La Chine face au problème de dettes africaines insoutenables

Les promesses de développement qui ont accompagné les distributions de prêts chinois ont cédé la place au spectre de défauts de paiement en série.

 Le Monde   – La dette africaine n’échappe pas à la bataille d’influence entre Washington et Pékin. Lors de son premier déplacement en Afrique, mi-novembre, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a décoché une flèche en direction de la Chine en affirmant que les Etats-Unis investissaient sur le continent sans « l’alourdir d’une dette qu’il ne pourrait pas gérer ». Comprendre : Pékin aurait entraîné l’Afrique dans le piège du surendettement en lui ouvrant les vannes du crédit pour la maintenir dans une relation de dépendance – une accusation maintes fois formulée sous l’ex-président américain Donald Trump.

La réaction chinoise n’a pas tardé, par l’entremise d’une tribune publiée dans le quotidien Global Times, proche du pouvoir, regrettant que « la coopération mutuellement bénéfique [entre l’Afrique et la Chine] soit devenue la cible des attaques des Etats-Unis et de certains de leurs alliés ».

 

La dette publique africaine a doublé entre 2008 et 2019, passant de 28 % à 56 % du produit intérieur brut (PIB). La crise du Covid-19 a encore aggravé la situation. Le nombre de nations africaines classées par le Fonds monétaire international (FMI) en risque élevé de surendettement est passé de six à treize et celui des nations en crise de deux à cinq en seulement six ans. Une trentaine de pays ont bénéficié, dans le cadre du G20, d’une suspension du service de leurs dettes jusqu’à la fin 2021.

Bénéfices géopolitiques

Une part importante de la hausse de la dette bilatérale africaine, c’est-à-dire d’Etat à Etat, provient de Chine. Comme le rappelle une note de la direction générale du Trésor publiée en novembre, « la Chine est devenue en vingt ans le principal bailleur de l’Afrique subsaharienne, détenant 62,1 % de sa dette externe bilatérale en 2020, contre 3,1 % en 2000 ». Dans certains pays comme l’Angola ou la Zambie, elle représente même plus de 80 % de cette dette.

Cette assistance financière lui offre en retour des bénéfices géopolitiques. Les contrats signés par la China Development Bank prévoient par exemple des clauses de remboursement en cas d’action « contraire aux intérêts de la Chine », une expression aux contours flous. Récemment, Pékin a bénéficié du soutien des pays africains pour placer ses ressortissants à la tête de quatre agences de l’ONU.

« Les gains géopolitiques ne sont pas les plus importants, relativise toutefois Deborah Brautigam, professeur à l’université américaine Johns-Hopkins. Les prêts chinois ont été accordés à un moment où le continent africain attirait les investisseurs et ils ont permis aux entreprises chinoises de s’y installer. » De nombreux prêts ont en effet été accordés à condition que des entreprises du pays en bénéficient directement ou indirectement. Le tiers des revenus mondiaux des entreprises chinoises d’ingénierie et de construction vient désormais d’Afrique. Ces emprunts sont parfois aussi adossés à des ressources naturelles, la Chine se faisant rembourser en nature (pétrole, minerais) ou grâce aux revenus issus des matières premières.

Las, les promesses de développement qui ont accompagné les distributions de prêts chinois ont cédé la place au spectre de défauts de paiement en série. Trois pays africains, l’Ethiopie, la Zambie et le Tchad, tous endettés vis-à-vis de la Chine, ont annoncé cette année qu’ils rejoignaient le cadre commun de restructuration de la dette mis en place par le G20. « Tout le monde est tombé dans le piège de la dette africaine, y compris la Chine, qui a pensé que son modèle de développement pouvait fonctionner partout ailleurs », estime Thierry Pairault, chercheur au CNRS.

Manifestations en Zambie

En réalité, les prêts chinois ont commencé à se tarir à partir de 2016, année qui coïncide avec la baisse des cours de matières premières. La China Africa Research Initiative (CARI), un centre de recherche de l’université Johns-Hopkins, a calculé que, entre 2000 et 2019, la Chine a prêté 153 milliards de dollars (environ 135 milliards d’euros) à des Etats ou des entreprises africaines, avec des pics entre 2010 et 2016. Depuis, les montants n’ont cessé de baisser.

Les restructurations de dettes qui se profilent placent Pékin dans une situation délicate. Son image risque de se détériorer, comme en témoignent les manifestations qui se sont tenues contre la présence chinoise en Zambie en 2018, lorsque le surendettement du pays est devenu manifeste. Mais contrairement aux craintes initiales, la Chine privilégie les rééchelonnements aux saisies d’actifs – ports ou mines –, très impopulaires.

Les restructurations posent aussi la question de la transparence. Washington et la Banque mondiale réclament que les montants et les clauses des contrats soient rendus publics afin d’évaluer la solvabilité des pays débiteurs et de garantir une égalité de traitement à tous les créanciers, un principe cher au Club de Paris. Face aux critiques, Pékin se défend.

 

 

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Source : Le Monde  

 

 

 

 

 

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