les autorités du pays ont atteint, ces derniers mois, un niveau de tension rarement atteint.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Les soldats français sont partis du nord du Mali, mais l’autorité de l’Etat n’est pas revenue

Le premier voyage présidentiel de M. Macron en mai 2017, à Gao déjà, avait donné lieu à un aparté fielleux avec Ibrahim Boubacar Keïta

Depuis près de neuf ans et le début de l’intervention armée de la France, le fleuve des relations entre Paris et Bamako n’a jamais été tranquille. L’ex-chef de l’Etat François Hollande a eu des moments d’entente parfaite avec l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), mais le ministre Jean-Yves Le Drian, à la défense puis à la diplomatie, ne peut en dire autant. Le premier voyage présidentiel de M. Macron en mai 2017, à Gao déjà, avait donné lieu à un aparté fielleux avec IBK, vexé de devoir se déplacer hors de la capitale pour accueillir un jeune homologue refusant de l’entendre dire que la paix au Mali puisse dépendre de « la volonté de Dieu ».

  https://img.lemde.fr/2021/12/17/0/0/5568/3712/664/0/75/0/d0337c9_5211090-01-06.jpg

 

Entre Paris et le pouvoir malien du moment, le ressentiment va cependant bien au-delà des incompréhensions culturelles, des reproches protocolaires ou du sentiment que le partenaire ne fait pas sa part. Bamako accuse désormais la France de l’avoir « abandonné en plein vol » en décidant, sans prévenir, de réduire ses effectifs militaires sur place, et l’Elysée a changé de regard sur les colonels qui ont renversé, en août 2020, le président élu, puis, en mai 2021, Bah N’Daw, l’homme que les militaires avaient fait nommer pour conduire la transition jusqu’aux élections prévues en février 2022. Ceux qui étaient alors considérés comme de « jeunes officiers patriotes, ayant à cœur de relever leur pays » sont désormais suspectés, non sans raison, de chercher à confisquer le pouvoir au-delà de la date annoncée.

 

 

Les menaces de sanctions de la Cédéao

 

Le gouvernement malien a fait savoir à plusieurs reprises qu’il lui sera impossible d’organiser les scrutins dans les délais prévus. Dimanche 12 décembre, avant que les présidents de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), réunis en sommet au Nigeria, menacent le Mali d’imposer en janvier 2022 de nouvelles sanctions, Assimi Goïta s’est engagé par écrit à leur fournir « au plus tard le 31 janvier [2022] un chronogramme détaillé » en vue de l’organisation des élections générales.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Exactions et prédations minières : le mode opératoire de la milice russe Wagner en Afrique

Les reports du scrutin agacent les chefs d’Etat de la région, inquiets de voir s’éterniser à leur porte des putschistes susceptibles de donner des idées à leurs propres soldats. Et, à Paris, la préoccupation porte en premier lieu sur l’identité de ceux qui pourraient apporter leur concours à cette prolongation : en l’occurrence, les paramilitaires du Groupe Wagner.

Paris s’escrime à convaincre Bamako de renoncer à la conclusion d’un partenariat entre la junte malienne et les mercenaires russes du Groupe Wagner

Depuis septembre et la révélation de contacts avancés entre la junte malienne et ces mercenaires russes qui servent les intéreêts de Moscou en Afrique, en Syrie ou en Ukraine, Paris s’escrime à convaincre Bamako de renoncer à la conclusion d’un tel partenariat. Le succès de ces démarches serait, pour l’heure, limité. Selon des notes françaises révélées par Le Monde, le Groupe Wagner a envoyé, à partir de la fin d’octobre, au Mali, deux hommes chargés de prospecter le secteur minier afin de trouver les compensations financières à un éventuel déploiement militaire.

  https://img.lemde.fr/2021/12/14/0/0/5760/3840/664/0/75/0/fade15f_694441721-r4a9265.jpg

 

« Depuis, ils sont entrés dans le dur du sujet. Des éléments précurseurs ont été signalés à l’aéroport de Bamako et des camps militaires ont été repérés dans le sud du pays et à la frontière mauritanienne, en vue d’un déploiement », précise une source officielle française. Selon cette dernière, le recours au Groupe Wagner serait envisagé comme un moyen de se « bunkériser » face aux pressions exercées par certains membres du pouvoir actuel. Pas par tous, cependant : « Dans la junte, certains sont conscients que ce serait un baiser de la mort », dit-elle.

 

 

L’influence de Moscou au Sahel

 

Dénonçant « un acharnement » contre son pays et niant toute signature de contrat avec le Groupe Wagner, le chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, a rétorqué, mardi sur la BBC, que « cette affaire dite “Wagner” est utilisée comme une sorte de chantage sur l’Etat malien pour l’empêcher d’explorer ou de travailler avec certains partenaires ». Apparu ces dernières semaines à plusieurs reprises aux côtés de son homologue russe, Sergueï Lavrov, le ministre a assuré: « Si c’est ça l’objectif, je crois que c’est raté. »

 

Lire la suite

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde (Le 17 décembre 2021)

 

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page