Coupe du monde 2022 : « Le choix du Qatar a été une grande erreur »

A un an du Mondial, Sepp Blatter, l’ancien président de la Fédération internationale de football, revient, dans un entretien au « Monde », sur le vote d’attribution controversé de la compétition au Qatar.

Le Monde  – A un an de la tenue de la Coupe du monde 2022 au Qatar, l’ex-président de la Fédération internationale de football (FIFA), Sepp Blatter, 85 ans, assure dans un entretien au Monde que, « sans l’intervention au dernier moment de [Nicolas] Sarkozy sur [Michel] Platini, le Qatar n’aurait jamais eu la Coupe du monde ».

Le 2 décembre 2010, que vous dites-vous en ouvrant l’enveloppe qui renferme le nom du pays hôte du Mondial 2022 ?

 

Je suis déçu que ce soit le Qatar qui sorte. Mais je m’y attendais, au vu des derniers développements, notamment le fait d’avoir été averti par Michel Platini [alors président de l’UEFA] que je ne pourrais plus compter sur lui et trois de ses compagnons concernant le gentlemen’s agreement [« accord informel »] que nous avions eu et en vertu duquel le Mondial 2018 irait à la Russie et l’édition 2022 aux Etats-Unis.

 

Onze ans après ce vote, avez-vous des regrets ?

 

On a des regrets mais on ne peut pas changer l’histoire. Nous aurions dû donner le résultat du scrutin d’attribution du Mondial 2018 [à la Russie, le 2 décembre 2010] avant d’organiser le vote pour l’édition de 2022. Ce dernier résultat aurait été différent. Les Européens qui soutenaient le tandem Espagne-Portugal pour 2018 avaient conclu un accord avec le Qatar pour voter en faveur de l’émirat pour 2022. S’ils avaient vu que la Russie avait gagné, cet accord ne tenant plus, ils auraient décidé de voter dans la foulée pour un autre pays que le Qatar.

 

Quels sont les éléments qui ont fait pencher la balance en faveur du Qatar ?

 

Les Etats-Unis n’avaient pas besoin de faire du lobbying politique. Les seuls qui avaient besoin de le faire étaient les Qataris. Ils ont joué la carte française. Sarkozy a invité Platini à les rejoindre à la fin d’un déjeuner [le 23 novembre 2010] à l’Elysée auquel participait le prince héritier Tamim. Platini m’a appelé le lendemain matin pour me dire : « Tu ne peux probablement plus compter sur moi et mes voix car le chef de l’Etat a demandé si je pouvais soutenir le Qatar. » Puis il me demande : « Qu’aurais-tu fait, toi ? » J’ai répondu que, si le président suisse me demandait ça, je resterais sur mon choix sportif.

J’en ai, bien sûr, voulu à Platini. On a refait les comptes, on a vu que quatre voix allaient manquer. Cela fut un grand un handicap. J’ai senti l’Afrique hésitante ; elle n’a plus été partisane des Etats-Unis au dernier moment. L’Europe a clairement fait pencher la balance.

 

Pourquoi la FIFA a-t-elle autorisé la candidature du Qatar ?

 

Il n’y avait pas une grande interrogation sur l’organisationnel. Elle portait davantage sur la taille du pays, trop petit, et sur les dates du tournoi. Le médecin belge Michel D’Hooghe [membre du comité exécutif de la FIFA], dont le fils a obtenu par la suite un poste mirobolant dans une clinique du Qatar, disait qu’il fallait faire attention à la santé des joueurs et était contre le fait de jouer en été car il fait trop chaud. Je ne sais pas combien de personnes ont lu le rapport d’évaluation des candidatures. J’étais persuadé que le danger qatari ne viendrait pas troubler notre accord de principe Russie-Etats-Unis.

 

Comprenez-vous les soupçons de l’opinion publique sur des faits présumés de corruption autour de la candidature du Qatar ?

 

Je comprends cette approche et cette inquiétude sur d’énormes sommes qui auraient pu circuler à droite ou à gauche. J’ai eu la naïveté de croire qu’il n’y avait pas besoin de donner de l’argent puisque j’étais pour les Etats-Unis. Avant l’intervention politique en France, le Qatar avait peut-être déjà placé quelques sommes ici ou là. Corruption ?

Je ne pouvais pas soupçonner les votants sud-américains d’avoir reçu de l’argent car je pensais qu’ils voteraient pour les Etats-Unis. Je ne suis ni moraliste ni confesseur. Mais, pour des décisions aussi importantes que l’attribution d’une Coupe du monde, il est bien possible que de l’argent circule ici ou là et que des gens se le mettent dans la poche.

 

Pour qui avez-vous voté ?

 

 

Pour les Etats-Unis. C’était mon choix de toujours, en vertu de la rotation des continents.

 

Dans son livre « Entre nous » (Editions de l’observatoire, 2019), M. Platini raconte que vous lui aviez confié avoir voté pour le Qatar.

 

 

C’est faux. Il savait très bien que je défendrais les Etats-Unis jusqu’au bout.

En 2014, la commission d’éthique de la FIFA a décidé de ne pas remettre en cause le scrutin. L’enquête interne faite par l’Américain Michael Garcia a-t-elle été si poussée que cela ?

 

S’il avait été assez strict, Garcia aurait pu dire que de l’argent avait circulé à droite et à gauche. Mais il n’en était pas sûr.

Sans le rôle actif du vice-président de la FIFA, le qatari Mohammed Ben Hammam, l’émirat aurait-il remporté ce vote ?

 

 

Sans l’intervention au dernier moment de Sarkozy sur Platini, le Qatar n’aurait jamais eu la Coupe du monde. D’autant que, si la vente du PSG au Qatar a eu lieu après le vote, c’est que c’est 100 % lié. Le Qatar devait remercier un peu la France. Il y a eu d’ailleurs de grandes activités économiques entre le Qatar et la France.

M. Ben Hammam seul, et malgré le soutien de l’Asie, n’était pas assez fort pour convaincre une majorité de votants. Son objectif, après l’attribution, était de prendre la présidence de la FIFA.

 

Il n’était pas soutenu par la famille royale. L’émir Hamad a dit textuellement, en présence de M. Ben Hammam, lors d’un repas à Doha : « On sait que M. Blatter n’a pas voté pour nous mais nous le soutiendrons pour la présidence de la FIFA. »

 

Le nombre d’ouvriers morts sur les chantiers, le changement de calendrier pour que la compétition ait lieu en hiver… Vous disiez-vous, dès 2010, que ce tournoi serait problématique ?

 

C’est le début de tous mes ennuis. Sur le plan social et climatique, cela a été une grande erreur de donner la Coupe du monde au Qatar. Mais il aurait fallu que le comité exécutif décide de remettre en cause sa décision et soumette cet avis au congrès.

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Rémi Dupré

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

 

 

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