Essai – La vie éternelle est-elle pour demain ?

 Courrier international Des start-up investissent des millions et recrutent des stars de la science pour trouver un remède à la vieillesse et conjurer la mort. Les avancées seraient considérables, le succès à portée de main. Mais sommes-nous prêts ?

Les trois adolescents avaient baptisé leur projet “Gilgamesh”, du nom du héros mésopotamien dont la quête de la vie éternelle a fait l’objet d’un poème épique [en 2100 avant notre ère]. Il y a près de quarante ans, en Allemagne, Steve Horvath, son frère jumeau, Markus, et leur ami Jörg Zimmerman se sont juré de consacrer leurs carrières à accroître la durée de la vie humaine. “J’ai toujours eu le sentiment que la vie humaine était trop courte”, explique Steve, aujourd’hui âgé de 54 ans et généticien à l’université de Californie de Los Angeles.

Markus est devenu psychiatre et Jörg chercheur spécialisé en intelligence artificielle. C’est Steve qui est resté le plus fidèle à la cause, en développant une technique qui permet de mesurer l’âge biologique des cellules. L’horloge Horvath, un marqueur biologique du vieillissement, est une des découvertes qui, ces vingt dernières années, ont stimulé la recherche sur l’extension de la durée de la vie. Les biologistes ont trouvé des moyens de reprogrammer de vieilles cellules pour leur donner une nouvelle jeunesse et ont utilisé ces techniques pour aider à rétablir la vue de souris âgées ; une entreprise s’est lancée à la conquête de la longévité en rajeunissant le système immunitaire, une intervention destinée à lutter contre des maladies telles que le Covid-19, qui s’attaquent aux organismes plus vieux et affaiblis.

 

“Vieillir en bonne santé”, une absurdité

 

La quête visant à rendre la mort optionnelle – ou du moins à la repousser nettement au-delà de ses frontières actuelles – n’est plus un domaine marginal de la science, ce qui était le cas du temps où les Horvath avaient prêté leur serment, mais un chantier biotechnologique qui pèse plusieurs milliards de dollars et attire des chercheurs réputés, dont des lauréats du prix Nobel. Dans la nouvelle édition révisée de la Classification internationale des maladies (ICD-11), la bible de la médecine, le vieillissement dispose même de son propre code, MG2A. Cette révision, en redéfinissant en gros l’âge comme une maladie, fait clairement passer l’idée que “vieillir en bonne santé” est une absurdité. Selon cette logique, si l’on peut rajeunir les cellules humaines, pourquoi devrions-nous tout simplement vieillir ?

Le désir de reporter nettement notre date de péremption n’est pas qu’une affaire de biologie ; il a également des implications sociales profondes et potentiellement clivantes. La durée supposée de la vie est source de discorde. Les “bioconservateurs” soutiennent qu’il est moralement contestable de repousser la mort en reconcevant fondamentalement le corps humain. D’autres affirment au contraire que c’est précisément ce que tend à faire la médecine : elle retarde le plus possible le moment fatidique.

En mettant de côté la question de la surpopulation, si les gens peuvent vivre pendant deux, trois siècles, voire plus, les sociétés vont se retrouver confrontées à des interrogations existentielles. Est-il possible de rester heureux en ménage avec la même personne pendant deux cents ans ? Si la thérapie d’extension de vie se banalise, son refus équivaudra-t-il à un suicide ? Un monde qui vieillit progressivement finira-t-il par stagner, privé des idées neuves de la jeunesse, synonymes de progrès ?

 

Une profusion de projets

 

En 2013, Google a créé une unité de recherche sur la longévité. Calico, abréviation de “California Life Company”, se vante de ses liens avec des entreprises pharmaceutiques et des institutions telles que Harvard et le Massachusetts Institute of Technology (MIT). Sa stratégie, centrée sur la lutte contre les maladies neurodégénératives et le cancer, a pour objectif de nous rapprocher de la durée maximale théorique de la vie humaine, qui serait de 140-150 ans. Ce chiffre a été calculé en extrapolant les risques de différentes maladies liées à l’âge, ou en étudiant le déclin des organes en fonction du vieillissement. [La Française] Jeanne Calment, la personne ayant vécu le plus longtemps au monde et dont l’âge a pu être vérifié, est morte à 122 ans en 1997.

Mais un autre trophée, encore inaccessible, scintille dans le lointain : une extension radicale de la vie, la promesse d’existences qui s’étendraient sur des siècles plutôt que sur des décennies. C’est la mission que se serait donnée Altos Labs, une nouvelle start-up de la Silicon Valley qui a formé une équipe de scientifiques de renom, dont Horvath, chargés de s’emporter avec une vigueur nouvelle contre la mort de la lumière [une allusion à Do Not Go Gentle Into That Good Night, poème de Dylan Thomas]. Altos bénéficierait du soutien du fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, et d’Iouri Milner, milliardaire d’origine russe, ami de Mark Zuckerberg, qui investit dans les nouvelles technologies.

D’autres organisations créées depuis peu participent à cette ruée vers l’immortalité, dont la Hevolution Foundation, fonds d’investissement à but non lucratif dédié à la recherche sur la “longévité en bonne santé”, établi par décret royal en Arabie Saoudite et dirigé par Mehmood Khan, ancien responsable du département scientifique de PepsiCo. Citons aussi la Longevity Science Foundation, en Suisse, qui prévoit d’engager 1 milliard de dollars dans le même but. Pour les super-riches qui peuvent tout acheter, sauf le temps, le vieillissement n’est qu’un problème technologique fondamental de plus à résoudre, le corps une machine qui ne demande qu’à être perfectionnée, et, de leur point de vue, la science est peut-être à la veille de découvrir un remède fabuleux.

 

La lubie de gens très, très riches

 

“Les gens qui financent [ces recherches] n’ont plus rien d’autre à explorer”, commente Daniel Ives, ancien biologiste de Cambridge qui a fondé Shift Bioscience, une start-up britannique qui utilise l’apprentissage automatique pour analyser le vieillissement cellulaire. Ives vient des mêmes cercles scientifiques que ceux qui sont liés à Altos et était au courant de son lancement, même s’il ne veut rien dire quant à une éventuelle relation future entre Shift et Altos. “Les bailleurs de fonds ont tout – la belle vie et plus de bénéfices qu’ils ne peuvent en rêver, ajoute-t-il. La seule chose qu’il leur reste à faire, c’est modifier la réalité. On a vraiment le sentiment d’être face à un nouvel horizon, parce que jamais nous n’avons été si près de pouvoir réinitialiser notre biologie pour vivre une deuxième vie.”

La seule inquiétude d’Ives est de savoir quand, et non si, cette course à la fontaine de jouvence humaine portera ses fruits : “La route va être longue, et rude, mais ça ne va pas faire long feu – il y a trop de gens qui s’y intéressent, et trop de données prometteuses pour qu’on fasse marche arrière.” Il poursuit :

Et ce serait vraiment dommage qu’on traîne des pieds et qu’on n’aille pas jusqu’au bout. En fin de compte, nous serions

[…]

Anjana Ahuja
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Source : Courrier international

 

 

 

 

 

 

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