L’affaire Peng Shuai met au défi le pouvoir central chinois

Alors que Pékin étouffe le mouvement #metoo, la mobilisation en faveur de la joueuse de tennis disparue pourrait constituer un tournant.

Le Monde – « Zhoumo yukuai ! » : d’après un journaliste de CGTN, la version internationale de la télévision d’Etat chinoise CCTV, l’ex-championne de tennis Peng Shuai a souhaité un « bon week-end » à ses amis sur WeChat, vendredi 19 novembre au soir. Elle aurait même accompagné sa publication sur le réseau social chinois de plusieurs photos, jouant avec son chat, ou tenant un panda en peluche.

Après un prétendu courriel envoyé à l’Association des joueuses de tennis (WTA), qui n’a convaincu personne, la propagande chinoise insiste, avec ces photos qui évoquent les preuves de vie envoyées par des preneurs d’otages. Là encore, difficile de croire à l’authenticité de ce message, diffusé à partir du compte « Pengshuai2 », et soi-disant partagés par un ami de la joueuse. D’autant que ni ces photos ni le courriel attribué à Peng Shuai deux jours plus tôt n’ont reçu la moindre couverture médiatique en Chine : de l’autre côté de la grande muraille numérique, toute référence à l’ex-championne a été soigneusement expurgée du Web, depuis sa publication sur Weibo, équivalent local de Twitter, le 2 novembre, dans laquelle elle accusait l’ancien numéro sept chinois Zhang Gaoli de l’avoir violée.

Où est Peng Shuai ? Si l’on en croit ces photos, elle pourrait se trouver chez elle, sans doute en résidence surveillée, et privée de communications avec l’extérieur. D’après Steve Simon, le président de la WTA, son organisation n’a toujours pas réussi à établir de contact direct avec la joueuse qui avait remporté le double à Roland-Garros en 2014. Hormis les publications de CGTN, on est toujours sans nouvelles de Peng Shuai depuis le 2 novembre. D’où la campagne lancée par des sportifs pour demander de ses nouvelles, avec le mot-dièse #WhereIsPengShuai. Ces derniers jours, Naomi Osaka, Serena Williams ou encore Novak Djokovic se sont exprimés à son sujet.

Désormais, les réactions dépassent le monde du sport. Vendredi 19 novembre, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU s’est inquiété à son tour : « Il serait important d’avoir des preuves sur le lieu où elle se trouve, et de savoir si elle va bien. Et nous demandons instamment qu’une enquête soit menée en toute transparence sur ses allégations d’agression sexuelle », a déclaré la porte-parole de l’organisation, Liz Throssell, vendredi. Quelques heures plus tard, le Quai d’Orsay s’est dit « préoccupé par l’absence d’informations sur la situation de Peng Shuai », dans un communiqué, tandis que la Maison Blanche faisait part de sa « profonde inquiétude ».

 

Le courage de la WTA

 

Pour autant, cette campagne a peu de chance de faire bouger Pékin. Pas question de s’attaquer à un dirigeant chinois de si haut rang, ex-membre du comité permanent du bureau politique du Parti communiste, la plus haute sphère du pouvoir. Zhang Gaoli, 75 ans aujourd’hui, a dirigé plusieurs provinces chinoises avant de devenir le bras droit du premier ministre Li Keqiang, entre 2013 et 2018, chargé de dossiers économiques.

« Ce que décrit Peng Shuai entre dans un schéma typique, celui d’un homme abusant de son pouvoir pour obtenir des faveurs sexuelles. Mais ce qui est inhabituel, dans le cas de Peng Shuai, c’est le statut politique particulièrement élevé de l’accusé, note Yaqiu Wang, experte de la Chine pour l’ONG Human Rights Watch. Dans un pays où les informations non officielles sur les hauts dirigeants sont interdites, et où un nombre incalculable de personnes a été envoyé en prison pour les avoir critiqués, les allégations de Peng la mettent en grand danger. »

Même à plus petite échelle, le mouvement #metoo a été étroitement jugulé par le pouvoir en Chine. Rares sont les cas de harcèlement qui passent devant la justice. Début septembre, Zhou Xiaoxuan, une scénariste qui accusait d’attouchements un présentateur vedette de la télévision d’Etat CCTV, a été déboutée par un tribunal, considérant qu’elle n’apportait pas suffisamment de preuves. En 2014, quand la jeune femme s’était rendue au commissariat, après les faits, lors de son stage à la télévision, la police avait refusé de prendre sa plainte, en raison de « l’impact positif » de la personnalité sur la société chinoise.

Si la Chine a semblé faire un pas dans la bonne direction en intégrant le harcèlement sexuel dans son code civil pour la première fois en 2020, l’atmosphère politique de ces dernières années va dans la direction opposée. En parallèle d’un tournant nationaliste et de plus en plus totalitaire, le pouvoir prend aussi un tour plus conservateur, réprimant les mouvements féministes et LGBT, et lançant récemment une campagne contre les jeunes hommes « efféminés » dans les médias.

Peng Shuai lors de sa victoire contre l’américaine Venus Williams, en simple dames du tournoi de tennis China Open, à Pékin, le 3 octobre 2016.

Peng Shuai lors de sa victoire contre l’américaine Venus Williams, en simple dames du tournoi de tennis China Open, à Pékin, le 3 octobre 2016.

 

Pour autant, à l’extérieur, l’affaire Peng Shuai pourrait constituer un tournant. Jusqu’ici, les critiques à l’encontre de la Chine dans le monde du sport s’étaient limitées à des déclarations de joueurs ou de membres de l’encadrement, vite désavoués par leur équipe ou leur organisation, terrifiées à l’idée de perdre le marché chinois. Lorsque le footballeur Mesut Özil a critiqué sur les réseaux sociaux le traitement infligé à la minorité musulmane des Ouïgours au Xinjiang (nord-ouest de la Chine), en décembre 2019, son club d’alors, Arsenal, a rapidement pris ses distances avec le champion du monde allemand. Quelques mois plus tôt, le propriétaire de l’équipe de basket nord-américaine Houston Rockets avait désavoué son manageur général, Daryl Morey, qui avait soutenu les manifestations à Hongkong. La NBA avait accusé « des pertes substantielles » à la suite du retrait de sponsors chinois et de la déprogrammation de matchs en Chine.

Cette fois, au contraire, la WTA a choisi de tenir tête à la Chine, alors qu’une de ses membres est directement victime de répression. En se disant « tout à fait prêt à retirer [ses] activités [de Chine] et à faire face à toutes les complications qui en découlent », Steve Simon, le patron de la WTA, assume le risque de froisser Pékin. Une prise de position courageuse, car l’organisation compte une dizaine de tournois en Chine, dont le Masters de fin de saison à Shenzhen. Un choix dont les conséquences seront scrutées dans les états-majors de toutes les Ligues lorgnant le lucratif marché chinois – fin octobre, la Ligue professionnelle de football française envisageait d’y délocaliser une rencontre du championnat de France.

 

« Ce n’est pas notre mission »

 

Dans ce concert de critiques, un organisme brille par son silence : le Comité international olympique (CIO). Jeudi 18 novembre, l’organisme s’est dit « rassuré par les assurances qu’elle va bien », d’après un porte-parole du CIO, apportant du crédit à la publication d’un courriel attribué par la télévision officielle chinoise à Peng Shuai.

 

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Source : Le Monde

 

 

 

 

 

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