Le Monde – Finalement, la manifestation du dimanche 5 décembre n’aura pas fait long feu dans les ruelles proches du grand marché de Niamey, la capitale du Niger. La poignée de jeunes qui avait bravé l’interdiction administrative de se réunir – à l’appel de l’antenne nigérienne de l’organisation non gouvernementale Tournons la page (TLP) – pour protester contre la présence militaire française dans leur pays a été rapidement dispersée dimanche 5 décembre à la mi-journée par les forces de sécurité. Aux jets de pierres, policiers et gendarmes déployés depuis le matin sur plusieurs sites et carrefours stratégiques de la capitale ont répondu à coups de gaz lacrymogènes.
La veille, la cour d’appel avait débouté l’ONG qui demandait l’annulation de la décision d’interdiction de manifester prise par la municipalité en raison du « risque de troubles à l’ordre public ». Une semaine auparavant, dans la ville de Téra (180 kilomètres au nord-est de Niamey, proche de la frontière avec le Burkina Faso), une foule de Nigériens en colère avait bloqué un convoi militaire français en route – depuis Abidjan – vers Gao au Mali. Au moins trois personnes sont mortes, tuées par des balles tirées – l’enquête devra le dire – par des soldats français ou des forces de sécurité nigériennes.
L’interdiction de la manifestation ne décourage pas les organisateurs. « On s’y attendait, c’était couru d’avance, explique Maikoul Zodi, coordinateur national de TLP. Les autorités ne veulent pas de manifestation contre la France, mais nous avons donné un nouveau rendez-vous à nos militants le 12 décembre. » Il précise que cela n’est pas dirigé « contre la France, mais contre la politique française ». « Depuis huit ans que l’armée française est déployée au Sahel, la situation ne fait qu’empirer », ajoute-il.
Un lourd tribut
Au Niger, l’emprise militaire française, concentrée essentiellement sur l’aéroport de Niamey, compte 700 personnes (sur quelque 5 000 soldats de l’opération « Barkhane »), six avions de chasse et six drones armés Reaper. Elle sert de poste de commandement avancé pour les grandes opérations lancées plus au nord. « La solution est locale, avance Maikoul Zodi. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un appui logistique, de formation et de renseignement, mais pas de militaires étrangers sur notre sol », ajoute-t-il.
Dimanche, les forces nigériennes ont, quant à elles, de nouveau payé un lourd tribut. Selon le ministère de la défense nationale, douze soldats déployés sur la base de Fantio (ouest) ont été tués. Le ministère de la défense fait état d’un « accrochage avec des centaines de terroristes armés ».
Une bonne source évoque quant à elle « une attaque coordonnée » de cette base intégrée dans le dispositif de la force conjointe du G5 Sahel, architecture militaire régionale associant des éléments des armées de Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad.
Depuis le début de l’année, la situation sécuritaire n’a cessé de se dégrader dans cette région de forêts et de savanes sahéliennes proche du point de convergence des trois frontières du Mali, du Burkina Faso et du Niger. La sécurisation de cette zone est pourtant une priorité pour les militaires de « Barkhane » depuis le sommet de Pau, en janvier 2020, organisé en présence des présidents des Etats membre du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad).
Groupes d’autodéfense
L’objectif était alors, dans cet espace, d’étouffer les groupes liés à l’organisation Etat islamique au grand Sahara (EIGS). Malgré l’envoi de renforts français et la « neutralisation » d’un certain nombre de djihadistes de premier plan, le nombre de victimes civiles s’envole. Quelque 600 Nigériens, habitant pour l’essentiel dans l’ouest du pays, ont été tués par des djihadistes ou lors de violences intercommunautaires depuis le début de l’année.
Samedi encore, cinq villages des environs de Tillabéri – Zibane, Molia, Zangara, Gabado et Kofouno – ont été attaqués par des dizaines de combattants à moto. Le bilan de ces attaques accompagnées de pillages et de vols de bétails était encore inconnu lundi matin.
Devant l’impuissance de l’Etat à contenir ce déchaînement de fureur, les populations tentent de s’organiser en groupes d’autodéfense. Au Burkina Faso et au Mali voisins, cela a surtout alimenté l’engrenage des violences intercommunautaires. Mais le pouvoir central ne peut pas grand-chose pour gripper cette machine infernale.
A l’issue d’un énième massacre commis dans l’ouest, début novembre, le président Mohamed Bazoum avait ainsi confié aux habitants de Banibangou « comprendre » qu’ils ne soient « pas satisfaits » des résultats de l’armée. « Si vous pensez que vous pouvez assurer votre défense c’est légitime, mais celui qui doit assurer votre défense et sur lequel vous devez compter, c’est l’Etat », avait-il ajouté.
Réduire et redéployer « Barkhane »
Le Niger marche sur un fil alors que les attaques se rapprochent dangereusement de la capitale. Or, l’environnement régional s’est encore alourdi ces derniers mois. Idriss Déby, l’homme fort du Tchad et indéfectible allié de la France dans la région, a été tué le 20 avril dans son propre pays sur un front rebelle et remplacé par l’un de ses jeunes fils.
Source : Le Monde
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com